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Source : ISM

Umm al-Sahali : La vie dans un village palestinien en voie de disparition

Lundi, 17 décembre 2012 - 11h30 AM

lundi 17 décembre 2012

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Par Paul Karolyi

Le gouvernement israélien est en train de détruire lentement le village palestinien de Umm al-Sahali (district de Haïfa).

Les 80 habitants répartis en 13 petites maisons de ce village à l’intérieur de la ligne verte sont privés d’électricité et il leur est interdit de construire de nouvelles maisons sur leur propre terre, en contraste frappant avec les villes israéliennes voisines qui, bien qu’elles appartiennent à la même municipalité que Umm al-Sahali, jouissent de l’équipement nécessaire. Tous les jours, les habitants palestiniens se demandent quel sera leur lendemain. Périodiquement, un article relate, en dernières pages des quotidiens israéliens, la démolition d’une maison palestinienne. Ce mois-ci, c’est tout un village non reconnu qui est menacé de destruction.

Au début des années 50, Atif Mohammad Sawaed (Abu Walid), bédouin arabe, a acheté une petite parcelle à la municipalité de Shafa ’Amr. 60 ans après, le gouvernement israélien a décidé que le village qui a poussé sur cette terre, Umm al-Sahali, n’avait pas le droit d’exister.

Au début, Abu Walid voulait simplement construire une maison pour sa nouvelle femme et sa famille. La terre qu’il a achetée se trouve au sommet d’une colline, à moins de 2 km au sud de Shafa ’Amr, en basse Galilée. C’est un endroit magnifique. Depuis les marches du perron de la maison qu’il a construite, on voit scintiller les eaux bleues de la Méditerranée, la ville d’Haïfa et vers le nord, par temps clair, on peut même voir le Liban.

Au fur et à mesure que la famille Sawaed a grandi, Israël a fait de même tout autour. Dans les premières années de l’existence d’Israël, le gouvernement a institué une politique de « judaïsation » en Galilée. Sur la recommandation de David Ben Gourion, qui avait dit que voyager en Galilée n’était pas pareil que voyager en Israël, le gouvernement a saisi des milliers d’hectares de terre pour créer trois centres urbains pour les nouveaux immigrants juifs.

En plus de ces villes, de nombreuses banlieues juives ont été créées. Le but du projet était de réduire les menaces perçues d’un déséquilibre démographique de la nature juive de l’Etat. Bien que le terme de « judaïsation » soit passé de mode, les hommes politiques d’aujourd’hui continuent de parler ouvertement de défense contre « la menace arabe ».

Les Palestiniens vivant à l’intérieur de la ligne verte sont confrontés à un choix difficile. Il y a trop de pauvreté pour déménager dans les riches quartiers juifs, et les municipalités arabes sont surpeuplées. Il faut choisir soit de vivre dans des maisons déjà bondées, soit d’enfreindre la loi et de construire une maison sans permis.

A l’époque, 2.500 ha de terre ont été expropriées à Shafa ’Amr, une ville arabe à 25 km à l’est de Haïfa, au début pour usage militaire. Après une période assez raisonnable de « jachère », elles ont été aménagées pour la construction de colonies juives, et dans les années qui ont suivi la saisie initiale des terres de Shafa ’Amr, la population de ces colonies a augmenté.

En 1961, environ 8.000 personnes y vivaient. En 2009, ce chiffre a grimpé à plus de 35.000. Le gouvernement israélien n’a pas alloué suffisamment de terre à Shafa ’Amr pour suivre l’accroissement de la population. En 1962, Shafa ’Amr avait 1,073 ha, et en 2009, 1,9 ha.

Selon Abu Walid, les restrictions à l’expansion de Shafa ’Amr ont isolé Umm al-Sahali, qui fait aussi partie des nombreux villages « non reconnus » en Israël.

Dans les années 1970, en droite ligne de la démarche de « judaïsation », une ville nommée Adi a été construite à 2 km de Umm al-Sahali, sur des terres expropriées à Shafa ’Amr par Israël à des fins militaires. Les habitants juifs de Adi ont bâti des étables pour leur bétail, des aires de jeux pour les enfants, et tout ce qui constitue un espace résidentiel moderne et prospère. Parce que c’est une colonie juive, la terre sur laquelle Adi a été construite a été placée sous la compétence du Conseil régional Emek Yisrael plutôt que sous celle de la municipalité arabe de Shafa ’Amr. Etant donné la proximité de Umm al-Sahali avec Adi, l’administration de la terre d’Abu Walid relève aussi d’Emek Yisrael.

