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Voila des témoins qui savent de quoi ils parlent !

Mission syndicale Palestine : retour et projets immédiats

par Noelle Ledeur, sud éduc Franche-Comté,

samedi 6 mai 2006

Voilà, c’est fait, la mission syndicale Solidaires-Palestine est revenue at home, après un périple éprouvant en Cisjordanie. Réadaptation difficile et plus difficile encore à cause de ce que nous savons qui se passe là-bas, l’étouffement organisé d’un peuple, son asphyxie politique, économique, morale contre laquelle nous restons pratiquement impuissants.

Composé de 3 profs, d’une travailleuse sociale et d’une infirmière, le groupe a rencontré beaucoup de contacts et s’est beaucoup déplacé pour se rendre compte de l’évolution de la situation sur le terrain. En raison de problèmes importants de connexion internet, nous n’avons pu rendre compte au fil des jours de nos rencontres et impressions. Ds comptes-rendus synthétiques seront élaborés ultérieurement, dès que nous aurons reçu nos carnets de voyage (envoyés par la poste, comme il se doit pour des touristes en terre 3 fois sainte !).

Visite d’abord à nos amis les plus chers, au camp de Deisheh et à Halhul, pour voir Naji, Suhair, Raed, Sanaa.
Malgré la joie des retrouvailles, nous sentons bien que les choses se sont aggravées depuis octobre : présence militaire plus forte, répression directe contre les réfugiés, immobilité de la situation politique depuis janvier, crise économique sans précédent. Les visages sont tristes, tendus.

Hébron nous assène en pleine figure les images les plus écoeurantes de l’occupation, de la colonisation : des colons occupant la vieille ville, et surprotégés par l’armée, font vivre des familles palestiniennes comme des rats, obligées à se terrer dans ce qui reste de leurs maisons, ne pouvant sortir dans la rue que pour trouver à manger. Image de ghetto où les rôles ont été inversés... Comble de cynisme : ces colons réclament le droit au retour pour leur peuple spolié !

Quelques jours + tard, c’était l’enterrement des 2 jeunes de Bethlehem et Deisheh assassinés en pleine rue, en plein jour, par les services spéciaux israéliens. Toute une ville et 2 communautés unies (Musulmans et Chrétiens) par le martyre de leur jeunesse, des enfants aux vieillards, tout le monde était là avec la même colère, la même tristesse. Nous avons suivi les cortèges funèbres-manifestations, immenses et dignes, hurlant leur indignation aussi devant tant de barbarie. Ahmed et Daniel étaient les amis de nombreuses familles que nous connaissons au camp de Deisheh. Ils ne portaient pas d’armes, n’étaient pas des « combattants », n’étaient pas recherchés par Israel. Ils se trouvaient simplement dans leur voiture, au moment du passage de la patrouille israélienne qui les a mitraillés. Un 3ème jeune était encore entre la vie et la mort lors de notre départ. L’armée a aussitôt pris le relais des assassins, traînant les corps sur les trottoirs, dans une mare de sang. L’un des corps avait même été dénudé.

Tout notre séjour a été « plombé » par cette tragédie, qu’avaient précédée les quotidiennes incursions militaires nocturnes dans le camp, accompagnées de multiples arrestations de jeunes (dont Abdallah, venu en France en novembre dernier, qui a été blessé à la jambe et incarcéré depuis).

L’embargo pratiqué par les USA, le Canada et l’Europe contre les Palestiniens, ajouté au blocage par Israel de toutes rentrées de l’argent qui revient légalement à la Palestine, achèvent de meurtrir une population où les employés publics n’ont pas touché de salaire depuis février (165 000 salaires, ce sont 165 000 familles qui survivaient grâce à ces faibles salaires directement issus des aides occidentales).
Chacun s’est endetté chez l’épicier pour manger, en attendant des jours meilleurs. Mais l’épicier n’a pas été payé lui non plus, et il ne peut donc plus s’approvisionner, ni faire crédit. La crise économique est visible partout : les travailleurs ou les étudiants n’ont même plus les moyens de payer leur ticket de transport pour aller au boulot ou à la fac, l’activité tourne au ralenti, l’essence ne cesse d’augmenter (plus d’un euro le litre !). Même les salaires du privé sont désormais affectés, à cause de la faiblesse des rentrées... Nul ne sait combien de temps le peuple tiendra, mais certains syndicats ont dit craindre à Gaza des pillages de banques (voire des faillites, la finance a souscrit des assurances renforcées contre ce risque...), et en Cisjordanie des attaques de commerces alimentaires...

