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Réquisitoire diplomatique

Israël - Palestine - UE : le rapport qui fâche

Jeudi, 26 janvier 2012 - 11h58 AM

jeudi 26 janvier 2012

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Alors que la représentante de la "diplomatie européenne" Catherine Ashton effectue une visite de trois jours en Israël et dans les territoires palestiniens, les critiques de l’U.E. et de ses États membres contre l’amplification de la colonisation à Jérusalem-Est, notamment - ont pris ces dernières semaines un ton beaucoup plus vif qu’à l’accoutumée.

La publication de fait d’un rapport particulièrement sévère et argumenté des chefs de mission de ses États membres assorti d’une série de propositions contraignantes irrite spécialement les autorités de Tel Aviv.

par Pascal Priestley

C’est une simple note de vingt et une pages en anglais, officiellement non-publiée (« document interne ») mais dont l’authenticité n’est pas contestée, rédigée dans le courant de l’année 2011, et en circulation officieuse depuis une dizaine de jours.

Ses auteurs ne sont fichés dans la mouvance d’aucune organisation terroriste ni même d’ONG militantes ou « droits de l’hommistes » mais chefs de missions diplomatiques de l’UE en poste à Jérusalem-Est et Ramallah (Consuls généraux, qui sont les représentants de fait auprès des autorités palestiniennes, les ambassades auprès de l’État d’Israël demeurant dans la capitale internationalement reconnue, Tel Aviv). Quasi réquisitoire au ton a peine diplomatique, son contenu exaspère les autorités israéliennes et alourdit leurs relations déjà exécrables avec les pays de l’Union européenne.

La colonie juive Har Homa dans Jerusalem est, le 14 novembre 2010 (afp)"Israël est en train de perpétuer ses annexions"

En préambule, le rapport s’appuie prudemment sur des textes préexistants et rappelle la position traditionnelle de l’UE en faveur d’une « solution de deux États, avec un État palestinien, indépendant, démocratique, contigu et viable, comprenant la Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza, vivant en paix et sécurité avec Israël ». Mais il souligne le corollaire de cette position, moins agréable aux lecteurs israéliens, il est vrai non destinataires du document : « Sans Jérusalem comme future capitale de ces deux États, un accord de paix durable (…) ne sera pas possible ». Or, c’est cette perspective qui est en train de s’évanouir du fait de « l’augmentation systématique de la colonisation », en particulier à Jérusalem Est. Plus crûment, « Israël est en train de perpétuer activement ses annexions en sapant (« undermining ») systématiquement la présence palestinienne dans la ville par l’expansion de colonies (…), démolitions et évictions, une politique d’éducation inéquitable, des difficultés d’accès à la santé, la répartition inadéquate des ressources et des investissements et la précarité de la résidence ».

Suivent douze pages très argumentées de détails précis, parfois au logement près, peignant un tableau particulièrement sombre de la situation, marquée par une accélération cynique d’une colonisation éloignant sciemment tout espoir de partage.
Construction de nouveaux "logements" à Jérusalem-Est (AFP)Une série de mesures concrètes

Moins diplomatique encore, le texte des chefs de mission propose une série de mesures d’une « urgence croissante » destinées, notamment, à « préserver le tissus social palestinien ».

- Soutenir l’établissement d’une représentation de l’OLP à Jérusalem-Est (la Maison de l’Orient qui remplissait cette fonction a été fermée par Israël en 2001)

- Organiser des événements nationaux ou européens (comme les fêtes nationales) à Jérusalem-Est

- Éviter d’avoir des agents de sécurité et de protocole israéliens lorsque des personnalités européennes de haut-rang visitent Jérusalem-Est, y compris la Vieille Ville.

- Empêcher ou décourager les transactions financières venues d’États européens qui auraient pour but de financer les activités de colonisation et mettre en place une législation européenne dissuasive

- Avertir les opérateurs touristiques européens afin que leurs visites n’alimentent pas les activités de colonisation

- S’assurer que les produits fabriqués dans les colonies de Jérusalem-Est ne bénéficient pas du traitement préférentiel de l’accord commercial UE/Israël

- Sensibiliser le public sur l’origine de ces produits

- Informer les citoyens européens des risques liés à l’acquisition d’une propriété dans la ville occupée

- Organiser une présence européenne, notamment dans les tribunaux, lorsqu’une famille palestinienne est menacée d’expulsion ou qu’elle risque la démolition de sa maison

- Sensibiliser les visiteurs européens de haut-rangs aux sites sensibles (barrière de séparation…) et les encourager à ne pas rendre visite à des officiels israéliens dans leurs bureaux situés à Jérusalem-Est (Ministère de la Justice, par exemple).

- Assurer une intervention européenne quand des Palestiniens sont arrêtés ou intimidés pour des activités politiques, culturelles ou sociales pacifiques

- Partager les informations concernant les « colons violents » et examiner leur droit de voyager dans l’Union Européenne.

Toutes ces mesures constituent des propositions soumises aux dirigeants européens et rien ne dit qu’elles seront appliquées.
Beaucoup, comme le souhait de rétablir une représentation palestinienne à Jérusalem Est, étaient déjà contenues dans le rapport 2010. Si elles ne marquent pas une rupture dans les positions habituelles de l’UE ou de ses membres, le ton général du texte et des propositions concrètes comme la mise sur liste noire des colons violents n’en exprime pas moins une certaine « radicalisation » des diplomates européens de terrain, au passage eux-mêmes soumis à des vexations et entorses protocolaires diverses de la part d’Israël. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Yigal Palmor, a d’ailleurs assez peu apprécié leur rapport qu’il dit « compilé en utilisant une méthodologie discutable et concocté dans le dos d’Israël » sans cependant apporter de démenti à ses informations.

Les Européens ont notablement haussé le ton ces derniers mois contre la poursuite des constructions dans les implantations de Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qualifiée d’obstacle au processus de paix. L’année 2011 a été marquée par un bond des projets de construction israéliens, notamment à la périphérie sud de Jérusalem mais aussi une multiplication des agressions sectaires et des actes de vandalisme contre les Palestiniens et leurs propriétés.

Dans une déclaration commune le 20 décembre à l’ONU, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et le Portugal, membres du Conseil de sécurité, avaient condamné les attaques de colons extrémistes contre des Palestiniens et l’accélération de la colonisation. Israël a réagi en accusant ces quatre pays de « perdre leur crédibilité » et de se rendre « insignifiants ». Ce dernier épisode ne va pas rapprocher les points de vue.