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« Le Bahrein vacille… et fait trembler l’Arabie Séoudite »

Lundi, 26 mars 2012 - 6h58 AM

lundi 26 mars 2012

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Par Louis Denghien, le 25 mars 2012

"La tension ne baisse pas d’un cran au Bahrein, où deux manifestants chiites sont décédés, vendredi, suite à l’inhalation, jeudi 22 mars lors d’une manifestation réprimée, de gaz lacrymogène. C’est le parti Wefaq, principale expression politique de la majorité chiite du royaume sunnite, qui a annoncé le décès d’une femme et d’un jeune homme. Ce dernier participait à une manifestation à Chaharkan, au sud de la capitale Manama.

Louis XVI au Bahrein

Vendredi 23, de nouvelles manifestations ont eu lieu pour protester contre ces décès. Comme les précédentes, elle ont dégénéré en affrontements avec la police. Le ministre de l’Intérieur a incriminé les manifestants, dont certains auraient lancé des cocktails Molotov, et se seraient livrés à des dégradations. De son côté, le Haut commissariat des droits de l’homme de l’ONU s’est ponctuellement désintéressé de la Syrie pour condamner l’ »usage disproportionné » de la force par les forces de l’ordre au Bahrein.

La responsabilité de la violence est sans doute partagée, mais sa vraie source, on ne se lassera pas de l’écrire, se trouve dans la situation socio-politique de l’île-royaume : une monarchie semi-autocratique – sunnite – tentant de tenir à distance la grande majorité – chiite – de sa population, ce depuis des décennies. Or, à l’heure des chaîne satellitaires et d’internet, il est plus difficile de casser autoritairement le dynamisme d’un mouvement aussi puissamment enraciné dans la réalité sociale : les chiites réclament des réformes politiques leur donnant la représentativité auxquels ils ont droit, de par leur nombre (environ 70% des 700 000 citoyens bahreinis (immigrés non compris).

Le roi Hamad ben Issa al-Khalifa, qu’on crédite généralement d’une certaine bonne volonté réformatrice, est cependant prisonnier de son entourage familial et gouvernemental, tenté de s’en remettre, comme voici un an, au sabre du voisin et allié séoudien. Bref, le Bahrein semble avoir son Louis XVI pris entre une cour wahhabite, dont l’Autriche serait l’Arabie Séoudite, et un puissant mouvement populaire hésitant entre réforme et révolution, le tout sur fond de rivalité entre République islamique d’Iran et pétro-monarchies, de conflit géopolitique chiite-sunnite, avec « en prime » le conflit syrien en arrière-plan. Certes le roi avait annoncé, mardi 20 mars, sa volonté de poursuivre les réformes, et le parti Wefaq s’est dit prêt à entamer un dialogue politique, pourvu que celui-ci conduise à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, et d’une représentation équitable des chiites dans la vie politique du royaume.

Les chiites ont d’autant moins tendance à baisser le ton que leur mouvement, un an après la répression – à forte participation séoudienne – de leur première révolte (le « Printemps de la Perle » de février 2011), a montré sa force : le 9 mars, à Manama, des dizaines de milliers de personnes, peut-être cent-mille, ont participé à ce qui reste à ce jour comme la plus grande manifestation de l’histoire du Bahrein, des rassemblements de moindre ampleur ayant lieu simultanément dans d’autres localités (voir notre article « 100 000 manifestants au Bahrein : un printemps chasse l’autre », mis en ligne le 12 mars). Reparti en décembre, le mouvement chiite n’a cessé de gagner en ampleur depuis, avec une accélération en février-mars, pour l’anniversaire du premier mouvement.

L’Arabie Séoudite « contaminée »

Naturellement, cette effervescence bahreinie risque de compliquer considérablement les plans géopolitiques des monarchies soeurs (et voisines) du Qatar et de l’Arabie Séoudite regardant la Syrie. Car armer et organiser les combattants anti-Bachar, c’est coûteux et dangereux, mais jouable, à condition que ne s’ouvre pas un nouveau front au sein même du sanctuaire du Golfe. Or, et c’est une nouveauté dans la nouveauté, le mouvement de contestation chiite du Bahrein semble faire tâche d’huile en Arabie Séoudite, et plus seulement dans les districts orientaux du pays à majorité chiite : des manifestations, d’ampleur certes plus modestes qu’au Bahrein, ont en effet eu lieu ces derniers jours à Abha (dans l’ouest, à une centaine de kilomètres de la frontière yéménite et à 400 kilomètres environ au sud de La Mecque), suite à la mort d’une étudiante et l’avortement d’une autre par la police. Et À Arrar dans le Nord, sur la frontière irakienne, un homme du nom de Rouedi s’est immolé par le feu feu en une inquiétante réminiscence, pour la monarchie wahhabite, du précédent tunisien. Il y a une agitation endémique depuis quelques semaines dans le bastion historique du salafisme et de la théocratie wahhabite. Le 2 mars, par exemple, à l’occasion de la prière du vendredi, une petite manifestation est partie d’une mosquée de Ryad : une première locale. Autre « syndrome syrien », une pétition sur Facebook en faveur du droit de manifester avait recueilli début mars 17 000 signatures. Comme au Bahrein, les opposants actifs, principalement chiites, réclament eux aussi des droits.

Certes, l’appareil militaro-policier est puissant, mais, comme au Bahrein, la répression ne peut être qu’un palliatif : le royaume compte 2 millions de chiites – sur 22 millions environ de Séoudiens (compte non tenu de 5, 5 millions de travailleurs immigrés) – concentrés dans l’est, dans les zones les plus riches en pétrole, justement.

Le gouvernement de Ryad dénonce les manipulations iraniennes de ses chiites, et il est certain que Téhéran n’est pas fâché de voir se développer pareille épine dans le pied de son principal rival dans la région. Mais, bien plus que l’Iran, l’Arabie Séoudite doit faire face à cette contestation des équipes en place qu’elle a tellement encouragée chez son ennemi syrien, au point ces derniers temps de lui faire la guerre par ASL interposée. Or la philosophie politique ultra-conservatrice et immobiliste du royaume interdit à son équipe dirigeante de lâcher le moindre lest politique : il n’y a pas de Gorbatchev possible au pays du wahhabisme. Les manifestations sont du reste interdites. C’est pourquoi, une révolution, ou même une évolution, démocratique chez le voisin bahreini serait perçue comme une menace mortelle. Ajoutons que sur leur frontière sud, au Yémen, les dirigeants séoudiens ne peuvent ignorer la monté en puissance de groupes se réclamant carrément d’al-Qaïda, dont les principes directeurs sont rien moins que favorables à la dynastie Al Séoud, accusée à assez juste titre de collusion avec l’ennemi américain, et aussi de passivité face à l’ennemi sioniste.

L’histoire pourrait bien s’accélérer au pays de l’islamisme pro-américain. Et le roi Abdallah, qui avait cru pouvoir surfer sur les difficultés de l’ennemi syrien, se voir un jour forcé de rappeler ses mercenaires de Syrie pour faire face à ses propres contestataires !"