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Source : Info-Palestine

Il est facile d’oublier le passé si vous n’en portez pas les cicatrices

Dimanche, 4 novembre 2012 - 17h55

dimanche 4 novembre 2012

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Melkam Lidet
Miftah

Il est si facile en Israël d’oublier et de vivre dans l’oubli.

Il est facile de ne pas savoir, ou de ne pas se soucier de l’histoire de l’injustice de laquelle est né l’État d’Israël, alors que le soi-disant État palestinien attend toujours d’exister. Restez un peu dans Jérusalem-Ouest, marchez dans les rues aux noms hébreux, dinez dans un restaurant avec un menu hébreu et un repas kasher, et circulez à la périphérie de Jérusalem sur ses belles autoroutes toutes bordées de bosquets d’arbres, et il est facile de ne rien savoir de ce qu’il y a derrière ce que vous voyez. Il est trop facile d’oublier les villages palestiniens qui étaient là autrefois, les habitants palestiniens qui y vivaient, l’occupation israélienne de la Cisjordanie et la lutte palestinienne qui se poursuit pour la liberté.

Là où j’ai réalisé comment, en Israël, tout est « construit pour oublier », c’est quand j’ai conduit de Jérusalem vers le sud, vers le Néguev et Eilat. Sur l’autoroute à la sortie ouest de la ville, juste à quelques kilomètres de Jérusalem, vous pouvez voir des bosquets d’arbres dans ce qui pourrait paraître comme des réserves forestières. Sur les côtés, la route est elle-aussi bordée de rangées d’arbres et de buissons. Si vous ne connaissez pas l’histoire de l’injustice sur cette terre, il est facile de vous en tenir seulement à rouler, impressionné par cette verdure dans un « Moyen-Orient » plutôt aride. Vous pourriez même aller jusqu’à féliciter Israël, lui étant reconnaissant d’avoir fait du bon travail. Mais la vérité, c’est que beaucoup de ces coins sympas qui existent aujourd’hui sont construits sur les ruines de villes et villages palestiniens. Les forêts ont été plantées sur des terres palestiniennes privées confisquées, et les arbres sur le côté des routes sont plantés là pour « couvrir les crimes » commis par la Palmach, la Haganah et les autres forces juives dans le sillage de la Nakba en 1948. Des sources historiques affirment qu’environ 500 villes et villages palestiniens arabes ont été vidés de leur population durant la Nakba. Beaucoup ont été rasés tandis que d’autres ont été laissés avec uniquement quelques habitants, et d’autres encore ont été repeuplés avec des résidents juifs et leur nom changé. L’un de ces villages complètement dépeuplé est le village de Lifta.

Lifta, l’un des villages palestiniens dépeuplés par les hordes sionistes pour créer l’État d’Israël
Lifta se trouve à cinq kilomètres à l’ouest de Jérusalem. Autrefois, c’était un petit mais dynamique village palestinien de plus de 2900 habitants jusqu’à la veille de la Nakba. Après les attaques terroristes des forces juives en 1947 et le déclenchement de la guerre en 1948, les habitants ont dû fuir leurs maisons ; ce qui reste du village aujourd’hui, ce sont des maisons abandonnées à flanc de falaise. C’est l’un des rares villages palestiniens totalement dépeuplés restés en grande partie intacts. Bien sûr, alors que l’impunité s’implante en Israël, rien n’indique ce qu’ils ont été autrefois et ceux qui ont vécu dans ces villages. Il n’y a aucun panneau ni mémorial relatant ce qu’il s’est passé ici. En revanche, Israël tente d’enfouir l’héritage du passé des villages comme Lifta sous des rangées de grands arbres, ou de les détruire dans leur intégralité sans en laisser la moindre trace pour y construire d’autres colonies juives.

Comme si cette histoire de dépopulation ne suffisait pas, il a été procédé à une expulsion constante, par la force, de la population arabe/bédouine à l’intérieur d’Israël. Plus au sud dans le désert du Néguev, il y a les Bédouins, ou les « Arabes du Néguev » comme ils s’appellent maintenant eux-mêmes. Les Bédouins vivent dans le désert depuis des milliers d’années, sous différentes civilisations et gouvernements. Ils étaient là bien avant la naissance ou la reconnaissance internationale d’Israël. Et pourtant, Israël refuse de reconnaître leurs villages et leurs propriétés foncières parce qu’Israël, sioniste, ne les voit que comme une menace pour le contrôle juif de la terre, une menace, quelques milliers d’Arabes qui vivent sur une immense bande de terre.

Depuis les années soixante-dix, Israël favorise la « judaïsation » du Néguev, enlevant leurs terres aux Bédouins pour y installer des juifs et y monter des installations militaires. Tandis que les juifs s’y engouffrent, les Arabes du Néguev sont ghettoïsés dans des villages construits par le gouvernement avec des services publics restreints, sans l’appui d’industries et activités commerciales pour proposer des emplois aux habitants. Incapables de pratiquer leur mode vie traditionnel et notamment l’élevage de bovins, les Bédouins se retrouvent au bas de la hiérarchie sociale israélienne et confrontés à une pauvreté extrême. Ceux qui attendent d’être expulsés et qui sont toujours dans ces villages « non reconnus » sont encerclés par de nombreuses bases militaires et vivent sans eau ni électricité, alors que la route d’accès à leur village et l’autoroute qui descend vers Eilat sont illuminées. Et les bases militaires tous les quelques kilomètres sont des oasis avec leurs propres installations et services.

Bien qu’ils constituent environ 12 % de la population arabe d’Israël, les Bédouins sont de loin les « citoyens invisibles d’Israël ». La terre sur laquelle ils vivent, le désert du Néguev, n’est pas arable ni propice à la vie, mais elle fournit un espace tellement nécessaire aux besoins militaires insatiables d’Israël. Israël, l’un des plus petits pays mais pourtant le plus fortement militarisé au monde, continue de regarder l’espace vital des Bédouins comme le terrain de jeu de son armée.

Lifta peut être considéré comme entré dans l’histoire, quelque chose qui s’est produit il y a un demi-siècle. L’importance du temps passé ou les progrès que nous, humains, aimons à penser avoir faits dans nos valeurs d’égalité entre humains, de dignité et du caractère sacré de la vie, pourraient nous conduire à croire que le nettoyage ethnique, la discrimination raciale ou l’apartheid systémiques sont des éléments du passé. Mais en Israël, la vérité est que ce n’est pas seulement le passé, c’est aussi le présent. Plus alarmant encore est le fait que c’est son projet pour l’avenir : la confiscation des terres et la ghettoïsation en Cisjordanie, la judaïsation de Jérusalem, l’inégalité et la discrimination raciales systémiques contre les Palestiniens, les colonies isolées racialement implantées en haut des villages palestiniens et sur des terres privées palestiniennes, sont des politiques et des ramifications de l’occupation israélienne, au présent. Mais il faut que les Israéliens et les internationaux qui n’en ont pas conscience sachent que la mémoire du passé et l’enseignement de l’histoire sont les seuls moyens que nous ayons pour empêcher que l’avenir soit le prolongement de l’apartheid et du nettoyage ethnique contre les Palestiniens. Ce sont les seuls moyens que nous ayons pour nous identifier à ceux qui subissent tout le poids de l’occupation israélienne, car il est facile d’oublier la brutalité du passé si vous n’en portez pas les cicatrices.

* Melkam Lidet écrit pour le département communication et information du Miftah (Initiative palestinienne pour la promotion du dialogue mondial et la démocratie). Elle peut être jointe à l’adresse : mid@miftah.org.

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