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Par Uri Avnery

Vengeance froide : prenez garde à Lieberman !

Mardi, 11 décembre 2012 - 8h51 AM

mardi 11 décembre 2012

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Juste avant les primaires du Likoud, Netanyahou a fait une chose incroyable : il a conclu un accord avec Lieberman pour combiner leurs deux listes électorales.

« La vengeance est un plat qui se mange froid » est une sentence attribué à Staline. J’ignore s’il a vraiment dit cela. Tous les témoins possibles ont été exécutés depuis bien longtemps.

Quoi qu’il en soit, le goût de la vengeance à retardement n’est pas un trait de caractère israélien. Les Israéliens sont plus impulsifs. Plus immédiats. Ils ne planifient pas. Ils improvisent.

De ce point de vue, Avigdor Lieberman n’est pas israélien. Il est russe.

Quand « Evet », comme on l’appelle en russe, a choisi sa faction à la Knesset il y a quatre ans, comme toujours il a agi selon sa toquade du moment.

Foin de toutes ces inepties que sont la démocratie, les primaires et tout ça. Il y a un chef, et c’est le chef qui décide.

Il y eu cette très belle jeune femme de St Pétersbourg, Anastassia Michaeli. Pas très brillante, sans doute, mais agréable à contempler pendant les ennuyeuses séances à la Knesset.

Après, il y a eu cet aimable jeune homme au nom très russe, Stas Misezhnikov, imprononçable pour un Israélien. Il est populaire parmi les immigrants russes. Davaï [allons-y !], acceptons-le.

Et ensuite, ce diplomate israélien, Danny Ayalon, il pourrait s’avérer utile si je deviens Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères …

Mais les toquades passent, et les personnes élues restent élues pour quatre années.
La beauté s’est révélée une brute, en plus d’être stupide. Lors d’une réunion publique d’une commission de la Knesset, elle s’est levée et a lancé un verre d’eau sur un parlementaire arabe. Une autre fois, elle a agressé physiquement une parlementaire arabe sur l’estrade de la Knesset.

L’aimable Russe était un peu trop aimable. Il buvait et organisait régulièrement des parties fines pour sa maîtresse à l’étranger, aux frais de son ministère. Même ses gardes du corps se sont plaints.

Et le diplomate a décroché le pompon, quand il a invité les journalistes à assister à l’humiliation infligée à l’ambassadeur de Turquie, qu’il a installé sur un siège très bas lors d’une réunion. Ce qui a entraîné l’incident de la fameuse flottille turque et a causé aux intérêts israéliens des dommages incalculables. Ayalon est aussi un responsable compulsif de fuites.

Lieberman n’a pas réagi à tout ceci. Il a défendu ses gens et a critiqué leurs critiques, qui n’étaient de toute façon que des ordures gauchistes.

Mais à présent le moment est venu de positionner la faction de Lieberman pour la prochaine Knesset, et à nouveau sans toutes ces inepties démocratiques. A leur profonde consternation, les trois ont été virés avec cinq minutes de préavis. Le tout sans une once d’émotion. Froid, froid.

On ne plaisante pas avec les goûts de Lieberman. Pas plus qu’avec ceux de Vladimir Poutine & Co.

Si j’étais Benjamin Netanyahou, je ne me ferais pas de souci avec Abbas, Ahmadinejad, Obama, Morsi et l’opposition alliée à la Knesset. Tout ce dont je me soucierais, c’est de Lieberman, quelque part derrière mon dos. Je me ferais vraiment beaucoup, beaucoup de souci. A chaque instant, à chaque seconde.

Il y a deux semaines, deux choses numineuses se sont produites, qui peuvent avoir hâté le renvoi politique du roi « Bibi ». L’une n’était pas de son fait, l’autre l’était.

Aux primaires du Likoud, dominées par les manipulations et les accords scabreux, une nouvelle faction de la Knesset a été choisie, presque exclusivement composée de gens de l’extrême-droite, y compris des fascistes absolus, dont beaucoup de colons et leurs affidés. A l’encontre des souhaits de Netanyahou, tous les gens de la droite modérée ont été virés sans cérémonie.

Bien sûr Netanyahou est lui-même d’extrême-droite. Mais il aime se poser en homme d’Etat modéré, responsable, mature. Les modérés lui servent d’alibi.

Le nouveau Likoud n’a plus rien à voir avec l’initial parti « révisionniste » qui a été son précurseur. Le fondateur du parti il y a environ 85 ans, Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky, un journaliste et poète né à Odessa et formé en Italie, était un démocrate fortement nationaliste et très libéral. Il a inventé un mot hébreu spécial (« Hadar ») pour le Juif idéal dont il avait eu la vision : juste, honnête, correct, combattant durement pour ses idéaux, mais également magnanime et généreux envers ses adversaires.

Si Jabotinsky pouvait voir ses derniers héritiers, il serait révolté. (Il a un jour conseillé à Menahem Begin, un de ses élèves, de se précipiter dans la Vistule s’il ne croyait pas à la conscience de l’humanité).

Juste avant les primaires du Likoud, Netanyahou a fait une chose incroyable : il a conclu un accord avec Lieberman pour combiner leurs deux listes électorales.

Pourquoi ? Sa victoire électorale semblait déjà assurée. Mais Netanyahou est un tacticien compulsif, pas un stratège. C’est aussi un lâche. Il veut la jouer sûre. Avec Lieberman, sa majorité est aussi solide que Fort Knox.

Mais qu’est-ce qui va se passer à l’intérieur de la forteresse ?

