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Opinion

Le jeu dangereux de Mahmoud Abbas

Taïeb Moalla, journaliste indépendant et analyste de la situation au Moyen-Orient

jeudi 15 juin 2006

Tous les juristes vous le diront. Dans les sociétés modernes, le référendum est la formule la plus évoluée permettant aux citoyens d’exprimer directement leur opinion. Or, la consultation palestinienne - annoncée la semaine dernière par Mahmoud Abbas - vise un autre objectif. En essayant de contourner la défaite du Fatah lors des élections législatives de janvier 2006, le président palestinien prend l’énorme risque de diviser une population palestinienne déjà fort éprouvée.

Le 26 juillet, les Palestiniens devront normalement se prononcer sur le « document des prisonniers ». Il s’agit d’une déclaration signée par des détenus palestiniens de différentes obédiences dont le populaire député du Fatah, Marwan Barghouti. Une reconnaissance implicite d’Israël, une limitation du champ de la lutte contre les Territoires occupés et une revitalisation de l’Organisation de libération de la Palestine sont les principaux points du texte. La force de ce dernier provient du fait que les principes qu’il énonce font plutôt consensus chez les Palestiniens. Le fait qu’il soit l’oeuvre de prisonniers renforce sa crédibilité tant la société palestinienne voue un véritable culte aux militants incarcérés dans les geôles israéliennes.

Récupération politicienne

Pourtant, l’appel au référendum constitue une mauvaise idée. Le timing de la consultation et la récupération politicienne que M. Abbas cherche à en tirer rendent le tout extrêmement suspect.

Au moment de son lancement, le mois dernier, le document devait servir de base de discussion entre les différentes factions pour mettre fin aux luttes inter-palestiniennes. Mais l’annonce unilatérale de M. Abbas a conduit à un véritable imbroglio juridico-politique.

Les députés du Hamas appellent au boycott du scrutin et affirment que la Constitution palestinienne ne permet pas au président de convoquer une telle consultation. Vérification faite, le recours au référendum n’est effectivement pas prévu par la loi fondamentale. Cette situation permet toutes les interprétations possibles. D’un autre côté, les prisonniers du Hamas et du Jihad islamique - signataires du texte - ont fini par retirer leurs parafes, faisant ainsi perdre au document beaucoup de sa légitimité.

Au lieu de définir une stratégie commune pour lutter contre la politique d’isolement d’une population occupée et affamée, le président Abbas privilégie les intérêts de sa propre formation politique. Alors que la situation commandait une plus grande unité, il se plie - sans aucune garantie ni contrepartie - aux exigences américano-israéliennes visant à isoler le gouvernement formé par le Hamas.

Différents scénarios

Si le référendum devait avoir lieu, ce qui est loin d’être acquis, la situation sera encore plus explosive au lendemain du vote. En cas de victoire du Oui, deux légitimités risquent de s’affronter. Si le Non devait l’emporter - , ou s’il l’électorat s’abstenait de façon massive - la position de M. Abbas deviendrait intenable. Une démission du président serait envisageable et tout espoir de règlement négocié entre les deux parties, israélienne et palestinienne, s’amenuiserait davantage.

Cela dit, le Hamas n’est pas exempt de tout reproche. Le double discours de ses dirigeants nuit gravement à la cause qu’ils défendent. Les récentes déclarations apaisantes du premier ministre, Ismaël Haniyeh - qui se dit prêt à « respecter l’existence » d’Israël et à décréter un « cessez-le-feu pour les 50 prochaines années » - , vont dans le bon sens. Elles seraient encore plus écoutées si elles n’étaient pas régulièrement contredites par d’autres représentants de la même formation laissant entendre que les attentats contre des civils israéliens reprendraient bientôt.

En insistant sur l’unité nationale et sur le désir d’un règlement négocié, les représentants palestiniens mettraient la pression sur Israël. Il serait ainsi clair, aux yeux de la communauté internationale, que la paix ne s’éloigne pas à cause de l’absence d’un partenaire palestinien, mais bien en raison des attaques quotidiennes menées par l’armée israélienne.