Les éléments spécifiques selon lesquels la municipalité détermine quelles banlieues elle contrôle sont importants pour la suite de l’histoire. Adi et Umm al-Sahali sont tous deux situés à l’intérieur des limites administratives de Emek Yisrael. Mais les résidents juifs de Adi reçoivent, en tant que citoyens, les services d’Emek Yisrael, tandis que les membres de la famille d’Abu Walid ont des papiers d’identité qui les déclarent résidents de Shafa ’Amr. lls votent à Shafa ’Amr. Leurs enfants vont à l’école à Shafa ’Amr. Ils dépendent des services médicaux de Shafa ’Amr. Pourtant, leur terre est à Emek Yisrael, il n’y a donc pas de transports pour emmener les enfants à l’école, pas d’électricité dans leurs maisons, et pas de connexion au réseau central d’assainissement. Les résidents d’Adi jouissent de tous ces services, et la ligne électrique qui relie Adi au réseau central passe par Umm al-Sahali, elle traverse même la terre d’Abu Walid et ignore sa maison !

En 1994, la situation d’Abu Walid et de sa famille s’est détériorée. Le tribunal de district d’Haifa a décidé que 6 des 13 maisons d’Umm al-Sahali devaient être détruites. Sans offrir à Abu Walid la moindre opportunité de faire appel de la décision ou de plaider sa cause, le gouvernement a mis en œuvre un plan pour les déloger du sommet de la colline.

Abu Walid dit qu’il ne sait pas pourquoi ils veulent détruire les maisons. Il fait l’hypothèse que c’est à cause de la situation stratégique du terrain. « Si on construit une tour ici, on peut voir l’université d’Haïfa, le Golan et les montagnes du Liban. » Il oscille entre cette opinion et une option agricole, « peut-être veulent-ils cette terre pour des fermes ou autres. »

Quel que soit le raisonnement obscur, au bout de 4 ans, les ordres de démolition sont entrés en vigueur. En 1998, on a entendu, sur la route qui mène à la paisible communauté de Umm al-Sahali, le grondement sinistre des pneus des bulldozers si familier aux Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza.

Quelque chose d’inattendu s’est produit ensuite. La communauté s’est rassemblée derrière la famille d’Abu Walid. Et pas seulement les Palestiniens vivant à Shafa ’Amr. Au fil des ans, de nombreux juifs vivant à Adi avaient grandi aux côtés de leurs voisins d’Umm al-Sahali et ils avaient noué des relations personnelles. Alors, quand les bulldozers ont commencé à démolir les bâtiments, les gens sont arrivés en masse. Ce qui a débuté comme des protestations s’est transformé en émeutes quand la police est arrivée. Des centaines de personnes ont été arrêtées et entre 40 et 50 ont été blessés dans les tirs croisés de grenades lacrymogènes, de balles caoutchouc-acier et de balles réelles. Bien que les manifestants aient réussi à stopper les démolitions, 3 maisons ont été détruites ce jour-là.

La communauté avait pleinement embrassé la cause de la famille d’Abu Walid contre le gouvernement. Non seulement ils ont protesté par centaines contre les démolitions, mais ils sont aussi restés là pour aider à la reconstruction. Depuis, les 3 maisons démolies ont été reconstruites.

Depuis 1998, Abu Walid s’est plus préoccupé de trouver un logement convenable pour sa famille que de politique nationale. Malgré les pétitions pour construire davantage de maisons, le Conseil régional Emek Yisrael refuse tout permis de construire à Umm al-Sahali.

« Il y a des hommes de 30 ans qui vivent dans les maisons où ils sont nés, » dit Abu Walid. « Ils ne peuvent pas se marier et fonder une famille. » Aujourd’hui, les 80 habitants de Umm al-Sahali vivent dans 13 petites maisons.

Au début de cette année, le fils d’Abu Walid, Sayid Sawaed, s’est marié. En désespoir de cause, lui et sa nouvelle épouse ont construit une petite structure en aluminium à côté de la maison de leur père. Ils n’appellent même pas ça une maison parce que ce n’est pas une structure permanente. Ils préfèrent un mot plus approprié, une « baraque ». L’ironie de ce nouveau foyer de Sayid est que malgré son aspect extérieur miteux et délabré, à l’intérieur elle est pleine d’articles de luxe. Il a équipé son nouvel espace de fauteuils en cuir, de nombreux appareils de cuisine et même d’une télévision à écran plat. L’argent n’est pas le problème. Il est évident qu’ils ont les moyens de construire de vraies maisons. C’est simplement que le gouvernement leur refuse les permis.

