Accueil > Rubriques > Pratiques économiques et financières > Après la France et les Etats-Unis, le Japon vient d’ouvrir une base (...)

Japon, USA, France : l’importance vitale d’un Petit Poucet (ndlr)

Après la France et les Etats-Unis, le Japon vient d’ouvrir une base militaire à Djibouti.

Dimanche, 21 août 2011 - 17h28

dimanche 21 août 2011

En réalité, 21 pays, géographiquement voisins (devinette), sont à considérer comme partie prenante (positivement ou négativement) de la « révolution arabe ».
Parmi les micro territoires, Bahrein et Djibouti, jouent un rôle essentiel.
Nous tenions simplement à rappeler, à titre d’information, leur existence.

Michel Flament

Coordinateur

=============================================

Adrien Hart

L’information est passée très largement inaperçue. Elle est pourtant historique. Pour la première fois depuis sa défaite en 1945, le Japon vient d’ouvrir, fin mai 2011, une base militaire permanente à l’étranger. Et Tokyo a choisi un pays africain : Djibouti.

La base nippone, d’une superficie de 12 hectares, est située à proximité de l’aéroport international de Djibouti. Elle abritera l’état-major de la force japonaise dans la région, un hangar de maintenance pour avions de patrouille maritime P-3C, des dortoirs et même un gymnase pour les militaires japonais.

En s’installant à Djibouti, Tokyo veut renforcer et pérenniser son rôle dans la surveillance des eaux au large de la Somalie, une des plus importantes voies maritimes du monde mais de plus en plus perturbée par les activités des pirates somaliens.

Tokyo espère aussi en profiter d’un point de vue diplomatique. Comme l’écrit le journal japonais Yomiuri, citant un responsable du ministère des Affaires étrangères, une telle contribution à la lutte internationale contre le terrorisme « aidera à obtenir un large soutien pour le Japon dans sa tentative d’être un membre permanent du Conseil de sécurité » de l’ONU. Comme le relève le journal, Tokyo a besoin du soutien des 53 nations de l’Afrique pour réaliser une réforme du Conseil de sécurité.

Région stratégique très troublée
Les Français et les Américains devront se serrer un peu plus dans ce petit pays désertique de moins d’un million d’habitants, situé au débouché du détroit de Bab-el-Mandeb, qui sépare la mer Rouge de l’océan Indien.

Ce détroit de moins de 30 kilomètres de large est sous haute surveillance. Al-Qaida a à plusieurs reprises menacé de le bloquer, mais l’organisation n’a heureusement jamais réussi. La fermeture de cette voie obligerait les navires, pétroliers et autres porte-conteneurs à faire le tour de l’Afrique plutôt que d’emprunter le canal de Suez. Le transport serait beaucoup plus long et donc beaucoup plus cher. Actuellement, 3 millions de barils de pétrole transitent chaque jour par Bal-el-Mandeb.

En octobre 2000, 17 marins américains avaient été tués dans l’attaque d’al-Qaida contre le destroyer américain USS Cole au Yémen voisin. Et, deux ans plus tard, l’organisation créée par Oussama Ben Laden avait visé le pétrolier français Limburg, près de ce détroit, avec une barge bourrée d’explosifs.

Aujourd’hui, la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée. Le Yémen est au bord de la guerre civile, des militants d’al-Qaida y sont présents depuis plusieurs années.

La Somalie est une « zone grise » sur les cartes du monde. Depuis l’effondrement du gouvernement central en 1991, le pays a sombré dans l’anarchie. Une partie de la capitale et du sud du pays sont aux mains des Shebab, affiliés à al-Qaida.

Si le Yémen sombre durablement dans l’anarchie, les combattants d’al-Qaida dans ce pays pourraient coopérer avec les Shebab et pirates somaliens pour menacer encore davantage cette voie maritime stratégique.

Enfin, au nord de Djibouti, l’Erythrée ressemble un peu à une Corée du Nord nichée dans la Corne de l’Afrique avec un régime, autoritaire et hypermilitarisé, surveillé de près par les Etats-Unis et l’Ethiopie.

Dans ce contexte régional plus que troublé, Djibouti n’a donc aucun mal à vendre sa réputation de stabilité.

Une base essentielle pour la France
La France n’a jamais vraiment quitté sa dernière colonie africaine à accéder à l’indépendance, en 1977. La base de Djibouti est un terrain d’entraînement fort apprécié pour ses troupes, notamment celles qui vont en Afghanistan. Les larges étendues désertiques et inhabitées sont particulièrement prisées pour les tirs d’artillerie.

Djibouti, qui est, avec Libreville au Gabon, une des deux bases primordiales de l’armée française en Afrique, accueille le plus grand nombre de militaires français stationnés en permanence à l’étranger, soit environ 2.900 hommes. Et aussi une dizaine d’avions de combat Mirage 2000, un avion de transport C-160 Transall et une dizaine d’hélicoptères. Des avions de patrouille maritime sont fréquemment envoyés en renfort.

Selon des informations de presse, Paris verse chaque année 30 millions d’euros de « loyer » pour sa base militaire contre 30 millions, mais de dollars cette fois, versés par Washington et par Tokyo.

Le régime d’Ismail Omar Guelleh jouit donc d’une rente stratégique de plus en plus conséquente. Et qui ne devrait aller qu’en augmentant si le Yémen voisin sombre dans le chaos.

Un président « fort »
Cette manne financière favorisera-t-elle la démocratisation du régime ? Rien n’est moins sûr. Le président Guelleh est au pouvoir depuis 1999, date à laquelle il a été élu, sans surprise, pour succéder au « père de l’indépendance » Hassan Gouled Aptidon.

Avant même son élection, M. Guelleh était déjà considéré comme l’homme fort du pays : il était le directeur de cabinet du Président et contrôlait les services de sécurité. Et il ne semble pas pressé de quitter les ors de la République djiboutienne : en avril 2010, un Parlement qui lui est largement acquis a voté une réforme de la Constitution lui permettant de briguer un troisième mandat. Et, ô surprise, il a été réélu avec plus de 80% des voix en avril 2011…

En 2004, le président Guelleh a perdu son plus farouche opposant, l’ex-chef de la rébellion Afar Ahmed Dini Ahmed, décédé à l’âge de 72 ans. Après dix ans de guerre et d’exil, il avait été le dernier à déposer les armes, en mai 2001, et avait ensuite tenté d’unir l’opposition. Aujourd’hui, aucun opposant d’envergure ne lui a succédé dans le pays. Une opposition en exil, très virulente contre le régime, tente toutefois de se faire entendre.

Et en février, lorsque les opposants sont descendus dans la rue, espérant importer aux pays des Afars et des Issas la Révolution tunisienne, ils ont été violemment réprimés. Depuis lors, le vent révolutionnaire qui souffle dans le monde arabe s’est arrêté aux portes de Djibouti. Les militaires français, américains et maintenant japonais peuvent continuer leurs exercices.

Adrien Hart