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Source : Le Monde.fr - Par Philippe Kieffer

« Audiovisuel Public : le coup de l’Etat permanent »

Mardi, 29 janvier 2013 - 22h48

mardi 29 janvier 2013

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" Tous les habillages de communication n’y feront rien, il sera difficile de faire passer la manœuvre à laquelle vient de se livrer le président de France Télévisions pour autre chose que ce qu’elle est : un jeu de massacre sur ses propres troupes, et un tour de passe-passe politique qui serait sans importance s’il ne menaçait de prochains déboires la nouvelle structure mise en place.

Pour ceux qui auraient manqué le début de ce nouvel épisode de la palpitante série "Avanies à France Télévisions", rappelons que ce sont quatre directeurs des chaînes du service public qui se voient simultanément évincés au profit d’un espoir numérique montant, Bruno Patino.

L’homme providentiel du jour sédimente déjà sur son agenda la direction de France 5, celle de toute l’activité numérique de FTVi, mais aussi, accessoirement, la direction d’un master de journalisme à Sciences Po et, depuis peu, un rôle dans une mission (d’initiative gouvernementale) chargée de réfléchir à une réforme des aides à la mort douce et prolongée de la presse écrite.

Bruno Patino devra donc essayer de trouver un quart d’heure dans ses semaines d’homme pressé pour se demander, aussi, quoi faire d’un groupe audiovisuel public de cinq chaînes et dix mille salariés en perte de vitesse. Encore que, pour un homme bien organisé... dix minutes peuvent suffire.

Officiellement, c’est au nom d’une nouvelle efficacité de gestion des programmes et des finances que Rémy Pflimlin sacrifie ceux qui étaient jusque-là ses patrons de chaînes. Des hommes et femmes dont il vantait ponctuellement mérites et professionnalisme depuis son arrivée...

Officieusement, c’est "sauve-qui-peut !"

Car le problème, ici, ce n’est pas tant que le président Pflimlin estime nécessaire de se séparer de dirigeants qui n’ont pas su faire évoluer France Télévision sous sa présidence. Non. Le vrai problème c’est que ce président ne sache pas pousser la pertinence du jugement qu’il porte sur ses directeurs jusqu’à son aboutissement logique : s’inclure lui-même dans cette liste de cadres à remercier.

Mais non. Rémy Pflimlin préfère lâcher ses directeurs que son poste.

Puisque c’est fait, il faut bien en déduire qu’il ne s’est trouvé personne d’assez charitable ou perspicace, auprès de lui, pour l’informer de la funeste logique induite par un geste aussi maladroit. Personne pour lui rappeler que ce genre d’opération commando, supposée mobilisatrice pour les équipes, ne peut se pratiquer avec succès qu’à la faveur d’un "état de grâce". Soit en arrivant au pouvoir, soit en surfant sur d’incontestables succès. À ces conditions seulement (ici loin d’être réunies), il est possible de justifier ou d’atténuer la violence métaphorique d’une liquidation d’équipe.

Mais surtout, de deux choses l’une. Ou bien France Télévisions est l’entreprise dynamique et performante dont se revendiquait Rémy Pflimlin depuis trois ans, et auquel cas rien ne justifie d’en faire passer les dirigeants à la trappe. Ou bien ça va très mal au point de devoir guillotiner tout un collège de directeurs et, dans ce cas, personne ne comprendra que celui qui en était le chef s’exonère de la responsabilité qui est la sienne dans cette situation.

De mauvais esprits (ça existe) pourraient aussi remarquer qu’il s’agit là de transformer profondément, radicalement, et la lettre et l’esprit du schéma que Rémy Pflimlin avait vigoureusement soutenu, au moment de sa nomination, en audition publique, devant le CSA.

À rebours de ce qu’avait pratiqué son prédécesseur (Patrick de Carolis, qui avait octroyé les pleins pouvoirs sur les programmes des chaînes à son bras droit, Patrice Duhamel) il avait alors prôné que seule une délégation de pouvoir à des directeurs de chaînes, confortés en véritables "patrons" de leur antenne, permettrait de donner un nouveau souffle au service public.

C’est à un reniement complet de cet engagement qu’on assiste avec l’évacuation des directeurs et l’intronisation de Bruno Patino en "néo-Duhamel". C’est le retour à une centralisation périlleuse, et la mise en place d’un "guichet unique" pour les programmes qui ne veut pas dire son nom. Il sera intéressant, au passage, de voir comment le CSA et son nouveau président, Olivier Schrameck, ignoreront, valideront, ou contesteront ce revirement décidé sans la moindre concertation en interne...

Plus immédiatement, le signal envoyé aux personnels de France Télévisions ne peut en aucun cas les rassurer. Comment faire confiance, demain, à un "président" dont chacun sait maintenant qu’il n’hésitera pas, pour "durer" un peu plus longtemps, à vous sacrifier sur l’autel des accommodements à faire avec le pouvoir ?

Car il faut savoir, et là réside l’aspect le plus équivoque de l’épisode en cours, que le scénario en est écrit avec la collaboration de ces forces vives de la réflexion sur l’audiovisuel contemporain que sont l’Élysée, Matignon, et la rue de Valois réunis. Trio de choc d’un État qui, c’est juré, "ne se mêle plus d’audiovisuel". Un pouvoir qui n’avait pas de mots assez durs pour stigmatiser "l’interventionnisme" public et brouillon de Nicolas Sarkozy dans les médias...mais qui procède aujourd’hui, dans l’opacité, avec le même sans-gêne. Gérant à sa manière un service public dont il ne sait ni que faire ni comment continuer à le financer.

N’ayant pas su profiter de son "état de grâce" (quand il y en eut un, ou presque, en juin dernier) pour affirmer sa volonté de changement, ce pouvoir en est réduit à devoir composer. Contraint à "coproduire" le hasardeux "coup d’État" auquel on assiste là. En association avec un président de France Télévisions qui, se sachant plus toléré que désiré dans son mandat, sait aussi se servir de cette ambiguïté comme d’un atout.

L’inertie, les divisions, et l’impréparation socialiste sur l’audiovisuel public ont offert un espace à Rémy Pflimlin pour les prendre à revers. Ce qu’il fait. En adoubant celui de son entourage qui présentait le meilleur profil gauche-compatible, et en faisant du même coup partager tous les risques de cette opération à l’État demandeur.

D’où l’ascension soudaine de Bruno Patino, "professionnel" dont la démonstration d’une aptitude à régénérer les programmes des chaînes publiques reste établir, mais qui présente l’avantage de satisfaire, à défaut de les enthousiasmer, des socialistes manifestement ignorants de l’urgence où est France Télévisions de se voir proposer un avenir plutôt qu’un arrangement entre faux amis.

En décimant ainsi le staff directorial sur lequel il s’appuyait jusque-là, et en propulsant si haut l’ambitieuse et providentielle inexpérience de Bruno Patino, Rémy Pflimlin vient de montrer jusqu’où il est permis, dans un système audiovisuel aussi vermoulu et biaisé que le nôtre, de se hisser sur son propre échec pour préparer celui des autres."

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