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Dans son nouveau numéro n° 174 daté de Mars 2012, le mensuel B.I. (ex-Balkans-Infos) * qui vient de sortir, publie un article de COMAGUER qui revient sur les conditions réelles de la mort de Gilles Jacquier.

« Syrie : Charte de Munich (1) et manipulations »

Lundi, 27 février 2012 - 7h58 AM

lundi 27 février 2012

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[COMAGUER :] La mort de deux journalistes en Syrie vient à nouveau de susciter au plus niveau de l’Etat français des éructations contre le régime syrien et son Président qui ne sont pas sans rappeler l’exaltation obscène d’Hillary Clinton proclamant après l’assassinat de Mouammar Kadhafi : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ! »

Ce nouvel assaut de karcherisation de l’adversaire politique qui transforme le gouvernement du pays en banale entreprise de nettoyage nous donne l’occasion de revenir sur la mort du journaliste français Gilles Jacquier. Celle-ci a donné lieu à l’époque aux mêmes imprécations, avec la même volonté d’ignorer les faits. Comme si les faits étaient solubles dans le mensonge d’Etat médiatisé, une fois atteint un niveau élevé de concentration de celui-ci !

Dans son nouveau numéro n° 174 daté de Mars 2012, le mensuel B.I. (ex-Balkans-Infos) * qui vient de sortir, publie un article de COMAGUER qui revient sur les conditions réelles de la mort de Gilles Jacquier.

Nous le diffusons ci-après avec l’accord de la rédaction du journal

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La crise syrienne a fait connaitre aux medias français un personnage atypique : Mère Agnès Mariam de la Croix.

Cette religieuse à la double nationalité libanaise et française est établie en Syrie depuis deux décennies. Soucieuse de connaître et de faire connaître la réalité de la situation sur le terrain elle a eu à cœur de répondre à l’initiative de l’Union Catholique Internationale de la Presse qui cherchait à inviter des journalistes de la presse chrétienne européenne pour qu’ils puissent constater par eux-mêmes cette réalité qui, tout en étant complexe, était très mal médiatisée. Elle fit à tâtons les démarches auprès du Ministère de l’Information syrien grâce à une recommandation de l’organisation catholique. Contre toute vraisemblance elle obtint les visas pour les journalistes.

Devant l’impossibilité de trouver des traducteurs qui acceptent de se rendre à Homs et sa région, elle n’eut d’autre alternative que de le faire par elle-même. C’est alors qu’elle vit de ses propres yeux ce que les citoyens lui racontaient. Lors de la conférence de presse qui conclut au Liban ce premier voyage journalistique elle fut sollicitée pour parler au nom des journalistes. Ce qu’elle révélait assez ingénument au nom de seize journalistes de tendances diverses provoqua un immense émoi. Cette première onde de choc contrecarrant la campagne abêtissante de désinformation déchainée à l’encontre de la Syrie, fut décuplée avec les publications dans certains médias « mainstream » des articles ou des émissions des journalistes participant à cette odyssée qui tranchait avec la doxa en cours. Le message des journalistes, rapporté d’autant plus fidèlement par Mère Agnès-Mariam qu’elle en était elle aussi témoin, était que la situation en Syrie n’était pas binaire comme le martelaient les chaînes satellitaires tendancieuses : d’un côté des manifestations pacifiques et de l’autre les forces de l’ordre qui les oppriment, mais qu’elle était bien plus complexe avec la présence de bandes armées non identifiées qui harcelaient sauvagement et la population civile sans défense et les forces de l’ordre retranchées dans leurs casemates. Elle devint alors une figure médiatique incontournable par son courage à dire ce qu’elle voyait joint à sa connaissance du pays ainsi qu’à son statut de religieuse non alignée qui lui confère un crédit exceptionnel. Cependant elle fut vite honnie par les grands médias français puisqu’elle ne cautionnait pas la vision simpliste et caricaturale qu’ils cherchaient à diffuser.

La tentation sera donc forte de lui faire porter la responsabilité indirecte de la mort du journaliste français Gilles Jacquier le 11 Janvier à Homs.

Pourtant ce qui est vérifiable, puisqu’écrit, c’est qu’elle n’a pas invité les journalistes mais a seulement accepté de donner suite à une demande écrite de France TELEVISIONS pour permettre à l’équipe Jacquier d’aller faire un reportage dans les unités de l’armée syrienne en butte aux attaques des « rebelles » (2). Les Unités basées à Homs étaient expressément nommées ainsi que les précautions nécessaires pour cette mission (casque et gilet pare-balles). Mère Agnès Mariam s’occupe d’obtenir les autorisations nécessaires pour satisfaire cette demande. On était avant la période où, grâce à la présence des observateurs de la Ligue Arabe, le gouvernement avait ouvert la porte aux journalistes étrangers. L’intercession de Mère Agnès Mariam était alors encore nécessaire comme elle l’avait été pour la presse chrétienne les mois précédents. D’autres journalistes se joignirent progressivement à ceux de France 2. L’équipe Jacquier arrive le 7 janvier et évolue librement le 8 à Damas. Gilles Jacquier lui apprend très vite qu’il désirait rencontrer les « rebelles » de Bab Sbah, à Homs et que, pour cela il avait fait des contacts très significatifs. Par souci d’honnêteté elle accepta de lui trouver les permissions nécessaires pour passer des zones loyalistes aux zones dissidentes.

