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Djibouti, la clé discrète d’un détroit stratégique (ndlr)

« Pourquoi les tonnes de khat importées à Djibouti ne seraient-elles pas remplacées par des tonnes de denrées alimentaires ? »

Lundi, 24 octobre 2011 - 8h07 AM

lundi 24 octobre 2011

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ALI DEBERKALE, DIRECTEUR DE L’ASSOCIATION CULTURE ET PROGRES

Ali Deberkale, djiboutien, est aujourd’hui, le directeur de l’Association culture et progrès (Acp, www.acp-europa.eu). Son association, établie en Belgique, publie à la veille de chaque consultation électorale dans un pays de l’Afrique-Caraïbes-Pacifiques (Acp), un ouvrage collectif sur l’état des droits de l’Homme. Après Djibouti et la République démocratique du Congo, le Sénégal sera le prochain sujet de l’ouvrage collectif. Dans cette interview, il évoque la situation politique et la famine dans son pays.
Quelle est l’ampleur de la famine au Djibouti ?

L’ONU considère qu’un Djiboutien sur six se trouve aujourd’hui dans un état de grande précarité alimentaire et que la famine menace les communautés pastorales et certaines catégories vulnérables en milieu urbain. 150.000 personnes sont touchées par la faim et 100.000 d’entre elles ont besoin d’une aide alimentaire. Il faut ajouter à cela 30.000 réfugiés, provenant essentiellement de Somalie et d’Ethiopie, qui sont installés dans le pays avec très peu de services à leur disposition.

Comment l’expliquer ?

Djibouti importe 80% environ de ses céréales dont le prix a fortement augmenté et 85% de ses fruits et légumes ! En fait, seuls 3% des terres du pays sont arables et dans les zones rurales, la plupart des populations vivent de l’élevage. En raison de la sécheresse, les éleveurs nomades et semi-nomades perdent une grande partie de leurs animaux (jusqu’à70% ces dernières années) et sont alors contraints de migrer vers les villes déjà surpeuplées où ils viennent chercher une assistance et une nourriture qu’ils trouvent très difficilement. Enfin, une grande majorité de personnes sont sans emploi à Djibouti et donc sans ressources suffisantes pour acheter des denrées de base dont les prix flambent.

Peut-on imputer la faute aux politiciens ?

Il y a à Djibouti des obstacles structurels qui y rendent la vie particulièrement difficile. Il faut toutefois savoir que même si Djibouti est un pays extrêmement pauvre (plus de 80% des habitants des zones rurales vivent en dessous du seuil de pauvreté) et quasiment dénué de ressources, la République bénéficie des recettes générées par une situation géographique qui permet de monnayer à prix fort l’accueil de bases militaires étrangères, une intense activité portuaire ou encore la lutte contre le terrorisme et la piraterie. Seulement, ces ressources ne sont pas équitablement réparties et ne profitent dès lors pas ou beaucoup trop peu à la population. Cela relève bien sûr de la responsabilité du monde politique. Des investissements conséquents sont par ailleurs nécessaires pour mettre en œuvre des systèmes d’irrigation permettant de développer l’agriculture et pou optimiser les techniques de collecte et de stockage de l’eau afin que les éleveurs puissent continuer leur activité traditionnelle.

En quoi l’environnement économique international peut-il être en cause ?

La crise financière et économique internationale est un élément d’explication de l’insécurité alimentaire croissante à Djibouti. Les prix des denrées alimentaires ont flambé, or comme je viens de le dire, Djibouti dépend quasi exclusivement de l’achat de ces denrées sur des marchés extérieurs. Mais je le répète, ce n’est qu’un aspect de la question. À côté de cette réalité, il y a aussi à Djibouti un taux de chômage immense, de très sérieux problèmes dans la répartition des richesses produites et des choix politiques malheureux. Sur ce dernier point par exemple, pourquoi les tonnes de khat importées quotidiennement à Djibouti – je dis bien quotidiennement ! – ne seraient-elles pas remplacées par des tonnes de denrées alimentaires ? On me dit qu’en plus de ses « vertus » hallucinogènes, le khat est utilisé comme coupe- faim. Pour ma part, le meilleur coupe-faim ça reste la nourriture !

Que pensez-vous de l’actuel président de la République ?

Je ne sais pas ce que le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh pense au fond de lui de la démocratie, mais l’État qu’il dirige n’est pas un État démocratique. Le président de la ligue djiboutienne des droits de l’homme est très régulièrement arrêté et détenu avec d’autres défenseurs des droits de l’homme, les opposants politiques se plaignent de ne pouvoir mener librement et pacifiquement leur travail d’opposition ailleurs qu’en exil, les manifestations des jeunes qui ne demandent qu’à exprimer leurs difficultés sont sévèrement réprimées, les défenseurs des intérêts des travailleurs sont harcelés et empêchés de mener leur travail à Djibouti et auprès des instances internationales comme l’Oit auprès de qui Djibouti a une réputation exécrable… Aujourd’hui, à Djibouti, les gens n’osent pas dire ce qu’ils pensent et craignent pour leur vie lorsqu’ils le font.

Quelle est l’ambiance politique au Djibouti ?

Depuis les manifestations de février 2011 que je viens d’évoquer et les centaines d’arrestations qui s’en sont suivies, la tension a été très forte pendant plusieurs semaines. Ensuite les élections ont eu lieu et depuis lors, les choses ont repris leur cours habituel. Beaucoup de Djiboutiens disent se sentir abandonnés par la communauté internationale et en particulier les Américains ou les Européens qui privilégient leurs intérêts économiques et militaires dans la région et à côté desquels la souffrance des Djiboutiens représente bien peu de choses. Je crois malheureusement qu’ils n’ont pas tout à fait tort et que les Djiboutiens ne doivent compter que sur eux-mêmes. Il n’y a à Djibouti aucun média indépendant. Pour vous informer, vous avez donc le choix entre la propagande officielle et les discours des opposants.

Que fait votre organisation ?

L’Association culture et progrès (Acp) a pour principal objectif de contribuer à améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes dans les pays d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique, dans une perspective de progrès global et de développement durable. Avec le soutien de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (Fidh) et de la Ministre belge de la Culture, le premier livre de cette collection a été consacré à la situation des droits de l’Homme à Djibouti, à la veille des élections présidentielles d’avril 2011. Un deuxième livre est sur le point d’être finalisé dans le cadre des présidentielles qui auront lieu en République démocratique du Congo en novembre prochain. Le troisième numéro sera consacré à la situation des droits de l’Homme au Sénégal, avant les présidentielles de février 2012.

Hamidou SAGNA