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Source : Le Monde diplomatique

Hésitations islamistes en Tunisie

Vendredi, 13 avril 2012 - 17 h26

vendredi 13 avril 2012

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Par Thameur Mekki, vendredi 13 avril 2012

« L’Etat s’engage à conserver l’identité arabo-musulmane du pays et s’abstient de légiférer en opposition avec la religion islamique » : tel est l’article 2 du projet de Constitution tunisienne que s’apprêterait à recommander Ennahda. Le parti islamiste a les moyens de se faire entendre puisque 89 des 217 élus à l’Assemblée nationale constituante (ANC) se réclament de lui.

Ce projet de Constitution a été révélé à la suite du piratage, le 7 avril, du courrier électronique de M. Hamadi Jebali, secrétaire général d’Ennahda et chef du gouvernement tunisien, par des hackers d’Anonymous (1). Deux semaines plus tôt, le 25 mars, Ennahda s’était officiellement prononcé pour le maintien tel quel de l’article 1 de la Constitution tunisienne de 1959 : « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain. Sa religion est l’Islam et sa langue est l’Arabe » (2).

Ainsi, le parti islamiste semble ballotté entre la pression de son aile la plus rigoriste, sensible aux sirènes des salafistes, et la résistance du contre-pouvoir que représentent, au moins sur ce sujet, les partis de l’opposition, la société civile et la grande centrale syndicale du pays, l’Union générale tunisienne des travailleurs (UGTT). « Même nos alliés de la troïka nous on dit qu’ils ne vont pas voter pour la charia », expliquait en mars à ses militants M. Rached Ghannouchi, dirigeant historique d’Ennahda. Il est possible qu’on arrive à 51 % avec les élus d’Al-Aridha [une formation au programme démagogique créée par un homme d’affaires propriétaire d’une chaîne de télévision, M. Hechmi Hamdi, et représentée par une vingtaine de parlementaires]. Mais une Constitution votée à 51 % n’a pas de valeur. Les deux tiers sont nécessaires. » Quelques jours plus tard, Ennahda optait donc pour la realpolitik.

Ses alliés de la troïka au gouvernement — le Congrès pour la République (CPR) de M. Moncef Marzouki (29 élus à l’ANC, gauche nationaliste) et Ettakatol de M. Mustapha Ben Jafaar (20 élus, centre gauche) — l’ont contraint à un repli dont certains redoutent qu’il soit seulement tactique. Lors du même meeting, M. Ghannouchi confiait en effet à ses partisans : « Nous y arriverons, petit à petit, par étapes. Tant que le peuple est aux commandes, n’importe quelle loi en divergence avec l’islam sera refusée. » Il ajoutait : « Y a-t-il une différence entre l’islam et la charia ? C’est du pareil au même. »

En ce qui concerne les rapports avec les salafistes, la position d’Ennahda semble intraitable lorsque M. Ali Larayedh, ministre de l’intérieur, la formule (3). Mais le rapprochement entre les deux formations s’affiche parfois dans les rues. Le 16 mars, à l’occasion d’une manifestation pour l’adoption de la charia comme principale source des lois constitutionnelles, les drapeaux d’Ennahda et des salafistes flottaient côte à côte. « Salafistes et nahdhaouis défient la laïcité », clamaient les manifestants massés devant le siège de l’Assemblée constituante. Parmi eux, M. Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d’Ennahda.

A l’heure où les difficultés économiques du pays s’amoncèlent, la population tunisienne semble avoir d’autres priorités. Ainsi, le 15 mars, les élections aux conseils scientifiques universitaires se sont traduites par une déroute des listes islamistes de l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), au profit de celles de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET, gauche). La perturbation des cours par des sit-ins organisés par les salafistes s’est vue durement sanctionnée.

(1) « Le compte e-mail de Hamadi jebali piraté par Anonymous Tunisia », Tixup !, 7 avril 2012.

(2) Lire Samy Ghorbal, « Dans la Tunisie de 1956, déjà une Constituante », Le Monde diplomatique, novembre 2011.

(3) « Ali Larayedh, ministre de l’intérieur : “Nous allons vers un affrontement” », Le Monde, 21 mars 2012.