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Pour tenter de bien comprendre les données de cette révolution-clé (ndlr)

La « police » égyptienne, « grand corps malade », lutte pour sa survie

Vendredi, 2 décembre 2011 - 10h10 AM

vendredi 2 décembre 2011

Le titre de cet article peut paraître une sorte d’apitoiement sur l’état dans lequel se trouve actuellement « la police » égyptienne.
Bien au contraire c’est un fait structurel de l’ancien régime et il faut intégrer la connaissance de cet état de fait afin de comprendre mieux la nuisance majeure que certains éléments de cette « police » cherchent, à tout prix, à créer afin de lutter contre la démocratisation et retrouver ainsi leur sinistre pouvoir de nuisance occulte voire officiel.
Le peuple égyptien n’est pas dupe et il a bien compris où se situe l’ennemi de son avenir de liberté.

Le Comité de rédaction

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Le Caire, novembre 2011

Par Pierre Puchot

Quelles sont vos premières impressions, après avoir voté ce mardi ?

C’est très différent de ce qui s’est passé en mars avec le référendum sur la constitution, qui était un vote simple, pour dire oui ou non, et dont personne ne comprenait bien les conséquences. Il y avait déjà beaucoup de monde dans les bureaux de vote, comme ce fut le cas lundi et mardi. C’est important de voter, mais mon enthousiasme est tempéré par le rôle de l’armée qui, comme vous le savez, joue un jeu très ambigu depuis le mois de février.

Vous avez entamé votre documentaire durant la révolution. Comment avez-vous observé les journées de violences et d’affrontements qui viennent de se dérouler place Tahrir, mais aussi à Alexandrie et ailleurs en Egypte ?

Ce qui s’est passé était voulu, et n’est pas le résultat, comme l’a dit l’armée, de « provocations ». Bien sûr, une fois que les premiers manifestants sont tombés et que la foule s’est faite plus dense, des voyous s’y sont mêlés, ce qui tendait à discréditer les manifestants dans leur ensemble.

J’étais à Tahrir dès les premières manifestations et violences, pour enregistrer tout ça avec ma caméra, qui m’a d’ailleurs été dérobée. Mon assistant a été touché au dos et à l’œil, qu’il a failli perdre. Il y a eu en tout 42 morts et des milliers de blessés côté manifestants, contre deux blessés côté police. Cela montre un peu la réalité des « provocations » que le CSFA (Conseil supérieur des forces armées, qui dirige le pays depuis février) a mises en avant pour se dédouaner.

Sur toutes les vidéos que j’ai prises, on voit très bien toutes les armes que la police a utilisées, du gaz lacrymogène lancé contre des familles présentes sur le bas-côté, aux balles en caoutchouc ou réelles. Ce qu’elle a fait ces derniers jours, la police ne l’avait jamais fait auparavant, même pendant la révolution, et surtout pas les derniers jours, où elle a essayé de ménager quelque peu son image, sa dignité et sa survie.

Plusieurs témoignages ont rapporté que les policiers visaient délibérément les yeux des manifestants. L’avez-vous observé vous-même ?

Je m’en suis rendu compte en considérant le nombre de personnes que je connais qui ont perdu un œil. Puis, plusieurs sources internes m’ont confié que c’était bel et bien une consigne, qu’il fallait arrêter les manifestants à tout prix et les tenir éloignés du ministère de l’intérieur, ce qu’une répression modérée, si je puis dire, n’aurait pas permis selon eux. L’autre objectif était de s’en prendre systématiquement aux médias, égyptiens en particulier, et de saisir caméras et appareils photos.

Aussi terribles qu’elles soient, ces violences ne m’ont pas surpris. Ces policiers-là sont formés pour cela, et ils ont un tel sentiment de revanche vis-à-vis de la population après la révolution... Un policier qui tirait dans les yeux des manifestants, dont la vidéo a été montrée sur Youtube, a été arrêté, parce qu’il s’est fait prendre la main dans le sac. Mais je peux vous assurer qu’il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas été inquiétés.

Pourquoi avoir choisi de vous intéresser à la police égyptienne, plutôt qu’à l’armée, ou aux forces politiques qui ont émergé à la faveur de la période de transition ?

L’Egypte était un Etat totalement sous contrôle, basé sur la sécurité et la répression. Chaque institution publique avait le devoir de maintenir le pays sous pression. Et 80% des institutions publiques appartenaient à ce que l’on appelle ici l’« assistance policière ». Ce ne sont pas des officiers de police, ni des militaires : ce sont des fonctionnaires de police qui travaillent au niveau de la rue, qu’ils occupent totalement ; ils sont partout, surveillent les mosquées, les banques, les hôpitaux, les écoles. Ils donnaient l’image d’un régime qui contrôlait tout, apportait la sécurité, mais pouvait être très dangereux pour qui s’y opposait. Ces policiers de la rue ne recevaient que très peu de formation, étaient payés une misère – 40 dollars par mois en moyenne – et ne coûtaient donc rien au régime.