Nous avons constaté dans les familles de Deisheh que l’abondance n’est plus de mise, que parfois on a du mal à s’acheter ne serait-ce que du café...

Les syndicats ont mis leur activité en sourdine, que revendiquer quand le gouvernement n’a pas les moyens de satisfaire la moindre demande ? Le Hamas voulait procéder à une meilleure répartition des salaires, mais à quoi bon légiférer lorsque les salaires ont disparu...

Les Palestiniens s’accordent à dire qu’ils ne veulent pas mettre davantage en difficultés un gouvernement qu’Israel et l’Occident veulent abattre. Ils ne veulent pas de guerre fratricide entre partisans de l’ancien gouvernement et soutiens de l’actuel. Ils ne considèrent pas que leur société soit coupée en deux, entre islam et laïcité. Les gens ont voté Hamas par lassitude, pour montrer leur désaveu de la politique de compromis, voire de compromission du Fatah, à laquelle ils associent toute l’OLP. Mais personne ne croit au risque de radicalisation islamiste, parce que le Hamas n’a pas les structures politiques pour installer un régime de type taliban.

Côté manifestation, nous sommes aussi allées à Bili’n soutenir les activistes israéliens (anarchistes très jeunes) et les militants palestiniens qui continuent de s’opposer à la construction du Mur à l’ouest de Jerusalem. Peu de monde au final pour un tel enjeu. Les jeunes anticolonialistes sont bien seuls face à l’armée et les affrontements particulièrement violents : un soldat n’aime évidemment pas se faire piquer son bouclier ou sa matraque (surtout par un type du même âge et de la même nationalité), ni recevoir des moellons sur la carrosserie des blindés. Résultat : arrestations multiples et brutales, tirs de bombes assourdissantes, lacrymos comme je n’en avais pas pleuré depuis longtemps... jusqu’au tir à balles réelles contre les jeunes Palestiniens restés longtemps encore à jeter des pierres. Un jeune blessé au bras. Mais quelle leçon de fraternité ! Au village, les gens se parlaient hébreu et arabe, français et anglais, se donnaient rendez-vous pour le vendredi suivant.
Mais ce type de manif est aussi fortement contesté par d’autres Palestiniens, comme ceux que nous avons rencontrés à Naplouse, qui les jugent dangereuses pour les jeunes et les habitants des villages, car Israel infiltre les manifestants avec des provos et en profite pour réprimer et arrêter les jeunes Palestiniens. Ces manifs n’arrêtent pas la construction du Mur, qui devrait plutôt être contesté massivement en Israel même et dans les autres pays, alors que là tous les risques pèsent sur les Palestiniens...

Nous pourrons reparler de cette situation avec Naji, notre interlocuteur et ami du camp de Deisheh (Bethlehem), qui sera au congrès fédéral de SUD Education du 9 au 13 mai (Clermont-Ferrand), puis Besançon à partir du 14. Naji est membre du comité populaire du camp, fondateur de l’association BADIL pour la défense du droit au retour des réfugiés, et principal animateur du centre culturel Phénix, dont il a été à l’initiative (centre construit grâce à des fonds japonais). A ce titre, il organise beaucoup d’activités socio-culturelles avec les jeunes du camp (et même au-delà) et cherche à développer des projets de coopération dans le sens d’une « autre résistance à l’occupation » (en ce moment, tournée « triomphale » d’une jeune troupe de théâtre du camp, en Jordanie, sur le thème des réfugiés).

Naji participera aussi à la réunion du groupe Solidaires-Palestine du samedi 20 mai à Paris, puis partira au Havre pour des rencontres les 22 et 23 mai.
Il souhaite rencontrer les militants et toutes personnes intéressées par des projets de coopération franco-palestiniens.

Naji aime les rythmes de travail soutenus et toutes les formes de convivialité. Un apéro autour d’un bon whisky lui fait oublier tous les malheurs de l’existence...
En fin de mois, il sera accueilli à Nanterre, et nous espérons pouvoir le retrouver avec Raed, le paysan d’Hébron, qui sera venu en Bretagne pour un autre projet de coopération avec des jeunes Palestiniens, Burkinabés, Latino-Américains...

en attendant que s’ouvrent d’autres perspectives et viennent d’autres analyses,

noelle ledeur,
sud éduc Franche-Comté,
coordinatrice de la mission Solidaires d’avril 2006.