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A propos, notamment, du Plan PROWER

Les Palestiniens oubliés : la minorité arabe dans l’Etat juif

Mardi, 12 juin 2012 - 13h52

mardi 12 juin 2012

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Par Nathalie Oberweis et Carole Reckinger

Après une dizaine de jours d’études, d’entretiens et de témoignages dans les territoires palestiniens, fatiguées et émotionnellement vidées, nous rentrons dans l’Etat d’Israël pour la dernière étape de notre voyage.

Au nord du pays dans la région de Galilée, nous visitons le berceau familial de Jésus et la plus grande ville arabe du pays, Nazareth, construite sur une colline surplombant la plaine de Jezréel. Dans le quartier arabe, nous rencontrons Mohammed Zeidane, directeur de la „Arab Association for Human Rights“. Ce quadragénaire chauve à la voix douce, le nez chaussé de petites lunettes rectangulaires, nous peint un sombre tableau de la situation des palestiniens israéliens.
Nous comprenons vite que l’attention du monde entier reste fixée sur le conflit israélo-palestinien, mais peu d’attention est donnée au conflit au sein même de l’État d’Israël. Mohammed Zeidane fait partie de la minorité palestinienne détentrice de la citoyenneté israélienne. Lors de la naissance de l’État d’Israël en 1948, seulement environ 150.000 Palestiniens (musulmans et chrétiens) n’ont pas été expulsés hors des frontières de l’État d’Israël. Beaucoup ont été déplacés à l’intérieur du pays et se sont retrouvés sous juridiction israélienne à la fin de la guerre. Aujourd’hui, les quelques 1.350.000 descendants (en incluant les citoyens arabes de Jérusalem Est) forment environ 20% de la population israélienne.

Etat du peuple juif

En théorie, l’État d’Israël considère les Arabes israéliens comme des citoyens „non juifs“ égaux en droit. Mohammed Zeidane explique que „depuis le début, l’État d’Israël était créé pour les juifs, et non pas pour tout le monde. En réalité cela veut dire qu’en théorie un juif luxembourgeois qui n’est pas citoyen a plus de droits en Israël qu’un palestinien avec citoyenneté israélienne. Si vous n’êtes pas juif, vous n’êtes pas citoyen à part entière. L’État a un caractère politique lié à la religion. Ceci a eu un impact sur toutes les lois de base“.

Selon Zeidane, ceci a créé deux niveaux de citoyenneté basés sur la religion. De 1948 à 1966, les arabes israéliens détenteurs de la citoyenneté israélienne vivaient sous un „gouvernement militaire“, dérivé des lois d’exception du mandat britannique, et deux systèmes légaux ont été appliqués. Il y avait un tribunal civil pour les juifs et un tribunal militaire pour les arabes (chrétiens et musulmans). Leur liberté de mouvement et leur possibilité d’accès aux activités économiques était limitée et l’accès à l’éducation restreinte. Depuis 1966, la loi a été abolie (mais est maintenant en vigueur dans les territoires occupés, sous contrôle de l’armée israélienne). Ceci ne voulait pour autant pas dire l’instauration de droits égaux.
Aujourd’hui, environ 30 lois israéliennes sont directement discriminatoires envers les citoyens arabes. Les Juifs, par exemple, peuvent bénéficier de la loi du retour, qui permet aux conjoints éventuellement non juifs des Israéliens juifs de s’installer en Israël et d’en devenir citoyens à part entière. Ceci n’est pas le cas pour le conjoint arabe d’un citoyen arabe d’Israël. Mohammed Zeidane nous rappelle que l’instauration de mesures législatives visant à diviser la population autour de critères raciaux est une des caractéristiques d’un Etat d’apartheid.

L’expropriation des terres arabes

Le mouvement sioniste s’est fixé pour but la „libération de la terre d’Israël“, d’abord par l’acquisition des terres, puis, après 1948, à travers d’expropriations massives. En 1950, le gouvernement israélien a adopté la loi du retour afin de faciliter l’immigration juive en Israël et l’absorption des réfugiés juifs. Le droit de „la Propriété des Absents“ de mars 1950 a transféré les droits de propriété des propriétaires absentéistes à un dépositaire désigné par le gouvernement. La loi définit un „absent“ comme une personne qui „pendant la période du 29 novembre 1947 au 1er septembre 1948, se trouvait quelque part ailleurs que sur le territoire d’Israël ou ayant tenté d’empêcher l’établissement de l’État d’Israël ou qui le combattait après sa création” . Mohammed Zeidane explique que ce droit a également été utilisé pour confisquer les terres des citoyens arabes d’Israël, les „présents-absents“, qui étaient présents à l’intérieur de l’État, mais classés par la loi comme „absents“. Pendant la période de l’état d’urgence, plus de 60% des terres ont été confisquées. Pour Mohammed Zeidane, „la terre est utilisée comme un outil de contrôle de la minorité“.

