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La vérité que vous ne voulez pas entendre
Mustafa Barghouti , monte en première ligne.Bravo et merci
samedi 14 janvier 2006
Les Palestiniens doivent être libérés de la longue souffrance endurée à travers 600 années d’occupation étrangère, 58 années de dépossession et 38 années d’occupation militaire, laquelle est devenue la plus longue de l’histoire moderne.
Mustafa Barghouti est secrétaire-général du PNI
(Palestinian National Initiative)
Quelle est la situation sur le terrain en Palestine ? La version israélienne qui continue de dominer les moyens d’information internationaux en donne une image qui n’a rien à voir avec la réalité. Le rédéploiment à Gaza a été présenté comme l’ébauche d’un processus de paix, comme une grande retraite du général Sharon, lequel a été alors présenté comme un homme de paix. Mais le fait subsiste aujourd’hui que la Palestine s’étend sur 27 000 kilomètres carrés, que la Cisjordanie n’en constitue que 5 860, et la Bande de Gaza uniquement 360. Dans ce dernier cas, cela équivaut à 1,3 % du total de la Palestine historique. Ainsi, même si Sharon avait effectué un véritable retrait de Gaza, ceci ne représenterait que 5,8% des Territoires Occupés.
Mais les israéliens n’ont pas quitté Gaza. Beaucoup de bruit a été fait autour du grand sacrifice qu’aurait concédé Israël et combien pénible était ce départ pour les colons. Si vous occupez une terre et la conservez pendant 20 ans, bien sûr que cela devient pénible d’en partir, mais cela n’empêche pas que cette terre reste quelque chose de volé que vous devez restituer à ses propriétaires. Avant le redéploiement, un total de 152 colonies existait dans les Territoires Occupés : 101 en Cisjordanie, 30 à Jérusalem et 21 dans la Bande de Gaza.
Ces chiffres n’incluent pas les colonies que Sharon et l’armée israélienne ont mises en place en Cisjordanie sans les reconnaître officiellement. Après le redéploiement et l’évacuation des colonies de la Bande de Gaza et de quatre petites colonies dans la zone de Jénine en Cisjordanie, 127 colonies restent en place.
La population totale des colons — illégalement installés en regard de la loi internationale et de l’avis prononcé par la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui stipulait que le mur de séparation et chaque colonie en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-Est devaient disparaître - atteint 436 000 personnes : 190 000 à Jérusalem et 246 000 en Cisjordanie. Seuls 8 475 colons, soit 2% du nombre total de colons illégalement installés dans les Territoires Occupés ont été déplacés de la Bande de Gaza et des environs de Jénine. Et durant la même période, la population dans les colonies en Cisjordanie a massivement augmenté avec 15 800 colons supplémentaires.
Alors pourquoi retirer les colons de Gaza si le désengagement était simplement un exercice de redéploiement ?
Premièrement, Israël n’a jamais réellement voulu maintenir ces colons sur place. C’était un objet de négociation à utiliser lorsque le temps serait venu de parler du futur des Territoires Occupés. Mais assurer la sécurité d’un relativement petit nombre de colons par une présence militaire constante dans la Bande de Gaza avait fini par être considéré comme trop coûteux.
Deuxièmement, Israël avait déjà épuisé les ressources en eau de Gaza en captant l’écoulement de l’eau souterraine à l’Est de Gaza — ce qui a eu pour résultat l’infiltration d’eau de mer dans la couche aquifère côtière — et en surexploitant la nappe phréatique existante pour le compte des colonies israéliennes. En conséquence, les habitants de Gaza se retrouvent à utiliser de l’eau saumâtre, cause d’un taux élevé de maladies rénales. Le niveau maximum acceptable de chlore dans l’eau potable, selon les standards de l’Organisation Mondiale de la Santé, est de 250 milligrammes par litres. Dans plusieurs zones de la Bande de Gaza, le niveau de chlore est entre 1 200 et 2 500 milligrammes par litre.
Un autre mythe répandu avec succès par Israël est que le redéploiement de ses colons signiefierait la fin de l’occupation de Gaza. Aujourd’hui, la Bande de Gaza est occupée comme elle l’a toujours été. Ce qui a changé, c’est uniquement la structure de l’occupation. Libérés de l’obligation de maintenir une présence physique à l’intérieur de la zone pour « protéger » ses colons, il est maintenant plus facile pour les israéliens, et moins coûteux, de contrôler la Bande de Gaza à distance en utilisant l’état de l’art de sa technologie militaire.
