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Le billet de Paul Jorion

Il y a une alternative

Mercredi, 30 novembre 2011 - 11h36 AM

mercredi 30 novembre 2011

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Lorsque Margaret Thatcher prononça son fameux TINA : « There is no alternative ! », son propos avait au moins pour lui une certaine plausibilité : la social-démocratie avait pris ses aises et une bureaucratie satisfaite régnait sur une économie que tout dynamisme avait fui. Le TINA thatchérien, rapidement rejoint par son cousin reaganien, entendait signaler la résurrection de l’initiative individuelle, le retour triomphal de l’« entrepreneur » et du rentier, qui annonçaient ensemble des lendemains qui chantent.

On sait ce qu’il en advint : privatisations et dérégulation, et surtout, part toujours croissante ponctionnée sur les gains de productivité par les dividendes des actionnaires, et par les salaires, bonus et stock-options extravagants des dirigeants des grandes entreprises. Pour les autres, des salaires dont la stagnation s’accompagnait, pour cacher la décote sur le pouvoir d’achat, d’une montée en puissance du crédit personnel, les salaires à venir devant, contre toute logique, compenser l’insuffisance de ceux d’aujourd’hui ; le résultat est connu : un système financier qui se fragilise d’être sillonné de longues chaînes de créance, où le défaut d’une seule suffit à entraîner dans sa chute toutes celles qui lui sont subordonnées.

TINA nous promettait un avenir meilleur et cet espoir lui assurait sa légitimité. De manière absurde, TINA est à nouveau invoqué mais pour justifier cette fois le cauchemar qui accompagne l’échec cuisant du même programme néo-libéral. Il n’existait paraît-il aucune alternative à celui-ci dans sa phase triomphante, et il n’existerait aucune alternative à sa déconfiture dans sa phase actuelle d’effondrement : austérité, rigueur et éradication de l’État-providence devraient être accueillies avec les mêmes hourrahs qui avaient salué le retour sur le podium de l’entrepreneur et du rentier.

Proclamer comme on le fait que la médiocrité et l’échec présents reflètent fidèlement la nature profonde de notre espèce est une insulte. Faut-il admettre la nécessité de ces gouvernements d’unité nationale dirigés par des techniciens, auxquels la Grèce et l’Italie sont aujourd’hui contraintes, la classe politique ayant fui, sachant qu’elle serait balayée bientôt par la colère des électeurs si elle persistait à étaler son indécente impuissance ?

L’Histoire a montré que notre espèce peut faire mieux. C’est Aristote qui louait la philia : le sentiment spontané qui nous pousse à œuvrer au bien commun. Il dénonçait au contraire l’intérêt égoïste, « maladie professionnelle » des marchands, nous avertissant des ravages que celle-ci peut causer.

Les années récentes nous ont montré où nous entraîne la « philosophie spontanée » des marchands et le temps est venu de rendre la parole aux philosophes authentiques. C’est Hegel qui nous rappelait dans La Phénoménologie de l’Esprit que

« … l’esprit qui se forme mûrit lentement et silencieusement jusqu’à sa nouvelle figure, désintègre fragment par fragment l’édifice de son monde précédent ; l’ébranlement de ce monde est seulement indiqué par des symptômes sporadiques ; la frivolité et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le pressentiment vague d’un inconnu sont les signes annonciateurs de quelque chose d’autre qui est en marche. Cet émiettement continu qui n’altérait pas la physionomie du tout est brusquement interrompu par le lever du soleil, qui, dans un éclair, dessine en une fois la forme du nouveau monde ».

L’espèce a montré au fil des âges qu’elle est bien de cette trempe !