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Le printemps arabe, miroir du développement mondial

Jeudi, 5 janvier 2012 - 7h54 AM

jeudi 5 janvier 2012

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Par Fedor Loukianov

Le printemps arabe a été abondamment décrit et commenté, et c’est tout à fait naturel car aucun événement de la politique mondiale n’a eu de conséquences aussi variées et dépassant largement son cadre régional.

Le processus qui a démarré en 2010, dans les derniers jours de l’année, a conduit au changement de régimes dans quatre pays (la Tunisie, l’Egypte, la Lybie et le Yémen). Il a insufflé une vie nouvelle dans l’islam en tant que force politique, il a attisé la concurrence entre les puissances régionales dans de cadre de laquelle des ambitions géopolitiques des Etats s’ajoutent à une confrontation interconfessionnelle des sunnites et des chiites, et il a conduit à la révision du rôle de l’OTAN. Enfin, ce processus a remis à l’ordre du jour la question de la démocratisation en tant que moyen de résolution de problèmes et a alimenté la réflexion sur l’essence de la démocratie dans le monde d’aujourd’hui.

Les Etats submergés par la vague révolutionnaire ne font pas partie (à l’exception du Yémen) des pays les plus pauvres et les moins avancés, aussi les causes purement économiques des troubles n’apparaissent-elles pas suffisantes. Le type de régimes autoritaires, maintenus en principe dans ces pays depuis la fin du XXe siècle, a longtemps été considéré comme le seul modèle possible au Proche et Moyen-Orient, toutefois, dans le contexte des changements survenus au cours des dernières décennies, il paraissait de plus en plus anachronique. D’autant plus que la révolution des médias a rendu l’expérience internationale accessible à des groupes de la population arabe qui, sans être majoritaires, étaient suffisamment importants pour entraîner des changements.

La question clé est celle de la légitimité. Ce n’est pas par hasard que les monarchies conservatrices du Golfe persique, où le pouvoir est légalement héréditaire, l’ont échappé belle. Alors que les républiques autocratiques dont les présidents se faisaient élire pour la forme et se préparaient à transmettre le pouvoir à leurs enfants, ont été balayés par la vague de la colère populaire.

Là où des élections ont déjà été organisées en 2011 (la Tunisie et l’Egypte), les partis axés sur l’islam politique ont remporté une victoire manifeste. Là où le vote n’a pas encore eu lieu (la Lybie, le Yémen et la Syrie), l’activité des islamistes est en plein essor. Cela n’a rien d’étonnant : après des décennies de gouvernance assumée par une seule personne ou un seul parti, c’est l’unique base de consolidation. Le développement de la démocratie au Proche et au Moyen-Orient reste possible à condition que des partis laïques fassent leur apparition à côté des partis islamistes et que les courants religieux dominants se montrent intéressés par l’édification d’institutions modernes. Dans le cas contraire, le printemps démocratique servira à légitimer un nouveau modèle antidémocratique, islamiste en l’occurrence.

Dans la lutte pour la suprématie régionale, deux monarchies riches en hydrocarbures donnent le ton, à savoir l’Arabie Saoudite et le Qatar. Ces deux régimes ont transformé la Ligue des Etats arabes (LEA) depuis toujours qualifiée de club des dictateurs en un instrument de changement de régimes (à l’exception de Bahreïn où l’ingérence saoudienne à contribué à l’écrasement du mouvement de protestation chiite) et en un organisme servant à justifier l’ingérence de l’OTAN (l’opération de l’OTAN en Lybie a été largement facilitée par le soutien des puissances arabes).

La superposition de trois processus, à savoir la concurrence pour la domination régionale (entre l’Arabie Saoudite et l’Iran), la confrontation interconfessionnelle (entre les sunnites et les chiites) et la mobilisation de la communauté internationale préoccupée par le programme nucléaire iranien contribuent à créer une nouvelle situation. En 2012, le risque d’une opération armée augmente : le fait que les intérêts de deux pays complètement différents, tels que l’Arabie Saoudite et Israël, ont objectivement coïncidé, joint à la campagne présidentielle aux Etats-Unis, rend la perspective d’un conflit armé parfaitement réelle. La composante irano-chiite passe au premier plan dans la confrontation liée à la Syrie : la pression que le monde arabe exerce sur le régime alaouite de Damas ressemble de plus en plus à une proxy war (une guerre par procuration) menée dans cet avant-poste de l’Iran.

L’ingérence de l’OTAN dans la guerre civile en Lybie a démontré que, premièrement, la capacité militaire de l’alliance est assez limitée et que, deuxièmement, l’OTAN est devenue nettement moins monolithique. L’opération était moins une intervention militaire de l’OTAN que de certains pays poursuivant leurs propres intérêts. La France et le Royaume-Uni ont tiré profit de leur rôle clé dans la campagne, alors que les Etats-Unis ont testé un nouveau schéma dans le cadre duquel la prééminence est cédée aux Européens lorsque le foyer du conflit a de l’importance à leurs yeux.

Le résultat le plus controversé de l’année est le sort de la démocratie. L’ingérence de l’Occident en Lybie a eu pour base légale l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne. Or, en fait, c’était une véritable opération militaire visant un changement de régime. Le soutien à l’aide de bombes accordé aux « forces démocratiques » de la Libye, c’est-à-dire à une partie en conflit, complètement inconnue jusqu’alors, outrepassait de loin les convenances, quelque soit l’attitude que l’on puisse avoir envers Kadhafi. Après avoir évolué pendant deux décennies, la transformation de la démocratie et de la protection humanitaire, qui ont cessé d’être des idées nobles pour devenir un instrument assez cynique, a culminé en Lybie et a fortement contribué au discrédit de ces notions.

Mais même décrédibilisée, la démocratie, ou plutôt la notion de l’alternance du pouvoir et le rejet de sa reconduction indéfinie, s’est propagée dans le monde et a pris racine. L’intention des dirigeants égyptien et libyen de simplement transmettre les rênes de l’Etat à leurs enfants a été rejetée par la société. Cela s’est également produit, sous une forme quelque peu modifiée, dans des pays complètement différents, notamment en Transnistrie où la population n’a voté ni pour un président jusque-là indéboulonnable ni pour un candidat à la présidence chaperonné par Moscou, et s’est prononcée, en fait, pour un candidat ne s’appuyant sur aucune force politique. Un phénomène similaire s’est manifesté en Russie où l’atmosphère politique avait connu un revirement défavorable au gouvernement après la décision de Vladimir Poutine de briguer un nouveau mandat présidentiel.

Chercher à imposer la démocratie provoque l’effet contraire, mais il est tout aussi impossible de s’opposer à l’aspiration naturelle de la population à s’exprimer dans la vie politique. Ce n’est pas tant le résultat de 2011 que celui des vingt dernières années qui ont suivi la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS.