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Article paru dans l’édition Le Monde du 07.01.2012

« Entre fanatisme religieux et extrémisme messianique »

Mercredi, 18 janvier 2012 - 7h48 AM

mercredi 18 janvier 2012

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"Une « villa dans la jungle » : c’est ainsi qu’Ehoud Barak, ministre israélien de la défense, et le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, voient leur pays dans son environnement proche-oriental. Un îlot menacé, qu’il faut défendre. Israël sait se cuirasser : lorsque l’ouvrage de sécurité titanesque qui est en chantier sur la frontière égyptienne sera achevé, une autre barrière de protection sera érigée le long de celle avec la Jordanie.

Ainsi, déjà isolée de la Cisjordanie par un autre « mur », la forteresse Israël sera-t-elle, en théorie, hermétiquement close. Mais il est un adversaire plus insidieux, dont la force ne peut venir à bout : c’est d’un ennemi de l’intérieur qu’il s’agit, un double fondamentalisme, incarné par le fanatisme religieux d’une partie de la communauté juive ultraorthodoxe, et par l’extrémisme messianique des colons.

Ces dernières semaines, les Israéliens ont semblé découvrir ce double radicalisme qui mine ce qu’ils croyaient être le consensus démocratique israélien. La vérité est que c’est l’Etat qui a encouragé deux secteurs idéologiques qui n’acceptent pas son autorité mais savent pouvoir compter sur sa connivence pour prospérer et étendre leur influence politique.

Deux visages féminins ont personnifié les effets de l’intolérance des haredim, ces ultraorthodoxes dont le nom signifie « craignant-Dieu ». Celui d’une petite fille de 8 ans, et celui d’une étudiante de 28 ans. Naama Margolis a montré aux téléspectateurs israéliens sa terreur de reprendre le chemin de l’école, sachant que des fanatiques s’apprêtaient à la couvrir de crachats en raison de sa tenue réputée indécente (des bras nus…).

Depuis qu’elle a mérité son surnom de « Rosa Parks israélienne » pour avoir refusé, comme la jeune Noire de l’Alabama en 1955, de se diriger à l’arrière d’un bus mehadrin (ultraorthodoxe), l’étudiante Tania Rosenblit reçoit des menaces de mort. Comment l’Etat israélien a-t-il pu laisser s’enraciner les mesures d’exclusion et de discrimination envers les femmes, et parfois l’obscurantisme religieux, qui ont cours dans la société haredi mais débordent dans la société laïque, en particulier à Jérusalem, où les visages féminins sont bannis de la publicité ?

Que pèsent en outre quelque 700 000 haredim face à 7,8 millions d’Israéliens ? La réponse est : un poids disproportionné. M. Nétanyahou n’est pas le premier chef du gouvernement à devoir son maintien au pouvoir au soutien politique des formations ultraorthodoxes, mais, plus que ses prédécesseurs, il leur a laissé la bride sur le cou. Les haredim et, au-delà, les « sionistes religieux » idéologiquement proches du parti des colons, exercent une influence croissante au sein de l’administration, de l’armée, de la justice, bref de la société israélienne.

Chez les ultraorthodoxes, plus de 80 % des hommes ne travaillent pas, la grande majorité d’entre eux sont exemptés de service militaire, mais leurs écoles talmudiques touchent d’importantes subventions de l’Etat, et leurs épouses, qui ont en moyenne 8 enfants, perçoivent des allocations familiales en conséquence.

L’ »Etat haredi » est donc largement un Etat-providence, ce qui ne suffit pas à lutter contre une grande pauvreté, mais déchaîne la colère grandissante des laïcs contre un segment jugé « parasite » de la société. L’inquiétude vient du fossé qui ne cesse de se creuser entre le monde haredi et le reste de la société : le cursus scolaire des enfants est expurgé des mathématiques, des sciences, de l’anglais et de l’histoire, et les concepts de démocratie, d’égalité des droits entre sexes n’ont aucun sens.

A ce fanatisme du monde haredi répond celui des colons, convaincus qu’ils remplissent une mission divine en faisant souche en terre palestinienne. Lorsque l’armée fait mine de vouloir les déloger, ils appliquent la politique dite du « prix à payer ». Les Israéliens sont habitués à ces représailles, qui s’exercent en général contre les Palestiniens. Mais c’est une autre histoire quand plusieurs centaines de colons extrémistes se vengent d’un début d’évacuation d’une colonie sauvage en saccageant une base de l’armée israélienne face à des sentinelles apathiques. D’un seul coup, les Israéliens se sont rendu compte que la politique de colonisation avait engendré une multitude de métastases extrémistes difficiles à contenir.

Or il en va des colons comme des ultraorthodoxes : depuis son arrivée à la tête du gouvernement, en mars 2009, M. Nétanyahou n’a cessé de jouer avec le feu en poursuivant une politique systématique de colonisation. En tenant tête avec succès au président Barack Obama, le premier ministre israélien a envoyé aux groupes de colons qui installent tentes et caravanes sur les collines de Cisjordanie un message sans ambiguïté : « Continuez, je vous soutiens ! »

Mais cette fuite en avant a des effets pervers : au sein du Likoud, l’influence prépondérante des colons est devenue un danger politique pour M. Nétanyahou. Sur la sécurité, la colonisation a ouvert une boîte de Pandore : l’armée israélienne, qui a la mission de protéger les Israéliens, veille sur la sécurité des colons en fermant les yeux sur leurs agissements. Comme il y a lieu de croire que le gouvernement n’a pas les moyens politiques de porter un coup d’arrêt à l’extrémisme religieux, Israël se trouve confronté au défi que lancent les zélotes et les colons messianiques à la fabrique démocratique de la société israélienne. Il va être d’autant plus difficile à relever que cette double dérive est le produit de son propre aveuglement."

lzecchini@lemonde.fr

Laurent Zecchini, correspondant à Jérusalem