Les journalistes accompagnent la Mère le 9 à une prière commémorative de deux personnes assassinées par les rebelles. Puis elle les rejoint pour une rencontre qu’ils boudent très vite car aux antipodes de leurs convictions, enfin ils vont ensemble au ministère des Affaires étrangères C’est durant cette journée passée en leur compagnie que Mère Agnès-Mariam remarque que les journalistes se comportent très mal, allant même jusqu’à l’enregistrer à son insu. A leur demande, elle les rencontre le 10 Janvier au soir pour faire le point et allonger leur visa. Pour ce faire, elle les avertit qu’elle ne pourra pas continuer à les prendre sous sa responsabilité s’ils n’étaient pas fidèles à la charte de Munich. De plus le ministère de l’information réclamait qu’ils restent ensemble. Elle manifesta son étonnement devant Gilles Jacquier qui présentait un programme débordant le cadre fixé par la Direction de France Télévisions et pour lequel il avait explicitement obtenu son visa. Plus tard, elle comprit qu’elle avait été manipulée pour obtenir ce visa lorsqu’elle vit Sofia Amara confier à CNN que, juste avant son départ pour la Syrie, Gilles Jacquier lui aurait dit qu’il était « obligé » d’aller dans les zones loyalistes mais que, dès qu’il pourra, il « désertera » pour aller chez les rebelles. Pour couper court à la discussion elle demanda à tout le groupe de décider par lui-même quelle serait sa prochaine étape. C’était, soit rester ensemble et accepter explicitement la fidélité à la Charge de Munich, soit attendre la fin du visa et partir car la Mère refusait de prendre sous sa responsabilité des journalistes peu crédibles.

Les journalistes décident d’aller à Homs. Précisément le Ministère de l’Information affrétait le lendemain un grand autocar pour Homs. Voudraient-ils en profiter avec d’autres reporters « mainstream » ? Nos journalistes choisissent unanimement d’aller à Homs par leurs propres moyens. Mère Agnès-Mariam doit déléguer ses pouvoirs à deux d’entre eux arabophones. Elle les avertit solennellement que la Syrie est un pays en guerre et qu’à Homs c’est l’enfer. Et leur rappelle qu’il est interdit de s’aventurer à Homs au-delà de 15 heures car c’est à partir de cette heure que les tirs reprennent chaque jour depuis les quartiers rebelles. A partir de ce moment-là l’équipe Jacquier et le reste des journalistes s’organisent seuls. Le lendemain ils se perdront les uns les autres et arriveront à Homs vers 14heures. Pour « profiter du temps » ils décident d’aller visiter les quartiers alaouites. Un groupe des forces de sécurité les accompagne et les prie de ne pas s’éloigner d’eux afin qu’ils puissent assurer leur sécurité. Arrivés au quartier Hadara ils font des interviews. A 14h45 précises, le colonel leur enjoint de repartir. Mais le groupe de la Télévision flamande n’est pas à l’appel. Leur équipe avait dérivé plus loin. On va à sa suite et on la retrouve mêlée à une manifestation pro régime organisée pour le groupe des médias « mainstream » dans le bus affrété par l’Etat mais les journalistes qui l’occupaient s’étaient montrés plus prudents que notre groupe puisqu’à 14h45 ils avaient décidé de partir sans attendre l’arrivée de la manifestation. En voyant le grand bus s’éloigner, la vigie des rebelles avait cru que les journalistes étaient partis. Elle était incapable de repérer de loin la présence d’autres journalistes dans des voitures privées. Ces derniers se mêlent imprudemment à la manifestation et lorsque les deux premiers obus tombent ils se précipitent imprudemment à l’affut d’images fortes. On est vers 15h35. Le troisième tir fait 8 morts dont Gilles Jacquier (3).

Il est donc permis de s’interroger :

- sur le mensonge et la manipulation au sujet de la mission de l’équipe Jacquier : faire un reportage sur les unités loyales de l’armée syrienne comme le précisait la lettre de France TELEVISIONS n’est pas la même chose que rencontrer les « rebelles » ou, plus tard, décider de rester à Damas et Daraa pour faire une étude sur les « hommes d’affaires ».

- sur les risques pris par l’équipe Jacquier et les autres journalistes malgré les mises en garde de Mère Agnès.

- sur l’absence de précautions élémentaires pour des professionnels habitués à ce type de mission : gilet pare-balles, casque, pour aller faire des photos là où des tirs de mortiers des « rebelles » étaient quotidiens

- Sur la terrible campagne de diffamation déchaînée contre elle pour politiser son action et discréditer son témoignage.

Aurait-on cherché à décrédibiliser un témoin de poids qui dérangeait le dispositif propagandiste visant à pousser la Syrie vers un vide constitutionnel et le chaos ?"

"http://comaguer.over-blog.com

Bulletin n° 238 –Semaine 8 - 2012

(1) La charte de Munich des droits et devoirs des journalistes

Cette déclaration rédigée et approuvée à Munich les 24 et 25 novembre 1971 a été adoptée depuis par la fédération internationale des journalistes et par la plupart des syndicats de journalistes en Europe.

Dans le chapitre des devoirs du journaliste elle stipule :« 4- Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents. »

*extrait de la lettre de France Télévisions : « tourner ce reportage dans les rangs de l’armée syrienne accusée par la plupart des médias du monde entier, de réprimer le mouvement de contestation dans le sang. Peut‐être à tort ?’. »

(3) Le rapport des observateurs de la Ligue Arabe confirme bien que c’est un tir de mortier des « rebelles » qui a tué Gilles Jacquier"