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Par Robert Fisk - The Independent

Quand « Sderot » s’appelait « Huj » et « Najd »

Dimanche, 23 décembre 2012 - 8h02 AM

dimanche 23 décembre 2012

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Je pensais avoir trouvé le village de Huj ce week-end - mais le panneau routier indiquait « Sederot ». Le monde connaît ce lieu sous le nom de Sderot, la ville israélienne où tombent les fusées du Hamas. Même Barack Obama s’y est rendu. Mais Huj a beaucoup à voir avec cette petite histoire.

1948 - Expulsion par les milices sionistes - soutenues par les Britanniques - des habitants palestiniens de Ramleh
D’après mes calculs sur la carte, Huj devait se situer, bien que depuis longtemps détruit, là où se trouvent aujourd’hui près de l’entrée de Sderot, un vieux centre de loisirs et une série de villas minables sur une petite rocade où les enfants israéliens jouaient l’après-midi de Shabat.

Les habitants de Huj étaient tous des musulmans arabes palestiniens et, comble de l’ironie, ils n’étaient pas en si mauvais termes avec les juifs de Palestine. Nous devons remercier l’historien israélien Benny Morris pour rappelé leur histoire, qui est aussi sinistre que pleine de souffrances.

Le jour où Huj a rencontré son destin fut le 31 mai 1948, quand le 7e bataillon de la brigade israélienne du Negev, faisant face à une armée égyptienne qui avançait, est arrivé dans le village. Selon les propres mots de Morris, « la brigade a expulsé les villageois de Huj… vers la Bande de Gaza ».

Curieux remerciements

Morris poursuit : « Huj avait traditionnellement été amical ; en 1946, ses habitants avaient caché des hommes de la Haganah d’une descente de police des Britannique. À la mi-décembre de 1947, lors d’une visite dans Gaza, le mukhtar de Huj (le maire) et son frère avaient été tués par une foule en colère qui les accusait de ’collaboration’. Mais fin mai, alors qu’une colonne égyptienne s’approchait, la brigade du Negev a décidé d’expulser les habitants - puis elle a pillé et fait sauter leurs maisons. »

Ainsi les habitants de Huj avaient aidé l’armée juive de la Haganah à échapper aux Anglais - et les seuls remerciements qu’ils ont obtenus, c’est d’être expulsés vers Gaza pour y devenir des réfugiés... Selon Morris, dans les trois mois qui ont suivi, les trois chefs des kibbutzim juifs les plus proches ont même porté plainte devant le Premier ministre israélien David Ben Gourion, au sujet du traitement infligé à leurs anciens voisins. Celui-ci écrivit en retour : « J’espère que le Quartier Général prêtera attention à ce que vous dites, et évitera de telles actions injustes et injustifiées à l’avenir, et qu’il réglera ces choses en ce qui concerne le passé, pour autant que possible. » Mais Ben Gourion n’a jamais ordonné à la nouvelle armée israélienne de permettre aux habitants de Huj de rentrer chez eux.

Le mois suivant, les mêmes sont à nouveau intervenus pour que ce retour soit autorisé. Le Département israélien des Affaires des Minorités a alors noté que les villageois méritaient un traitement spécial puisqu’ils avaient été « loyaux », mais l’armée israélienne décida qu’ils ne reviendraient pas. Par conséquent les Palestiniens de Huj n’ont pu que rester dans la bande de Gaza où leurs descendants vivent toujours sous le statut de réfugiés.

Mais le Sderot d’aujourd’hui, écrit l’historien Palestinien Walid Khalidi, fut construit aussi sur des terres arables appartenant à un autre village arabe palestinien appelé Najd, ses 422 habitants musulmans vivant dans 82 maisons. Ils faisaient pousser des agrumes et des bananiers, et cultivaient des céréales. Ils ont partagé le même destin que les gens de Huj. Les 12 et 13 mai 1948, la Brigade israélienne du Negev - toujours selon Morris - les a expulsés. Eux aussi ont été envoyés en exil à Gaza. C’est ainsi que s’est déroulée la purification ethnique de la Palestine, comme un autre historien israélien, Illan Pappé, l’appelle crument. L’expulsion du peuple qui a cultivé la terre sur laquelle Sderot serait construit...

Ironie

Vous pouvez voir Huj et Najd sur la carte de la Palestine mandataire, telle que reproduite par Munther Khaled Abu Khader. Sderot a été construit en 1951 mais Asraf Simi, qui est arrivé là en 1962 et a plus tard travaillé dans la bibliothèque locale, ne connaît rien de cette histoire. Elle a secoué ses épaules quand je l’ai interrogée. « Nous n’avons entendu parler de rien au sujet des Arabes par ici. Mon oncle est venu presque au début, vers 1955, et il vivait alors sous une tente - et nous tous avons pensé que ce serait l’une des villes les plus modernes en Israël ! Je n’ai pas peur - mais je ne suis pas contente du cessez-le-feu. Je pense que nous aurions dû y entrer [dans Gaza] pour en finir une fois pour toutes. »

Une autre ironie. Asraf Simi est née au Maroc et a appris l’arabe marocaine avant de partir pour Israël à l’âge de 17 ans. Et elle ne sait pas qu’aujourd’hui, dans la misère noire de Gaza, vivent bien plus de 6000 descendants des villageois de Huj. La tragédie de la Nakba palestinienne - la « catastrophe » - est ainsi directement liée aux Israéliens de Sderot.

C’est pourquoi ils ne peuvent pas « en finir une fois pour toutes ». Puisque les milliers de fusées artisanales qui sont tombées autour de Sderot au cours des 12 dernières années viennent du lieu même où vivent à présent les familles qui ont vécues sur cette terre. Sderot est ainsi intimement et directement liée à une date que le Président Obama a très probablement complètement occultée lors de sa visite : 1948, l’année dont le souvenir ne s’effacera jamais.

* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.