La première révolte collective des Arabes d’Israël contre la politique de „judaïsation“ de la terre et le tournant dans la politique d’expropriation massive des terres arabes furent les événements du „jour de la terre“, le 30 mars 1976. Ce „jour de la terre“, célébré chaque année depuis 1976, est perçu comme le début de l’éveil à l’identité des arabes de 1948 et a conduit a un ralentissement des confiscations. Aujourd’hui, l’État d’Israël contrôle 93% de la terre, c’est-à-dire que 93% des terres sont considérées comme propriété de l’État – un pourcentage même supérieur à celui de l’Etat Soviétique. Alors que les citoyens arabes constituent 20 % de la population, ils ne sont propriétaires que de 3,5 % des terres de l’État d’Israël .

Faire fleurir la terre

Un mythe israélien explique que les Juifs ont „fait fleurir le désert“ et ont rendu fertiles des terres auparavant inexploitables. Dès 1948, le nouvel Etat hébreu se fixe comme but de faire fleurir le désert du Néguev pour rassembler la diaspora juive et absorber les flux migratoires. Constituant 60 % de la surface de l’État d’Israël, le vaste désert du Néguev n’abrite que 8 % de sa population. David Ben Gourion prônait déjà le retour des Juifs dans cette région : „c’est dans le Néguev que la créativité et l’esprit pionnier et courageux d’Israël seront mis à l’épreuve“.

Les Bédouins vivent dans le Néguev depuis des milliers d’années et sont traditionnellement des pasteurs nomades. En 1952, il ne restait que 12.000 des environ 65.000 Bédouins y vivant auparavant : les autres ont été persuadés, d’une manière ou d’une autre, de quitter le pays. Ceux qui sont restés ont perdu l’accès à pratiquement tout leur territoire et ils n’ont eu d’autre choix que de devenir sédentaires et d’abandonner de grandes parties de leur mode de vie traditionnel.

Les palestiniens oubliés

„Nous sommes les Palestiniens qui ont été oubliés“ résume Amal Elsana-Alhjooj la situation des Bédouins du Néguev. Le jeune femme au foulard rouge engagée pour les droits des bédouins était passée au Luxembourg dans le cadre d’une tournée européenne de huit femmes palestiniennes à l’occasion de la journée mondiale de la femme le 8 mars 2012.

Selon le journaliste Neve Gordon, le „problème des Bédouins a moins à voir avec des droits qu’avec la nécessité de gérer des situations à risques“1. Depuis la création de l’Etat d’Israël, la politique envers les arabes du Néguev est aussi celle de l’expropriation, du transfert, du confinement et de l’urbanisation. Avec un taux de chômage très élevé, les Bédouins ont aujourd’hui le plus faible statut socio-économique dans le pays. Le taux de naissance annuel moyen chez les Bédouins est de 7%, et 63% d’entre eux sont âgés de moins de 18 ans. Selon l’Institut israélien pour la Démocratie, seulement 16% des citoyens juifs d’Israël vivent en dessous du seuil de pauvreté, le chiffre pour les non Juifs s’élève à 50%.

C’est à travers l’urbanisation, l’industrialisation et la normalisation de la sédentarisation que le mode de vie traditionnel des Bédouins, à l’origine pastorale et semi-nomade, fut bouleversé. Des restrictions de pâturage les ont poussés à migrer vers les villes ou les ont confinés dans des espaces restreints. Depuis 1948, Israël a construit des dizaines de villes et de villages juifs tout en poussant les Bédouins dans des enclaves plus en plus petites. Dès 1962, trois villes spéciales pour les Bédouins ont été créées : Tel el-Sabe (Tel Sheva), Rahat et Kseife, quatre autres s’y étant ajoutées depuis lors. Environ la moitié des Bédouins ont dû quitter leurs terres et déménager dans l’une des sept villes construites par le gouvernement. L’objectif de cette politique de transfert systématique dans les villes était de „sécuriser le contrôle du gouvernement sur les terres des Bédouins…et de prévenir qu’ils se dispersent sur un territoire vaste“. Aujourd’hui, la moitié de la population bédouine est classée „urbaine“. Les sept villes spéciales pour les Bédouins sont vite devenues des centres urbains délaissés, pauvres, dépourvus de services et d’emplois et marqués par la criminalité.

