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IRAK - Source : Le Monde.fr

« Al-Qaida ne pourra pas tenir Fallouja très longtemps »

Mardi, 7 janvier 2014 - 8h51 AM

mardi 7 janvier 2014

Cet article ainsi que le précédent publié il y a quelques minutes témoignent de l’évolution extrêmement rapide de la situation à
Fallouja distante seulement de 67 kms de Bagdad et de 300 kms de la frontière Syrienne.

Il est vraisemblable que les jours qui viennent seront cruciaux pour toute la région, voire certains pays voisins.

Le Comité de rédaction

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Le Monde.fr | 06.01.2014 à 18h16 • Mis à jour le 07.01.2014 à 08h51 |

Propos recueillis par Hélène Sallon

Des combattants sunnites chantent des slogans hostiles au gouvernement du premier ministre chiite Nouri Al-Maliki lors des funérailles d’un homme tué dans des combats entre Al-Qaida et l’armée irakienne, le 4 janvier, à Fallouja, en Irak.

Une demi-dizaine d’années après avoir été défaits et délogés de Ramadi et Fallouja par les troupes américaines et leurs alliés, les djihadistes d’Al-Qaida font un retour en force dans ces deux bastions sunnites de l’Ouest irakien, en proie à une nouvelle insurrection, dirigée contre le pouvoir du premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki. Le chef du gouvernement fait face depuis plus d’un an à un mouvement de protestation pacifique au sein de la minorité sunnite.

Profitant de la colère de la rue après une opération particulièrement brutale des forces de sécurité irakiennes fin décembre 2013, des combattants affiliés à l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) se sont emparés ces derniers jours de plusieurs quartiers de ces deux villes emblématiques, situées dans la province d’Anbar. Lundi 6 janvier, M. Maliki a appelé les habitants et les tribus sunnites locales à lutter contre les insurgés islamistes.

Lire (en édition abonnés) : L’Irak et le Liban contaminés par la guerre en Syrie

Pierre-Jean Luizard, historien spécialiste de l’Irak, revient sur l’implantation d’EIIL en Irak et sur la stratégie adoptée par le gouvernement irakien pour combattre le mouvement.

La prise de Fallouja et de certains quartiers de Ramadi, dans la province d’Anbar, par EIIL traduit-elle l’implantation croissante de ce mouvement lié à Al-Qaida dans la région à cheval sur la frontière syro-irakienne ?

Les choses sont plus mouvantes que cela. La prise de Fallouja et de quartiers de Ramadi par ce groupe est surtout la manifestation des échecs et des impasses auxquels la population irakienne locale est confrontée face au système politique en place et à la situation en Syrie, où il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Quand il y a une situation de crise politique et de vide sécuritaire, Al-Qaida vient s’incruster, notamment par le biais d’allégeances tribales.

Les tribus sont la clé de l’évolution de la situation. Or, c’est une base volatile. Elles ont des loyautés multiples et sont dans une volte-face permanente. Aucun Irakien ne se fait d’illusion sur le projet d’EIIL pour les sunnites, si ce n’est de prendre la population en otage pour ses propres intérêts et de pratiquer la politique de la terre brûlée. Les tribus locales ne peuvent se reconnaître que ponctuellement dans EIIL, et donc Al-Qaida ne pourra tenir Fallouja très longtemps. D’autant que le gouvernement irakien a, pour sa part, les moyens d’acheter la sympathie des tribus et que les Etats-Unis et l’Iran ne permettront pas qu’Al-Qaida installe son pouvoir sur ces villes.

Quelle est la composition de l’EIIL et de quels soutiens dispose-t-il actuellement en Irak ?

La mouvance Al-Qaida en Irak était à l’origine composée de six groupes, partagés entre Arabes et Kurdes. C’est la base d’EIIL, mais certains groupes se sont retirés depuis. Il y a plusieurs milliers de combattants étrangers qui font la navette entre la Syrie et l’Irak : des Saoudiens, des Egyptiens et des Maghrébins principalement. Leur effectif est très minoritaire par rapport à celui des tribus, dont l’allégeance est volatile.

Le politique qu’a menée le gouvernement de Nouri Al-Maliki à l’encontre des sunnites, qualifiée d’autoritaire, et contre le mouvement protestataire sunnite, en le qualifiant de pro-Al-Qaida, a finalement poussé une grande partie des tribus sunnites qui étaient dans le mouvement protestataire à effectivement rallier Al-Qaida.

Le premier ministre peut-il espérer rallier les tribus sunnites, qui se sentent marginalisées par le pouvoir, à la lutte contre les insurgés islamistes comme il l’a appelé de ses vœux lundi ?

Nouri Al-Maliki n’avait pas vraiment le choix dans la définition de sa politique vis-à-vis des sunnites du fait de l’existence de facto d’un système de confessionnalisme politique en Irak. Sa base de loyauté l’empêche de faire des concessions à la minorité sunnite, notamment sous la pression du courant sadriste, mené par l’imam chiite Moqtada Al-Sadr.

Il a compris que l’intervention de l’armée à Fallouja et Ramadi serait néfaste car elle ne ferait qu’exacerber le conflit confessionnel. Son objectif est donc d’impliquer le plus de forces locales possible dans le conflit. En ce moment, la majorité de la rente pétrolière est utilisée pour acheter les loyautés tribales. Il veut s’assurer le soutien du plus grand nombre de tribus mais du fait de la volatilité des allégeances tribales, il n’y aura jamais ni vainqueur ni vaincu. Cela ne fera que reporter à plus tard un nouveau conflit et péréniser un contexte de crise gravissime.

Si Nouri Al-Maliki peut, avec les tribus, mettre les islamistes en déroute, ce ne sera pas gratuit. Il aura à reconnaître aux sunnites un certain pouvoir sur leur province, qui interdirait notamment à l’armée irakienne d’intervenir dans les affaires tribales et leur déléguerait la gestion de la police et de la sécurité. Les tribus en ont les moyens humains et matériels. Le risque est, qu’après le Kurdistan, on fasse un pas de plus vers la partition inavouée du territoire irakien en laissant la gestion de la province d’Anbar à des groupes tribaux. A l’échelon supérieur, la question de la viabilité des Etats fondés dans la région par les mandats britannique et français est posée.

Quel soutien pourraient apporter les Etats-Unis au gouvernement Maliki, après avoir retiré leurs troupes du pays en 2011 ?

Les Etats-Unis livrent déjà beaucoup d’armes, ainsi qu’une aide logistique et en renseignement au gouvernement irakien. Des sociétés de sécurité privées agissent hors de Bagdad pour des opérations ponctuelles d’assassinat de dirigeants d’Al-Qaida et d’insurgés. La médiatisation de la prise de Fallouja par Al-Qaida n’est pas bonne pour le président Barack Obama, deux ans après le retrait américain.

A moins que la situation ne dégénère, les Etats-Unis n’interviendront pas mais ils répondront certainement plus vite aux demandes de M. Maliki d’aide militaire.

Comme la fourniture de drones ?

Des drones sont déjà utilisés par les sociétés de sécurité privées pour les assassinats ciblés. Les Etats-Unis interviennent déjà par ce biais. Jusqu’à présent, le gouvernement ne s’est vu fournir que des drones de repérage, mais cela pourrait changer. Les Etats-Unis pourraient ouvrir davantage leur panoplie d’armements spécialisés, mais ils ont des réticences à livrer cette technologie dans un contexte régional aussi complexe.

Hélène Sallon
International