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Une sorte de nouvel Atlantide..........(ndlr)

Israël, le pays qui se barricade

Samedi, 5 mai 2012 - 16h46

samedi 5 mai 2012

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Dorval Sabine, Hury David, Dumont Serge - Le Soir - Belgique

Israël ne sera bientôt qu’un pays de murs. Même si les 500 km de mur de séparation d’avec la Cisjordanie ne sont pas achevés, l’Etat hébreu en construit vers l’Egypte, vers le Liban. Et imagine un gigantesque camp de réfugiés dans le Sinaï.

Tel-Aviv

De notre correspondant

Erigé à partir de 2002, le Mur de séparation de Cisjordanie, qui fait 500 kilomètres, n’est toujours pas achevé faute de crédits et parce que plusieurs procédures dénonçant son tracé sont toujours en cours devant la Cour suprême de l’Etat hébreu. Pourtant, cela n’empêche pas les dirigeants israéliens de multiplier les projets semblables. En effet, parallèlement au chantier en cours le long de la frontière avec l’Egypte, le ministère de la Défense finance l’érection d’une muraille métallique de plusieurs mètres de haut sur le plateau du Golan. Un obstacle censé empêcher les infiltrations provenant de Syrie et qui atteint déjà dix kilomètres de longueur sur les 120 prévus.

A quelques kilomètres de là, à Metulla, une petite ville touristique située le long de la frontière avec le Liban, débutera cette semaine l’érection d’une barrière semblable. Celle-ci sera longue de deux kilomètres dans un premier temps. Elle « protégera » les ressortissants du nord de l’Etat hébreu de tirs de roquettes pouvant provenir de Kfar Kila, le village libanais situé en face. Dans le même temps, l’armée israélienne procède au renforcement de la « ligne bleue », un ensemble de fortifications la séparant du Liban.

Pour l’heure, la seule barrière vraiment opérationnelle est celle entourant la bande de Gaza. Mais d’autres chantiers importants sont à l’étude. A commencer par la construction d’une clôture fortifiée semblable à celle courant le long de l’Egypte et qui séparerait la Jordanie de la Cisjordanie. Certes, pour l’heure, le gouvernement israélien n’a pas encore approuvé le projet mais Binyamin Netanyahou a d’ores et déjà annoncé son intention de le mener à bien à partir de l’année prochaine. Parce qu’il participera au renforcement des colonies de la vallée du Jourdain et parce qu’il achèvera l’encerclement physique de l’Autorité palestinienne en la rendant plus dépendante encore de l’Etat hébreu.

Côté Egypte : Une double clôture de cinq mètres de haut, avec barbelés et radars
Désert du Néguev

De notre envoyé spécial

Le long de la frontière israélo-égyptienne, la route numéro 12 s’étend entre des dunes de sable jaune pâle, ornée de quelques barbelés rouillés. C’est une bande de goudron gris pâle à deux voies. Craquelée en certains endroits.

Mais depuis l’attentat du 17 août 2011 au cours duquel huit touristes israéliens et plusieurs soldats israéliens ont été tués par un commando islamiste, elle est l’une des voies de circulation les plus connues de l’Etat hébreu. Un axe où l’on ne croise personne à part des patrouilles de Tsahal (l’armée israélienne) et, en face, des soldats égyptiens stationnés dans des postes de surveillance d’un autre âge.

« Soyez prudent. Aujourd’hui c’est calme, demain qui sait ce qui peut se passer ici ?, lâche un capitaine à l’air avenant pendant que ses hommes contrôlent minutieusement notre véhicule. Depuis le Printemps arabe, c’est devenu instable. Et dangereux. Si vous n’avez pas de raison de vous promener par ici, faites un détour. »

120 km ont été construits en moins d’un an

La frontière est longue de 240 km. Une zone difficilement contrôlable que les contrebandiers bédouins et les infiltrés franchissent quotidiennement en quad, ces véhicules tout-terrain dotés de quatre roues motrices. C’est pour la rendre moins poreuse que le gouvernement de Binyamin Netanyahou a décidé d’accélérer la réalisation d’une nouvelle barrière de séparation semblable à celle érigée en Cisjordanie durant la deuxième intifada. Un projet approuvé en janvier 2010, mais qui avait été imaginé par Yitzhak Rabin lorsque ce dernier était Premier ministre, de 1993 à 1995, et qui traînait dans les tiroirs depuis lors faute de volonté politique.

Après l’attentat de 2011, quatre entrepreneurs ont été désignés via à une procédure expéditive et plus de cent vingt kilomètres ont été construits en moins d’un an. L’ouvrage devrait d’ailleurs être achevé à la fin de l’année.