Ceux qui ont résisté à la politique gouvernementale de sédentarisation se retrouvent dans 45 villages non reconnues par le gouvernement israélien que l’on ne retrouve pas sur les cartes. Les habitants de ces villages non reconnus sont sous la menace permanente de voir leurs maisons démolies et d’être poursuivis pour un usage „illégal“ des terres appartenant à l’État. Ils n’ont pas d’électricité ni d’eau courante, ni de routes ou de transports publics alors qu’ils sont pourtant citoyens israéliens. Ces villages sont souvent des foyers de résistance comme le prouve le village Al-Arakib qui a été détruit au moins 30 fois et à chaque fois reconstruit par la population locale avec le soutien d’organisations qui s’engagent pour les droits des Bédouins. Pour les habitants de ces villages, impossible d’avoir des permis de construction.

Le plan Prawer

En septembre 2011, le cabinet israélien a approuvé le plan Prawer – d’après Ehud Prawer, le Directeur de la Division Planification stratégique auprès du Premier Ministre – visant à déplacer 30.000 Bédouins hors des villages non reconnus. Si la Knesset passe cette loi, cela permettra à Israël d’intensifier son effort pour déposséder les Bédouins du Néguev. Les organisations des droits de l’Homme dénoncent cette urbanisation forcée et estiment d’une part que des alternatives n’ont pas été considérées et d’autre part que les villages existent depuis des dizaines d’années, datant souvent d’avant la création d’Israël. Le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale des Nations Unies a déclaré que la Loi de Régulation des camps bédouins dans le Néguev est discriminatoire et légaliserait des pratiques racistes et a appelé au retrait du plan Prawer.

Le plan Prawer s’inscrit dans le plan national pour le développement du Néguev 2005-2010 qui profite prioritairement aux résidents juifs . En effet, les efforts de confinement et de contrôle des Bédouins vont de pair avec la judaïsation de la région. Le Fond National Juif (FNJ) y subventionne des projets de plantation d’arbres afin d’éviter que les Bédouins ne retournent sur leurs terres. Juste après la création de l’Etat d’Israël, il a aussi planté des millions d’arbres afin de cacher les ruines des villages bédouins détruits par l’armée israélienne.

Terres de discriminations

En nous donnant un tour de la ville, Mohammed Zidane nous montre qu’à Nazareth aussi les deux communautés vivent géographiquement séparées. La construction du quartier chic de Nazareth Illit (Upper Nazaretha) a commencé en 1956, en partie sur des terrains appartenant à des propriétaires arabes expropriés, dans le but de développer le peuplement juif. La construction de Nazareth Illit a progressivement privé Nazareth ancienne de toutes les réserves foncières nécessaires à sa croissance naturelle.

Les Arabes d’Israël souffrent à la fois d’une discrimination ouverte et de multiples formes de discrimination cachée. La discrimination et le racisme dans la sphère publique sont omniprésents. Mohammed Zeidane souligne que „c’est ce que la plupart des arabes israéliens subissent d’une manière flagrante tous les jours“. Un sondage de 2010 montre que parmi les lycéens israéliens, 49,5% ne pensent pas que les Arabes israéliens ont droit aux mêmes droits que les Juifs en Israël, et 56% pensaient que les Arabes ne devraient pas être élu au parlement. En 2008, un sondage mené par le Centre Contre le Racisme a révélé que 75% des juifs israéliens ne voulaient pas vivre dans un immeuble avec des Arabes ; plus de 60% n’inviterait pas des Arabes dans leurs foyers.

L’expérience unique des palestiniens de 1948

Les palestiniens de 1948 ont eu une expérience unique : ils sont une minorité nationale dans un Etat juif, séparé de leurs confrères de Cisjordanie et de Gaza. Ils travaillent côte à côte avec les Juifs et parlent couramment l’hébreu. Mais à cause des multiples injustices qu’ils subissent depuis la création de l’Etat d’Israël, les relations entre les deux peuples se sont détériorées de façon constante. Économiquement défavorisés et politiquement marginalisés, ils sont de plus en plus réticents à accepter l’inégalité systémique et de plus en plus disposés à affronter le statut quo.

La situation des Bédouins vivant dans le sud israélien en est exemplaire et en même temps un cas unique. Elle dévoile le caractère raciste de la politique d’Apartheid de l’Etat d’Israël et la continuité de cette politique qui ne s’arrête pas au mur de séparation. Cette politique d’exclusion et de confinement est ce que partagent les Bédouins avec leurs confrères palestiniens des territoires occupés. En même temps, les Bédouins du Néguev sont un exemple à part parce qu’il s’agit d’une population aux caractères distincts du reste de la population dont le mode de vie est en train d’être détruit.

Nathalie Oberweis et Carole Reckinger ont récemment participé à un voyage d’étude en Palestine et en Israël