L’écran plat peut sembler incongru dans un village rural sans connexion au réseau électrique, mais Abu Walid et sa famille ont trouvé d’autres moyens d’avoir l’électricité. Au début, ils ont acheté de gros générateurs portatifs. Chaque maison avait son générateur et, bien que ce soit loin d’être parfait, c’était suffisant. Malheureusement, le conseil municipal d’Adi a reçu des plaintes à cause du bruit de générateurs. ll en a référé au conseil régional, qui n’a pas tardé à les saisir.

Abu Walid me raconte tout ceci pendant que nous faisons le tour de Umm al-Sahali. Me montrant un petit bâtiment au loin, il dit : « Tu vois ça ? C’est une écurie pour les chevaux. Les gens d’Adi ont l’électricité et l’air conditionné pour leurs chevaux, et nous, rien. »

En traversant Umm al-Sahali aujourd’hui, l’ingéniosité des habitants face aux contraintes bureaucratiques est manifeste. Pour chaque restriction qu’impose le gouvernement israélien sur la terre d’Abu Walid, lui et sa famille trouve un moyen de la contourner. C’est ainsi que lorsque les générateurs ont été arbitrairement saisis, les habitants d’Umm al-Sahali ont équipé chacune des 13 maisons de panneaux solaires. 50 ans de luttes pour trouver les moyens innovants de contourner les intrusions du gouvernement. Après les derniers développements, cependant, les jours d’alternatives résilientes sont peut-être comptés.

Suite à la construction de la « baraque » de Sayid, le tribunal de district d’Haïfa a une fois de plus ordonné la démolition des maisons d’Umm al-Sahali. Abu Walid et son frère sont allés faire appel de la décision auprès du Conseil régional Emek Yisrael. Ils ont eu plusieurs rencontres avec divers fonctionnaires, mais c’est le gouverneur général qui a eu le dernier mot. Il a dit qu’Umm al-Sahali avait droit à 6 maisons, pas une de plus, et il a condamné les 7 autres à la démolition.

Contrairement à quelques autres « villages non reconnus » (comme al-Arakib ou Al-Sira), le gouvernement n’a proposé aucun autre hébergement à la famille Sawaed.

Ma visite à Umm al-Sahali a coïncidé avec l’annonce de la date officielle de la première démolition. Depuis le mardi 14 novembre 2012, Sayid et sa femme vivent dans la peur de trouver, à leur réveil, les bulldozers qui détruiront leur maison. Ils ne savent pas quand cela arrivera, peut-être dans une semaine, un mois ou même une année ; mais ils savent qu’ils viendront.

Les perspectives sont sombres, et plus encore qu’il paraît. Abu Walid connaît la solution à cette crise. Il pense que Umm al-Sahali devrait être intégré à la municipalité de Shafa ’Amr. Avec les routes qui mènent à la ville, les autobus qui passent près de sa maison et les lignes électriques, Abu Walid pourrait enfin envoyer ses enfants à l’école à l’heure et avoir un peu de lumière le soir pour qu’ils puissent faire leurs devoirs. La municipalité de Shafa ’Amr est sur le point d’approuver le projet et le Haut Comité de suivi arabe le soutient également.

Malheureusement, le gouvernement israélien n’acceptera jamais la proposition, qui impliquerait d’étendre les limites de Shafa ’Amr et d’autoriser l’expansion d’une municipalité arabe. Dans son refus d’effectuer cette modification du plan d’urbanisme, l’Etat d’Israël affiche sa stratégie, à savoir que le maintien d’un équilibre démographique favorable pour lui est en tête de ses priorités, loin de la protection et de la préservation du bien-être de ses citoyens.

Abu Walid décrit ce qu’il ressent de voir sa proposition étouffée : « Je veux seulement être libre sur ma terre. Je me fiche de comment ça se passe. C’est une occupation et c’est ça qui doit être réglé. »

Les droits humains de 80 personnes sont foulés au pied parce que le gouvernement israélien refuse d’autoriser l’expansion de la municipalité de Shafa ’Amr. En 64 ans d’existence, Israël n’a jamais cessé de traiter en ennemie la minorité arabe palestinienne. Le bourbier bureaucratique à Umm al-Sahali est une « judaïsation » sous une autre forme, une nouvelle manière de contrer ce qu’Israël perçoit comme « la menace arabe ». Il n’est donc pas surprenant que Abu Walid insiste, « Umm al-Sahali est comme Gaza... Nous vivons en état de siège. »

Source : Al Akhbar

Traduction : MR pour ISM