Car le temps presse pour les dirigeants israéliens nostalgiques du régime d’Hosni Moubarak. A les entendre, la dégradation des rapports avec l’Egypte et les relations qu’entretiennent les Frères musulmans et les autres formations islamistes avec le Hamas de la bande de Gaza devraient, à terme, favoriser de nouveaux attentats le long de la frontière avec l’Etat hébreu ou à l’intérieur de celui-ci.

Binyamin Netanayahou : « C’est une priorité nationale »

Ce qui explique pourquoi Binyamin Netanyahou s’est déjà rendu sur le chantier à quatre reprises et pourquoi il a, à l’occasion de sa dernière visite le 27 mars, insisté pour que « tous les moyens soient mis en œuvre » pour que le chantier s’achève le plus rapidement possible.

Mais la nouvelle barrière frontalière ambitionne également de perturber les filières permettant aux réfugiés africains de s’infiltrer dans l’Etat hébreu. « C’est une priorité nationale, affirme-t-on au cabinet de Binyamin Netanyahou. Nous avons dégagé un budget de 45 millions d’euros pour cela. Nous obtiendrons plus si nécessaire. »

A première vue, l’ouvrage en construction se présente comme une double clôture de cinq mètres de haut surélevée par des barbelés et dotée de senseurs. Les deux rangées métalliques sont séparées par une route de service réservée aux patrouilles. De part et d’autre de chaque clôture, une bande de sable permet de détecter les tentatives d’intrusion pédestre et de loin en loin, des postes d’observation bétonnés sont installés sur des collines artificielles. En outre, des jeeps Hummer dotées de postes de tir surnommés Katlanit (la meurtrière) sont placées aux endroits stratégiques.

Lorsqu’elle sera achevée, cette barrière sera renforcée par un réseau de radars placés sur de hauts pylônes. Ceux-ci constitueront une muraille virtuelle digne des histoires de science-fiction. Une barrière électronique contrôlée à partir d’un centre de commandes classé secret défense et qui repérera les personnes - pas les animaux - se rapprochant de l’Etat hébreu à partir du désert du Sinaï, en Egypte.

Côté Sinaï : Une prison pour 3000 réfugiés... ou 50 000 s’il le faut
Ketziot

De notre envoyé spécial.

Selon les statistiques officielles, de trente à septante mille migrants originaires des pays subsahariens se sont installés clandestinement dans l’Etat hébreu depuis 2002. Principalement des Soudanais (un pays avec lequel Israël est en état de guerre), des Erythréens et, désormais aussi, des ressortissants du Sud-Soudan. « Off the record », des responsables de la police relayés par les ONG défendant les droits de ces migrants affirment cependant que ce chiffre est beaucoup plus élevé. Et qu’il approcherait les 300 000.

Quoi qu’il en soit, tout porte à croire que ce flux ne s’interrompra pas. Parce que l’économie israélienne est florissante et parce que de nouveaux conflits tels la guerre entre le Soudan et le Sud-Soudan (soutenu par l’Etat hébreu) alimentent de nouveaux flux migratoires.

Il leur suffira d’avoir été arrêtés en rue

Après avoir traversé le Sinaï où certains Bédouins les retiennent en otages dans des conditions inhumaines, les réfugiés sont souvent abandonnés sur le bord d’une route israélienne ou aux abords d’une ville dont ils ne connaissent pas le nom.

La plupart dorment dans les parcs publics et sur les trottoirs. Les plus chanceux s’entassent dans des abris désaffectés ou dans des hangars insalubres. Le matin, on peut les voir errant de chantier en chantier dans les rues à la recherche d’un emploi précaire et payé au tiers du minimex.

C’est pour se débarrasser de cette population que Binyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Ehoud Barak ont décidé d’ériger un immense camp de détention dans le désert du Néguev. Une prison qui contiendra 3000 détenus dans un premier temps puis 8000, 11 000, voire 50 000 si nécessaire.

Le projet a été soutenu par l’ensemble des partis de la majorité et par certains députés de l’opposition. Il prévoit que ce centre de détention qualifié de modèle sera installé à Ketziot, à la place d’une prison de tentes qui avait accueilli 10 000 Palestiniens durant la première intifada et un peu moins durant la deuxième.

Ce centre sera la plus grand du monde. Il s’étendra sur cent hectares et aura la taille d’une petite ville. Selon les plans dressés par un célèbre cabinet d’architecte, il comptera plusieurs dispensaires médicaux, des terrains de sport ainsi que des lieux de culte. Chaque détenu y disposera d’un espace personnel de 4 mètres carrés.

Vu la proximité de la bande de Gaza, des abris anti-roquettes seront ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre si la situation le nécessite. En outre, les autorités israéliennes promettent de dispenser aux détenus une formation professionnelle ou les rudiments d’une éducation.

