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Par Olivier Millot - Télérama

“The Gatekeepers”, un documentaire ravageur pour les dirigeants israéliens"

Dimanche, 3 février 2013 - 13h32

dimanche 3 février 2013

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Présenté au Fipa, ce documentaire donne la parole à six anciens dirigeants des services de contre-espionnage israéliens. Explosif.

The Gatekeepers a-t-il eu une influence sur le résultat des élections législatives israéliennes qui ont vu ce mardi 22 janvier 2013, Benyamin Nétanyahou décrocher à l’arraché un troisième mandat à la tête d’Israël ? Le documentaire diffusé en pleine campagne électorale fait en tous cas salles combles et a perturbé le ronron d’une élection dont le héros n’aura pas été le Premier ministre sortant, mais Yair Lapid, chef du parti centriste, Yesh Atid (« Il y a un futur ») devenu moins d’un an après sa création, le deuxième parti du pays avec dix-neuf députés élus à la Knesset.

Pourquoi le contenu de The Gatekeepers présenté ce mercredi 23 janvier 2013 au Fipa à Biarritz et diffusé le 5 mars sur Arte est-il si explosif ? Tout simplement parce qu’il raconte une histoire inédite d’Israël et du conflit israélo-palestinien. Six anciens dirigeants du Shin Beth, l’agence de renseignements chargée de la défense d’Israël contre le terrorisme et l’espionnage, se mettent à table sans esquiver les questions qui fâchent, les échecs sur le terrain, les bavures et les doutes sur le bien-fondé de la politique menée depuis trente ans par leurs dirigeants politiques. Du jamais vu. Un peu comme si en France les anciens responsables de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRI) dévoilaient les coulisses des affaires de sécurité intérieure auxquelles ils ont été confrontés depuis trois décennies. On en rêve.

Dror Morey lui l’a fait. Et bien fait. Le réalisateur israélien ne cache pas s’être inspiré de The Fog of War (Brumes de guerre) remarquable documentaire de l’Américain Errol Morris, qui raconte l’histoire de l’Amérique vue par Robert S. McNamara, ancien secrétaire de la Défense américaine, un des personnages les plus controversés et les plus influents de la scène politique internationale de l’après-guerre. Au départ, la difficulté de The Gatekeepers consistait à faire parler des hommes plus habitués à faire parler les autres qu’à prendre eux-mêmes la parole. Après des semaines de siège, Dror Morey finit par obtenir un entretien avec Ami Ayalon, dirigeant du Shin Beth entre 1996 et 2000. Coïncidence ou non, l’homme était un admirateur de The Fog of war qui, selon lui, méritait d’être montré dans les académies militaires du monde entier. « Si votre objectif est de réaliser un film de ce type. J’en suis », lui déclare-t-il. Le réalisateur israélien a trouvé sa porte d’entrée. Avec l’aide d’Avi Ayalon et beaucoup de patience, il obtient ensuite que six des sept derniers dirigeants du Shin Beth acceptent de lui parler. Il recueille auprès de chacun d’eux douze à quinze heures d’entretien. Une mine d’information incroyable dont Dror Morey va faire un film intelligemment construit et surtout un véritable pamphlet contre la politique israélienne à l’égard des palestiniens. Car si sur la forme, The Gatekeepers n’a rien d’un réquisitoire, sur le fond il l’est. Les responsables du Shin Beth n’ont aucune considération pour les dirigeants politiques de leur pays et jugent suicidaire et sans avenir la politique menée par leurs gouvernements depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin.

Ce qui rend le film passionnant, c’est précisément la personnalité de ceux qui en arrivent à ces conclusions. Les anciens dirigeants du Shin Beth ne sont ni des enfants de choeur, ni des idéalistes. Au contraire. Ils ont le patriotisme dans leur ADN et la sécurité d’Israël comme obsession. En son nom, ils soutiennent sans ciller qu’en matière de lutte contre le terrorisme "la morale n’existe pas" et ont planifié méthodiquement les assassinats de nombreux dirigeants palestiniens. Leur analyse est froide, pragmatique, uniquement fondée sur leur connaissance du terrain depuis trente ans. Et ce qu’ils disent est terrible pour Israël et la politique de ses dirigeants. Extraits :

« Les premiers ministres d’Israël se sont succédés sans jamais prendre en considération le peuple palestinien, ni en deça des frontières de 1967, ni au-delà. » Avraham Shalom (patron du Shin Bet de 1980 à 1986)
« Nous rendons la vie de millions de gens insupportables. Leurs souffrances sont permanentes. Et nous laissons un soldat qui n’est à l’armée que depuis quelques mois décider de ce qui est admissible ou non. Dans le meilleur des cas, il a passé son bac l’année précédente. Il est là devant un père avec un bébé dans les bras et il doit décider s’il le fouille ou non, s’il le laisse passer ou non. Ça me rend malade. » Carmi Gillon (patron du Shin Bet de 1994 à 1996)
« Le futur est sombre. Noir est l’avenir. (…) Nous sommes devenus cruels envers nous-mêmes mais surtout envers la population que nous contrôlons sous prétexte de lutter contre le terrorisme. » Avraham Shalom
« On ne fait pas la paix avec des méthodes militaires. La paix se construit sur la confiance. Moi qui connaît bien les Palestiniens, je pense que ça ne devrait pas être difficile d’instaurer avec eux une véritable relation de confiance. » Avi Dichter (patron du Shin Bet de 2000 à 2005)
« Je suis prêt à tous les interlocuteurs possibles. Il n’y a pas d’alternative au fait de se parler. Il faut parler avec tout le monde, ça inclut même Ahmadinejad, n’importe qui. » Avraham Shalom
« La tragédie du débat public sur la sécurité est que nous ne comprenons pas que nous sommes dans une situation frustrante où nous gagnons chaque bataille, mais nous perdons la guerre. » Ami Ayalon (patron du Shin Bet de 1996 à 2000). Les anciens dirigeants du Shin Beth seront-ils entendu ? La réélection de Benyamin Nétanyahou à la tête d’Israël et la poussée – moindre qu’attendue mais réelle – de l’extrême droite nationaliste et religieuse, laisse peu d’espoir. A rebours de ce qu’analysent froidement ceux qui l’ont protégé pendant trente ans, Israël semble bien parti pour une nouvelle fuite en avant dans sa politique suicidaire à l’égard des Palestiniens (lire à ce sujet l’excellent numéro de Books du mois de janvier. Elle n’en reste pas moins une démocratie imparfaite mais authentique. Dans combien d’autres pays un tel film aurait-il pu voir le jour ?

Source et vidéo : http://television.telerama.fr/telev...

Olivier Millot - Télérama