L’armée israélienne est basée dans la zone d’Erez, au nord de Gaza. Depuis cet endroit, elle continue à occuper une bande de terre le long de frontière Est de Gaza sur une profondeur qui varie de 900 mètres à un kilomètre — encore une fois, l’ensemble de cette zone ne fait que 360 kilomètres carrés — et maintient son contrôle sur l’espace aérien de Gaza, sa côte maritime et ses eaux territoriales. Tous les points d’entrée et de sortie dans la bande de Gaza restent sous contrôle israélien, et c’est Israël qui décide si des centaines de malades qui ont besoin d’un traitement urgent sont autorisés ou non à quitter la Bande de Gaza. Malgré le dernier arrangement négocié par Condolezza Rice sur l’ouverture du poste-frontière entre Gaza et l’Egypte, Israël garde un complet contrôle sur le transit des marchandises et des biens et conserve son droit de superviser les déplacements des Palestiniens ; Israël a largement abusé de ce pouvoir par le passé.
Gaza reste une immense prison, et vouloir un développement économique dans un tel contexte est une plaisanterie. Notre inquiétude profonde est que le contrôle israélien sur Gaza aboutisse à terme à une séparation complète de la Cisjordanie, détruisant l’unité et les liens entre Palestiniens, et détruisant aussi le droit des Palestiniens à un Etat unifié dans le futur.
Sharon exploite le rédéploiement de Gaza, qui a été abusivement présenté comme une grande concession, pour imposer de façon unilatérale le futur de cette région. La construction de ce mur honteux et l’expansion des colonies vont ensuite aboutir à l’annexion de pas moins de 50% de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et à la destruction de toute possibilité de réaliser un Etat Palestinien cohérent, viable et homogène.
Le mur s’enfonce jusqu’à 35 kilomètres à l’intérieur de la Cisjordanie. Sa construction a déjà entraîné l’annexion de 9,5% des terres de la Cisjordanie. La surface expropriée pour les colonies ajoute encore 8% à ce total, tandis que la construction du mur à l’Est dans la vallée du Jourdain permettra à Israël d’annexer 28,5% supplémentaires de la Cisjordanie.
Le mur est en train d’être construit à très grande vitesse, sans égard pour l’avis de la Cour International de Justice. Il fera à terme près de 750 kilomètres de long : soit trois fois la longueur du mur de Berlin et deux fois sa hauteur. Plus de 1 060 000 arbres — avant tout des oliviers — ont été déracinés par les bulldozers israéliens en Cisjordanie. Ce mur n’est pas construit sur le territoire israélien, ni sur les frontières de 1967, mais à l’intérieur des Territoires Occupés, séparant les Palestiniens les uns des autres, et non pas les Palestiniens des israéliens comme le proclame Sharon.
Ce mur va aussi isoler pas moins de 250 000 Palestiniens à Jérusalem. De 50 à 70 000 autres Palestiniens disposant d’une carte d’identité de Jérusalem seront bloqués en dehors du mur et resteront interdits d’accès, perdant alors l’accès aux services éducatifs et de santé de la ville. Ceci est le début d’un processus qui s’achèvera par la confiscation de leurs cartes d’identité et les obligera à s’expatrier de la zone de Jérusalem à laquelle ils appartiennent.
A certains endroits, le mur coupe des maisons en deux. A Jérusalem, près d’Anata, le mur coupe l’aire de jeu et les terrains d’une école de l’école elle-même. Dans la ville de Qalqilya, 46 000 personnes sont encerclées par le mur dans toutes les directions, laissant un seul passage, une route de 8 mètres de large avec une porte à travers laquelle ils doivent passer. Les soldats israéliens disposent de la clé de cette porte, et peuvent couper la ville du restant du monde comme bon leur semble.
Un permis, quasiment impossible à obtenir, est requis pour traverser le mur. Et même si vous arrivez à obtenir ce permis, vous devez encore tenir compte des horaires d’ouverture très mal-commodes. A Jayous, vous pouvez traverser entre 7h40 et 8h00, entre 14h et 14h15 et entre 18h45 et 19hrs, soit un total de 50 minutes par jour. Parfois l’armée israélienne « oublie » d’ouvrir les portes, et les enfants des écoles, les enseignants, les agriculteurs, les malades et autres personnes ordinaires sont abandonnés dans une attente à la durée indéfinie.
Si le plan de partition des Nations Unies de 1947 avait été mis en œuvre, il y aurait deux Etats : un Etat Palestinien sur 45% de la Palestine historique, et un autre israélien sur 55%. En 1967, l’état israélien s’étendait sur 78% de la Palestine historique. Ne restaient que la Cisjordanie et la Bande de Gaza ; les Palestiniens sont arrivés aux limites possibles avec la proclamation par le Conseil National Palestinien de la solution à deux-états. Ceci représente un compromis sans précédent pour les Palestiniens car cela ne leur accorderait qu’à peine plus de 50% de ce que le plan de partage de 1947 leur attribuait.
Ce qui a été proposé à Yasser Arafat par Ehud Barak à Camp David en 2000 n’était pas différent du plan de Sharon, dans la mesure où Barak voulait conserver la vallée du Jourdain, Jérusalem et une large proportion des colonies. Ayant précipité les Palestiniens dans la pire des situations qu’ils aient jamais connues sur le plan économique et humanitaire, Sharon a créé une situation où il agit en toute indépendance pour décider la tournure que prendrait n’importe quel « processus de paix ». S’il termine son mur et s’il réussit à imposer ses décisions unilatérales, son plan, tant apprécié par tant de dirigeants dans le monde, transformera l’idée d’un Etat Palestinien en quelque chose ne pouvait être qualifié que de Bantustans et de ghettos.
Ici se trouve la vraie motivation derrière la construction du mur. Loin d’être construit pour des raisons de sécurité, il symbolise un plan prédéterminé par l’armée d’annexer les Territoires Occupés et de définir par avance l’aboutissement du si mal nommé « processus de paix ». L’armée israélienne à réimposé les bouclages et de sévères restrictions dans les déplacements en Cisjordanie, décrétant que les principales routes sont interdites aux véhicules palestiniens, avec l’exception de quelques transports publics. A l’opposé, ces routes sont destinées à l’usage des colons israéliens et de l’armée exclusivement, ce qui représente un acte de ségrégation que l’on n’avait même jamais vu dans la pire période de l’Apartheid en Afrique du Sud.
Les Palestiniens ordinaires ne peuvent aller à leur travail, les femmes enceintes ne peuvent aller accoucher à l’hôpital, les malades en attente urgente de dyalise rhénale ou de traitement pour une attaque cardiaque peuvent mourir chez eux sans avoir pu accéder à un hôpital, et l’économie palestinienne est totalemnt paralysée.
Où est le processus de paix dans tout cela, et quand Sharon refuse de reconnaître la présence d’un partenaire Palestinien ? Et qu’en est-il de l’idée d’une conférence internationale pour la paix ? Sharon clâme qu’il n’y a pas de place pour des négociations à propos de Jérusalem, la vallée du Jourdain, les colonies, et qu’il décidera du futur de façon unilatérale sans aucune participation palestinienne ou internationale. Et s’il y a des négociations, elles se situeront entre la direction du Likud et son aile encore plus réactionnaire représentée par Netanyahu, ou entre Sharon et les colons.
Notre demande est que se tienne une conférence internationale pour la paix, dans laquelle la solution du conflit sera définie sur la base de la loi internationale, et où il sera tenu compte de l’avis de la Cour Internationale de Justice.
Ce qui est en train de se produire sur le terrain, c’est un système d’Apartheid. Sur les 960 millions de mètres cubes d’eau produits en Cisjordanie, les Palestiniens ne sont autorisés à en utiliser que 109, soit environ 10% de ce qui est notre eau. Le reste va en Israël. En moyenne, un citoyen Palestinien en Cisjordanie n’est autorisé à utiliser que 36 mètres cubes d’eau par an, alors que les colons israéliens peuvent en utiliser 2 400. Nous ne sommes pas autorisés à nous servir de nos rues et de nos routes. Nous ne sommes pas autorisés à construire des maisons. Nous ne sommes pas autorisés à circuler librement. Notre Produit Intérieur Brut (PIB) par tête est inférieur à 1000 $ US alors que celui d’un israélien est supérieur à 20 000 $, et nous avons encore à acquitter des taxes et à supporter une union douanière qui nous oblige à acheter des produits aux mêmes prix que les israéliens.
Ceci est bien illustré par le grave déséquilibre des pouvoir sur le terrain, lequel ne peut être contrebalancé que par une intervention et par le support de la communauté internationale.
Un des moyens de corriger cette situation est de faire ce qui a été réalisé avec succès en Afrique du Sud, c’est-à-dire imposer des sanctions. Un fait notable dans la situation actuelle est la coopération militaire avec Israël qui est le quatrième exportateur d’armes dans le monde. Nous voulons que cette coopération militaire cesse et que se développe un mouvement de désinvestissement et de gel des accords économiques jusqu’à ce qu’Israël applique la loi internationale et mette en œuvre les résolutions internationales.
Les Palestiniens doivent être libérés de la longue souffrance endurée à travers 600 années d’occupation étrangère, 58 années de dépossession et 38 années d’occupation militaire, laquelle est devenue la plus longue de l’histoire moderne. Les israéliens eux-mêmes ne seront pas réellement libres tant qu’ils ne mettront pas un terme à leur oppression du Peuple Palestinien.
Il arrive un moment dans la vie des peuples où l’injustice ne peut être supportée plus longtemps. Ce moment est venu pour les Palestiniens. Nous voulons être libres, et nous le serons.
Mustafa Barghouti
7 décembre 2005
Al Ahram Weekly