Bien sûr, ils se paient sur le dos de la population. Et ceux qui avaient la chance de « surveiller » un secteur clé, comme le bâtiment, ou les réseaux d’électricité ou de télécommunication, pouvaient rapidement devenir très riches grâce aux pots-de-vin.

Sous Moubarak, la police, donc, était incontournable : il y avait entre 4 et 5 millions de policiers selon les estimations. C’est pour cela qu’elle m’intéresse aujourd’hui, en particulier la manière dont elle se transforme et tente de trouver sa place dans cette période de transition, pour survivre, tout simplement. Ils survivront, car ce sont de perpétuels survivants, et c’est la façon dont ils s’adaptent que j’essaie de documenter.

Cela me passionne davantage que les Frères musulmans ou les activistes, par exemple, car ces policiers viennent des milieux populaires, sympathisent avec eux, mais ont des ordres et les appliquent, causant une grande souffrance à la population. En ce sens, ils sont au cœur du processus révolutionnaire. L’un des deux policiers que je suis en particulier a perdu son frère durant la révolution, l’autre, toute sa foi dans l’ancien régime. Ils continuent cependant leur métier de policier. A travers eux, je m’intéresse à un corps qui, sans Moubarak, est désormais sans tête, mais demeure vivace et en pleine évolution.

Comment la police s’est-elle adaptée après la révolution ?

C’est le plus intéressant : après la révolution, ils savaient que leur temps était révolu, qu’ils ne pouvaient revenir à l’ancien régime. Et sans pouvoir continuer à intimider chaque citoyen pour trouver de l’argent, ils ne peuvent pas survivre. Le 23 février, soit douze jours seulement après le départ de Moubarak, ils ont donc déclenché une grève devant le ministère de l’intérieur, et dans toutes les provinces du pays. Et ils ont mis le feu au ministère. Du moins, c’est ce qu’ils ont déclaré par la suite, car de toute façon le ministère avait beaucoup de documents à brûler, cela arrangeait tout le monde.

Leur salaire a été augmenté, ils gagnent aujourd’hui entre 120, pour les sans-grades, et 200 dollars par mois. Ce qui leur permet de survivre. Les pots-de-vin existent toujours, mais leur volume a diminué, et ce n’est plus un système, comme cela l’était avant.

Ces 4 millions de policiers mécontents ne constituent-ils pas l’une des premières menaces pour le processus démocratique ?

C’est certain. Depuis leur grève de février, ils ont d’ailleurs organisé plusieurs manifestations un peu partout dans le pays, dont certaines furent très violentes. C’est aussi un signe que malgré les apparences, malgré le fait que les deux corps tuent les manifestants, la relation entre la police et l’armée ne fonctionne pas très bien. L’histoire de leur mésentente date du président Sadate, qui avait peur de l’armée, très puissante au cours des années 1970. C’est lui qui a étendu les effectifs et les prérogatives de la police, et Moubarak a suivi son modèle.

Aujourd’hui, l’armée reprend la place qu’elle avait avant Sadate, y compris au niveau des affaires et du volume des pots-de-vin, au détriment de la police, qui, comme l’armée, est très divisée actuellement et relativement imprévisible.

C’est une époque très intéressante à documenter, mais aussi très dangereuse à vivre.

Du point de vue des détentions arbitraires, des droits de l’homme, de la répression, des procès et prisonniers politiques, le bilan de la période de transition fait froid dans le dos. Comment la police et le CSFA travaillent-ils ensemble pour produire ce que beaucoup d’observateurs décrivent aujourd’hui comme une dictature militaire ?

Le CSFA utilise la police pour contrôler la rue, où l’armée n’a qu’une expérience limitée. La police a donc un rôle d’exécutant. En tant que policiers, vous ne pouvez aujourd’hui être en sécurité et assurer vos arrières que si l’armée vous voit d’un bon œil. C’est l’armée qui dispose des équipements et des armes, c’est l’armée que la population respecte et craint en même temps.

Notre image de l’armée est encore celle de la soi-disant victoire de 1973 contre Israël. Et d’ailleurs, parfois, l’on voit des militaires aider les manifestants. C’est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de la communication ou du véritable soutien, mais enfin... Aujourd’hui, c’est une certitude, aucune décision importante n’est prise au niveau de la police. L’armée, seule, est aux commandes du navire.
de faire la part des choses entre ce qui relève de la communication ou du véritable soutien, mais enfin... Aujourd’hui, c’est une certitude, aucune décision importante n’est prise au niveau de la police. L’armée, seule, est aux commandes du navire.

Source : Médiapart