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Par Marina Da Silva - Blog du Diplo

Une Antigone palestinienne

Vendredi, 9 mars 2012 - 6h24 AM

vendredi 9 mars 2012

Plus présente encore au coeur de la tourmente, jamais la culture palestinienne n’a été plus vivante.
Respect !

Michel Flament

Coordinateur

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C’est un événement.

Les acteurs du Théâtre National Palestinien sont en France, en tournée jusqu’à fin mai avec une Antigone éblouissante, mise en scène par Adel Hakim, co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry où la pièce est donnée jusqu’au 31 mars.

Créée à Jérusalem-Est en mai 2011, elle sort des frontières de la ville occupée, transportant avec elle le poids et la géographie du conflit israélo-palestinien — et l’on est frappé par la résonance de la tragédie palestinienne contemporaine avec le texte de Sophocle, qui date de près de deux mille cinq cents ans. Pas d’identification avec des situations historiques, des lieux ou des personnages, mais une mise en abîme autour de la notion d’injustice et une méditation philosophique sur la rébellion et le sens du sacré.

Antigone, condamnée par Créon à être emmurée vivante parce qu’elle a voulu donner une sépulture à son frère Polynice, est une figure d’insoumission universelle et intemporelle ; elle prend ici une force particulière incarnée avec charisme et luminosité par Shaden Salim : « Tes lois ne sont pas assez puissantes pour nous interdire de respecter celles des Dieux. » La jeune comédienne donne à son personnage une fougue et une combativité qui touchent et impressionnent et apporte par sa seule présence une couleur supplémentaire au texte : « Lorsqu’on a vécu comme moi plongée dans le malheur, la mort n’est pas un malheur. » Le malheur et la répétition du malheur d’Antigone est aussi celui de tout le peuple palestinien, qui, comme elle, n’a plus peur de la mort et, face à l’injustice et la spoliation, s’ancre dans la résistance.

© Nabil Boutros La langue de Sophocle, adaptée par Adel Hakim, et la langue arabe — dans la traduction d’Abd El Rahmane Badawi — se font écho et donnent corps à la tragédie mythique dont nous sommes tous imprégnés en lui insufflant une portée politique singulière.

Dans son affrontement mortel avec Créon — Hussam Abu Eisheh qui campe autant un roi de l’Antiquité qu’un homme politique d’aujourd’hui —, Antigone surenchérit sur la transgression avant tout parce qu’elle est femme, faisant dire à celui-ci : « Si je la laisse triompher c’est elle l’homme et non plus moi. » ou encore : « Moi vivant, ce n’est pas une femme qui fera la loi. » En bouleversant les conventions de genre, Antigone devient une des premières figures féminines de résistance de l’histoire et trace une ligne éthique de désobéissance contre tout pouvoir inique et arbitraire.

La pièce aborde aussi la question de la relation à la terre et du droit à être enterré sur sa terre. Elle se permet une incise dans la tragédie grecque, par la voix de Mahmoud Darwich qui nous arrive en toute évidence disant le poème Sur cette terre :

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie :
l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube,
les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle,
le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre,
des mères debout sur un filet de flûte
et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants .../...
Une irruption d’autant plus fondée que le poète n’a pu être inhumé à Jérusalem — tout comme Yasser Arafat —, mais à Ramallah sur injonction du gouvernement israélien.

La scénographie d’Yves Collet est une belle épure. Un plateau dépouillé d’où est érigé un mur avec des dizaines de petites ouvertures, comme des moucharabieh stylisés, et sur lesquels vont être projetés textes et images, deux portes à battants d’où se règlent les entrées et les sorties des comédiens. Les costumes en dominante noir et blanc et dégradés de gris captent et restituent la lumière. Et puis il y a la magie du jeu musical du trio Joubran qui accompagne le texte du début à la fin et en module l’intensité. Les trois frères musiciens, issus d’une famille de luthiers de Nazareth, sont des artistes d’exception et mêlent dans leur répertoire tradition orientale et création contemporaine. Compagnons de route de Mahmoud Darwich dont ils ont merveilleusement interprété la poésie, ils viennent donner un supplément d’âme à ce dispositif à la fois sobre et d’une richesse extrême.

Si Créon et Antigone dirigent le jeu, il faut encore citer les autres comédiens : Alaa Abu Garbieh (Hémon, Chœur), Kamel Al Basha (Messager, Chœur), Mahmoud Awad (Tirésias, Chœur), Yasmin Hamaar (Eurydice, Ismène), Daoud Toutah (Le Garde, Chœur). Tous sont justes et épatants de vérité et viennent souligner la grande qualité de formation du Théâtre National Palestinien.

Fondé en 1984, le Théâtre National Palestinien, ou Théâtre Al Hakawati (le conteur) est le seul théâtre de Jérusalem-Est. L’Autorité palestinienne ne pouvant y subventionner des institutions, il dépend des aides internationales et des partenariats avec l’étranger pour mener à bien ses activités de création et de diffusion. Malgré des conditions de travail et d’existence extrêmement âpres, sa renommée est maintenant reconnue au niveau international. Il s’était notamment produit en France avec Al Jiddariyya (Murale), de Mahmoud Darwich au théâtre des Bouffes du Nord en 2007 et avec Le collier d’Hélène de Carole Fréchette, dans une mise en scène de Nabil El Azan, accueillie au Théâtre des Quartiers d’Ivry en 2009. Ce fut aussi le point de départ du désir d’Adel Akim de soutenir et travailler avec le Théâtre National Palestinien dont le niveau de jeu remarquable des comédiens ne passa pas inaperçu.

Aujourd’hui, la situation est particulièrement précaire et les activités du Théâtre, qui auparavant se déroulaient aussi en Cisjordanie et à Gaza, ont été considérablement réduites. La présence de ses acteurs en France est pour eux une formidable bouffée d’oxygène, une échappée du quotidien oppressant de la colonisation, et aussi pour le public français une occasion rare de saisir les enjeux de leur résistance et d’en débattre avec eux.

De nombreuses rencontres et ponctuations auront lieu durant le séjour à Ivry du Théâtre National Palestinien. Signalons notamment, le samedi 10 mars à 16h30 la lecture-mise en espace autour de La Flottille, dans une conception et mise en scène d’Anastassia Politi d’après des extraits du texte La Flottille. Solidarité internationale et piraterie d’état au large de Gaza de Thomas Sommer-Houdeville et du film documentaire Gaza we are coming de Yiannis Karypidis et Yorgos Avgeropoulos.

Le samedi 24 mars à 16h30, la lecture-mise en espace en arabe et en français de Chroniques de la vie palestinienne.Textes de théâtre, poèmes, scènes courtes de Hussam Abu Eisheh, interprétés par les acteurs du Théâtre National Palestinien.

Et le samedi 31 mars à 16h30, de la poésie palestinienne, en arabe et en français, avec des textes de Mahmoud Darwich, Sonia Khadr et Khaled Jouma dans une mise en espace d’Adel Hakim avec des acteurs français et les acteurs du Théâtre National Palestinien.

(Entrée libre sur réservation).

Informations détaillées sur : http://www.theatre-quartiers-ivry.c...