Devenu numéro 2, Lieberman accaparera pour lui-même le ministère le plus important et le plus puissant : la Défense. Il attendra patiemment, comme un chasseur guette sa proie. La faction alliée sera beaucoup plus proche en esprit de Lieberman que de Netanyahou. Lieberman, froid calculateur, attendra que Netanyahou soit acculé par la pression internationale à faire certaines concessions aux Palestiniens. A ce moment-là, il bondira.

Cette semaine nous en avons vu le prélude. Après que l’Onu eut reconnu de manière écrasante la Palestine comme Etat, Netanyhou en guise de « représailles » annonçait son projet de construire 3.000 nouvelles habitations dans les territoires palestiniens occupés (TPO), y compris à Jérusalem-Est, l’incontournable nouvelle capitale de la Palestine.

Il soulignait sa détermination à remplir la zone nommée E1, l’espace encore vierge entre Jérusalem-Ouest et l’implantation géante de Ma’aleh Adumim (qui à elle seule a un espace municipal plus grand que Tel Aviv). Cela couperait effectivement le nord de la Cisjordanie de sa partie sud, hormis un étroit couloir près de Jéricho.

La réaction du monde a été plus forte que jamais auparavant. Indubitablement encouragés en coulisses par le Président Obama, les pays européens ont convoqué les ambassadeurs de Lieberman pour protester contre cette manœuvre. (Obama lui-même est bien trop couard pour le faire lui-même). Angela Merkel, qui joue habituellement le rôle de carpette sous les pieds de Netanyahou, l’a mis en garde contre la possibilité d’un isolement total d’Israël.

Si Merkel pense que cela intimiderait Netanyahou ou les Israéliens en général, elle se trompe largement. En fait les Israéliens voient l’isolement d’un bon œil. Pas parce qu’il est « splendide », comme le croyaient les Britanniques, mais parce qu’il confirme une fois encore que le monde entier est antisémite et qu’on ne peut lui faire confiance. Alors, qu’il aille au diable.

Qu’en est-il des autres partis ? J’ai failli demander : quels Partis ?

Dans la politique israélienne, avec ses dizaines de partis, ce qui compte vraiment, ce sont les deux blocs : la droite religieuse et … eh bien, l’autre droite.

Il n’y a pas de bloc « de gauche » en Israël. Aujourd’hui, la gauche est comme l’homosexualité d’Oscar Wilde « l’amour qui n’ose dire son nom ». A part cela, tout le monde prétend aujourd’hui être « au centre ».

Un problème apparemment bénin a beaucoup attiré l’attention cette semaine. Le Parti Travailliste de Shelly Yachimovich a mis fin à son accord déjà long de " votes de rechange" avec Meretz, pour conclure un nouvel accord avec le Parti « Il y a un Futur » de Ya’ir Lapid.

Dans le système électoral israélien, qui est strictement proportionnel, on prend grand soin de ne pas perdre un seul vote. C’est pourquoi deux listes électorales peuvent conclure un accord préalable pour combiner les votes qui leur restent en plus avec ceux d’après l’attribution des sièges, si bien que l’une peut obtenir les sièges de l’autre.

Dans certaines situations, un siège additionnel peut être décisif dans la division finale entre les deux blocs principaux.

Les travaillistes et Meretz avaient une alliance naturelle. Tous deux étaient socialistes. Vous pouviez voter pour les travaillistes et rester satisfait que votre vote aide en fin de compte un autre membre de Meretz à être élu. Déporter cet arrangement d’un parti à l’autre est significatif – surtout si l’autre est une liste creuse, dénuée de toute idée sérieuse mais avide de se joindre le gouvernement.

Ne représentant rien d’autre que le charme personnel de Lapid, ce parti pourrait garnir quelque huit sièges. Il en va de même pour le tout nouveau « Mouvement » de Tzipi Livni, un ramassis constitué en dernière minute.

Meretz est un parti ancien et loyal, parlant vrai et non entaché de corruption. Malheureusement son charisme est aussi terne que celui d’une vieille bouilloire. Pas de nouveaux visages excitants, à une époque où les visages comptent plus que les idées.

Les communistes sont considérés comme un parti « arabe », bien qu’ils aient un candidat juif. Comme les deux autres partis « arabes », ils ont peu d’influence, surtout depuis que près de la moitié des citoyens arabes ne votent plus du tout, par indifférence ou par dégoût.

Restent les Travaillistes. Mme Shelly Yachimovich a réussi à faire ressusciter son parti à moitié mort et lui a insufflé une nouvelle vie. De nouveaux minois enjolivent la liste électorale, même si certains candidats ne se parlent pas. Ces dernières heures, Amir Peretz, l’ancien ministre de la Défense, a quitté Shelly pour Tzipi.

C’est donc ça, la nouvelle opposition ? Non, pas s’il s’agit de petits dossiers comme la paix (un mot à éviter), l’énorme budget militaire (idem), l’occupation, les colons (Shelly les aime), les orthodoxes (Shelly les aime aussi). Sous la pression, Shelly admet qu’elle est « pour la solution à deux états », mais en Israël aujourd’hui cela ne veut pas dire grand-chose. Chose plus importante, elle refuse catégoriquement de s’engager à ne pas se joindre à une coalition Netanyahou-Lieberman.

Il pourrait bien s’avérer que le vainqueur des élections, dans six semaines, sera Avigdor Lieberman, l’homme à la vengeance froide. Et ce sera aussi le début d’un nouveau chapitre.

* Uri Avnery, né en 1923 en Allemagne, est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.