Les aspects sociaux du camp mis en avant par les autorités israéliennes cachent cependant mal le fait que les migrants africains seront détenus à Ketziot de manière arbitraire. Sans instruction, sans procès ni jugement. En fait, il leur suffira d’avoir été arrêtés en rue au cours d’un banal contrôle ou raflés au cours d’opérations menées par la police dans les quartiers défavorisés pour s’y retrouver.

« Israël n’est pas une Terre promise »

Car le 11 janvier, la Knesset a approuvé la loi anti-infiltration autorisant la police, les gardes frontières et les services de sécurité à incarcérer pendant trois ans ou plus tout immigrant clandestin, étranger en séjour illégal ou demandeur d’asile qu’ils interpelleraient.

Qualifié de « monstrueux » et d’« inhumain » par ses rares opposants, ce texte a été voté majorité contre opposition. Dans le désintérêt général.

« Israël n’a pas vocation à devenir la Terre promise de tous les Africains », a alors déclaré le ministre de l’Intérieur Elie Yshaï, un rabbin pour lequel cet afflux d’immigrés « met en péril le caractère juif de notre pays. »

Quant à Netanyahou, il se flatte des initiatives gouvernementales en la matière. « Dans une décennie, nos frontières seront entièrement sûres et nous aurons expédié tous les clandestins chez eux, a proclamé le Premier ministre israélien lors de sa dernière tournée d’inspection dans le Néguev. Les Israéliens comprendront alors l’importance stratégique de ce qui a été fait. ».

Côté Liban : La porte de Fatima fermée pour de bon
Beyrouth

De notre correspondant

« Cela fait plusieurs jours que les avions israéliens survolent le Sud-Liban à basse altitude, raconte Aziz, un habitant de Marjayoun, joint par téléphone. On se demandait ce qui se tramait ! »

Huit kilomètres plus au sud : la frontière. D’un côté, la petite localité de Kfar Kila au Liban, toute proche de la Porte de Fatima, site symbolique pour de nombreux Libanais ; de l’autre, la colonie de Metulla à l’extrême nord d’Israël. La frontière, relativement calme depuis la fin de la Guerre de Juillet 2006, est marquée par deux rangées de clôtures de barbelés et des routes parallèles longeant avec précision le tracé sinueux des clôtures. Aujourd’hui, les patrouilles de l’armée israélienne et de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban, présente depuis 1978) veillent sur près de 200 km.

Mais mardi dernier, les avions de chasse ne sont pas arrivés seuls. Venus de Metulla, pelleteuses et bulldozers ont entamé des travaux devant durer plusieurs semaines : comme en Cisjordanie, un mur de séparation va être érigé, sur 2 kilomètres de long dans un premier temps. Objectif selon l’armée israélienne : empêcher des tirs de snipers depuis le Liban. Une explication peu convaincante au vu du relief, Kfar Kila surplombant la colonie.

Les travaux ont débuté en fin de matinée, des ouvriers israéliens creusant une tranchée afin de mettre en terre les barricades de béton entreposées dans la colonie de Metulla, pendant que d’autres démantelaient la clôture de barbelés. Le tout sous étroite surveillance des militaires. De l’autre côté du grillage, la Finul et l’armée libanaise ont interdit l’accès à la zone frontalière pour éviter tout contact et pour s’assurer que le mur en construction n’empiète pas sur le territoire libanais.

Plus que les tirs de snipers, ce sont peut-être les « incursions humaines » qui inquiètent côté israélien. En juin 2011, à l’occasion de la commémoration de la Guerre des Six-Jours, des dizaines de Palestiniens réfugiés au Liban avaient brisé la barrière métallique au niveau de la porte de Fatima, pourtant renforcée quelques jours plus tôt par l’armée israélienne. Cet épisode avait coûté la vie à six Palestiniens.

Et mercredi dernier, un jeune père de famille palestinien et ses deux enfants ont également passé la frontière à la Porte de Fatima, immédiatement arrêtés par les soldats israéliens.

