12/4/03 Contre la guerre en Irak

Manifester contre l’occupation militaire de l’Irak et pour la solidarité entre les peuples ou manifester contre cette occupation en accord avec sa bonne conscience politique, le choix n’était pas facile pour les militants de tous bords opposés à la guerre. Rappel de quelques faits et des enjeux.

Les appels à manifester (datant d’avant la chute de Bagdad)
Pour prendre un exemple, le Collectif Strasbourgeois contre la guerre, pacifiste et légaliste, appelait à manifester. Avant la chute de Bagdad, il renvoyait dos à dos l’agresseur anglo-saxon et le tyran irakien pour exiger entre autres l’arrêt immédiat des combats, la fermeture de l’espace aérien, des ports et bases françaises aux forces anglo-américaines, la reconnaissance des droits du peuple kurde, la création d’un état palestinien aux côtés de l’état d’Israel et la protection du peuple palestinien.

Toujours à Strasbourg, le Parti des Musulmans de France et ceux qui se reconnaissaient dans ses slogans mettaient en relation la situation en Irak avec l’Intifada nationale palestinienne. Ils dénoncaient avant toute chose l’alliance objective du sionisme et de l’impérialisme américain et soutenaient le jihad, c’est-à-dire pour les musulmans, la guerre défensive permise par Dieu.

Stigmatisation et discrimination
Les autres organisations reprochaient à ces derniers - outre les rapports assez incompréhensibles du PMF avec des leaders d’extrême-droite européens -de céder à une attitude de vengeance pour la vengeance ou de pratiquer la stigmatisation et la discrimination. Elles refusèrent de marcher de concert avec eux - choix qui a donné lieu à des débats vifs et parfois déchirants. Ces organisations s’exposaient ainsi à leur tour au reproche de pratiquer une discrimination tout aussi désastreuse à l’encontre d’une population immigrée musulmane déjà suffisamment stigmatisée en France.

Laïcité contre Islam politique : la guerre des civilisations défile dans nos rues
Une autre raison, bien plus profonde a divisé le mouvement contre la guerre, du fait que les organisations démocratiques, citoyennes ou révolutionnaires à la Française se montrent totalement incapables d’entendre autrement que comme un danger une expression politique non-laïque, comme si bien des sociétés musulmanes en paix à l’ombre de leurs murs -avant leur anéantissement par par le colonialisme - n’avaient jamais disposé de leurs modes propres de représentation populaire et de coexistence avec les minorités. Il est vrai que sur ce plan, l’Islam politique contemporain, qui fleurit depuis près d’un siècle en opposition à l’impérial-démocratie Occidentale a jusqu’à nouvel ordre toujours cédé à la dérive autoritaire et a encore tout à prouver.

"Comment peut-on être persan ?"
Le spectacle des liesses populaires - mensongèrement grossies (cf. la photo truquée du Evening Standard au moment de la chute d’un tyran n’y change rien, bien au contraire. Les Européens, fussent-ils critiques envers le système et de bonne volonté, ont tendance à oublier que l’Occident a occupé et colonisé l’Orient, non pas par la supériorité démocratique de sa civilisation, mais par la violence, la force et l’oppression perpétrée pendant des générations à des fins de spoliation. Les Orientaux, eux ne l’oublient jamais. Maintenant, à l’heure où le colonialisme économique Occidental cède à nouveau la place au colonialisme militaire, maintenant que les fauteurs de guerre en appellent la démocratie pour justifier une mainmise affairiste et coloniale, peut-être serait-il temps pour les consciences occidentales qui le peuvent encore de se défaire d’un conditionnement de 14 siècles de diabolisation religieuse de l’Islam par les églises chrétiennes suivies par trois décennies de financement massif de l’Islam extrémiste par la realpolitik américaine.

"El pueblo unido..."
Une bonne façon d’entamer ce dialogue a été de la part de certaines organisations laïques, associatives, citoyennes ou révolutionnaires de permettre à leurs adhérents sensibles à cet aspect de marcher avec les musulmans afins que soit porté tout aussi haut que d’autres principes, le symbole et la voix de la solidarité des peuples et aussi l’invitation claire faite à la communauté musulmane de participer en tant que telle et avec sa différence à la construction commune d’une autre mondialisation. La mondialisation faite par les peuples et pour les peuples est rendue encore plus nécessaire et incontournable après la guerre américano-irakienne. Certains peuvent encore se voiler la face par nombrilisme culturel, elle ne se fera pas sans les musulmans, ni en voulant les convertir préalablement aux valeurs et moeurs Occidentales. Celles-ci ont été sciemment piétinées sous les bruits de bottes démocratiques dont l’écho résonnera longtemps en terre d’Orient. Il y aura des turbans et peut-être même des voiles à Porto Allegre et partout ou les peuples s’assembleront, n’en déplaisent aux féministes laïques et à ceux qui aiment se rincer l’oeil - et ce sera tant mieux car pour construire la maison commune, les musulman-e-s ne viendront pas les mains vides.

Xandri