Côté tourisme : L’appel authentique du désert
Mitzpe Ramon

De notre envoyé spécial

Pour la plupart des Israéliens, Mitzpe Ramon est un trou mortifère situé au beau milieu du désert du Néguev. Un bourg sans éclat créé en 1951 et qui a occupé pendant un demi-siècle la première place sur la liste des villes de l’Etat hébreu où le taux de chômage est le plus élevé. Mais pas pour Ilan (62 ans), qui a choisi la zone industrielle à moitié désaffectée de cette cité endormie pour planter son « coin d’amour et de réflexion ». Une sorte de salon à ciel ouvert dédié à la poésie et à l’ouverture aux autres. « Ceux qui le veulent peuvent s’asseoir sur mes canapés et discuter de tout et de rien. J’offre le café, raconte-t-il. L’air et les paysages du désert ouvrent l’esprit. Ils poussent à réfléchir et à se retrouver. Si je peux aider les gens à progresser, c’est avec plaisir. C’est pour cela que je me suis installé ici : les gens ne communiquent plus. »

Certes, à Mitzpe Ramon, ce retraité vêtu de son éternel blouson bleu marine et s’exprimant d’une voix douce passe plutôt pour un « coucou », un illuminé. La mairie ne lui tient d’ailleurs pas rigueur d’avoir accaparé une partie de la voirie à des fins poétiques, et les patrouilles de police ne se formalisent plus en le voyant soliloquer devant sa Sussita d’amour, un véhicule fabriqué en Israël dans le courant des années 1960-1970 et qu’il a transformé en un jardin ambulant symbolisant sa croisade.

Pourtant, le poète n’est pas isolé. Comme lui, des dizaines de milliers de citadins reviennent désormais vers le désert. Pour fuir temporairement la ville, parce qu’ils ont besoin d’autre chose, ou parce qu’ils recherchent des opportunités nouvelles. Certains y viennent régulièrement en vacances ou y résident une partie de leur temps. Mais d’autres s’y installent carrément en lâchant tout derrière eux.

C’est le cas d’Arnaud Rodrigue (45 ans), un ancien conseiller en management venu de France il y a six ans et qui vient d’ouvrir Chez Eugène, un hôtel de charme doublé d’un restaurant. Une oasis de classe dans un environnement décati. « Qu’ils soient Israéliens ou étrangers, les touristes redécouvrent cette région méconnue car elle est magnifique. » C’est dur ? « Oui, c’est dur. Mais le potentiel du Néguev est énorme. Des fermes produisent des fromages que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Israël et qui filent directement à l’exportation, il y a des vins extraordinaires et même d’immenses piscines où des poissons sont élevés artificiellement. Ici, il y a un avenir pour ceux qui ont des idées et qui osent. »

« On y ressent des vibrations »

Les paysages changent rapidement le long de la route menant de Tel-Aviv au milieu du Néguev. Aux plantations verdoyantes du centre de l’Etat hébreu succèdent des dunes semi-arides puis des étendues de sables jaunâtres. Viennent ensuite les roches parsemées de fractures volcaniques et de sommets anguleux qui donnent à cette région un petit air de décor pour western. A part les camions de 36 tonnes à la calandre étincelante et quelques autobus, on ne croise pas grand monde lorsque l’on quitte Mitzpe Ramon pour s’enfoncer plus au sud en direction d’Eilat. Près d’un croisement sans nom, quelques Bédouins surveillent leur maigre troupeau de chèvres pendant que les épouses s’affairent sous la tente. Dehors, des enfants habillés de vêtements troués s’amusent à exciter un chien famélique en lui lançant des pierres.

C’est là, dans cet endroit sans nom situé au bout d’un chemin caillouteux, que Yoav Stern (38 ans) a installé sa vieille caravane achetée à des Australiens. Chaque fin de semaine, il y dispense des séminaires de méditation pour cadres surmenés venus de Tel-Aviv, de Londres ou d’ailleurs. Des formations qui affichent complet et qui comprennent un séjour au milieu du Néguev. A la belle étoile et, si possible, à la pleine lune. « J’ai également reçu des Suisses de Zurich, affirme-t-il. Trois jours de cure désertique à base de silence, de réflexion et d’authenticité les ont transformés. Ils sont repartis à regret et différents. » A en croire ce « thérapeute » qui fait penser à un gourou, il se passerait « quelque chose de vraiment spécial » dans le Néguev : « On y ressent des vibrations. Les Israéliens y viennent pour oublier leur vie difficile, les menaces de guerre avec l’Iran, etc. Les étrangers y trouvent de quoi combler le vide de leur vie un peu terne. »

A Mitzpe Ramon, l’hôtel cinq étoiles Beresheet fait désormais partie des palaces les plus fréquentés du Proche-Orient. On trouve aussi plein d’alternatives plus démocratiques autour : fermes proposant des chambres d’hôtes, kibboutzim accueillant les voyageurs de passage, village de véritables tipis indiens.

« Pendant soixante ans, le Néguev n’était rien d’autre qu’un immense terrain de manœuvre pour l’armée, qui en avait transformé le tiers en zone militaire fermée, raconte Michaël, tenancier d’une aubette située à la sortie de Beer Sheva. Aujourd’hui, c’est le nouveau terrain d’aventure des bobos à la recherche d’authenticité. »

Source : Le Soir - Belgique