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Source : ICAHD - Itay Epshtain - traduction JPP

L’été des démolitions

Mercredi, 4 octobre 2011 - 7h31 AM

mercredi 5 octobre 2011

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La politique d’Israël de colonisation a fait que l’été 2011 a battu tous les records en expansion des colonies, aux dépens des communautés palestiniennes.

Quelques heures après la démolition de sa modeste maison par les bulldozers israéliens, Khaled Abdallah Ali Ghazal se tient debout jambes écartées sur les décombres dans la chaleur torride du désert, et jure de ne pas partir. « Nous n’avons nulle part ailleurs où aller, nous reconstruirons, » dit-il. Pour des centaines comme lui dans la vallée du Jourdain, c’est la réalité de ce que le Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD) appelle « l’été des démolitions ».

La vallée du Jourdain a toujours captivé l’imagination des voyageurs et des pèlerins faisant allusion à sa représentation biblique qui la montre comme une terre luxuriante, fertile. Et en effet, la région profite d’une eau abondante, dans ses profondeurs se trouve la troisième nappe aquifère souterraine de Cisjordanie. Mais la réalité profane de la vallée du Jourdain, c’est la ségrégation et l’apartheid des ressources terrestres et aquifères.

Alors que les colonies juives illégales s’éparpillent dans le paysage avec des palmeraies-dattiers et des vignobles florissants, les communautés palestiniennes doivent se battre pour avoir un abri, de l’eau potable et des moyens rudimentaires pour la santé et l’enseignement. La politique d’Israël de colonisation a fait que l’été 2011 a battu tous les records en expansion des colonies, aux dépens des communautés palestiniennes.

Courant le long de la Cisjordanie, la vallée du Jourdain en couvre près de 30 % du territoire, avec une surface totale de 2400 km². Avant l’occupation de 1967, quelque 250 000 Palestiniens vivaient ici, mais, selon un récent sondage du Bureau central palestinien des statistiques, il en reste moins de 65 000 aujourd’hui.

La vallée du Jourdain tombe sous le contrôle total israélien avec l’Accord provisoire israélo-palestinien de 1995, connu sous le nom d’Accords d’Oslo II, qui l’a classée en Zone C. En vertu des Accords d’Oslo, les pouvoirs et les responsabilités en matière de zonage et d’urbanisme dans les Zones C devaient passer sous le contrôle palestinien, mais cela ne s’est pas fait et Israël a clairement fait savoir qu’il avait l’intention, illégalement, d’annexer la région et de la vider de ses habitants palestiniens.

Au cours des huit derniers mois, les démolitions de maisons et les expulsions forcées ont quintuplé par rapport à 2010. Un total de 184 structures, principalement des maisons abritant des familles, ont été démolies, déplaçant des centaines de familles et dispersant les communautés. Cette escalade ponctue toute une série d’agressions de colons qui veulent s’emparer des terres des communautés palestiniennes.

L’une de ces communautés est Fasayil al-Wusta, où des démolitions à grande échelle se sont produites plus tôt dans l’été. Vingt-et-une structures - 18 maisons et 3 enclos pour animaux - ont été démolies par l’Administration civile israélienne, laissant 103 personnes, dont 64 enfants, sans abri et exposées à l’environnement hostile du désert. Durant les démolitions, auxquelles s’est ajoutée la violence d’une cinquantaine de gardes-frontière, le patriarche de la communauté, Ali Salim Abiat, a été blessé. Aucune allocation de relogement ni indemnité n’ont été accordées aux victimes des démolitions.

Fasayil al-Wusta est le foyer d’une communauté bédouine palestinienne dont les membres sont originaires de la région de Bethléhem. Elle s’est trouvée coincée entre les colonies de Tomer, Yaift et Patzael, dont les résidents convoitent les terres cultivées par les Palestiniens pour l’expansion de leurs plantations. Après les démolitions, la communauté palestinienne a été dispersée, ce qui a permis aux colons d’obtenir ce qu’ils voulaient.

Au nord de Fasayil al-Wusta s’étend le check-point d’al-Hamra, isolant la vallée du Jourdain du reste de la Cisjordanie. En 2006, Israël a imposé l’interdiction aux Palestiniens qui ne vivaient pas à l’époque dans la vallée du Jourdain de se déplacer librement dans la région. Les restrictions à ses accès se sont concrétisées par 18 clôtures, six tranchées et des monticules de terre sur un total de 50 km, plus quatre portes agricoles prétendument conçues pour permettre aux communautés palestiniennes séparées de leur réseau de distribution d’eau de transporter de l’eau sur leurs terres et dans leurs maisons.

Les mesures employées par Israël, en opposition flagrante avec la loi internationale sur les droits de l’homme, ont conduit à ce que des milliers de dunums (10 dunums = 1 ha) sont maintenant inaccessibles aux communautés palestiniennes qui vivent sans ressources dans une région autrefois opulente.

Abu Saker, du village d’al-Jiftlik, explique ses contraintes pour approvisionner sa famille en eau : « Pour acheter l’eau, je dois conduire mon tracteur pendant trois heures à l’aller et autant au retour, alors que notre puits ici est réservé aux seuls juifs ». La porte agricole, officiellement ouverte trois jours par semaine, 20 minutes le matin, et 20 minutes l’après-midi, est en pratique rarement ouverte et les Palestiniens doivent faire la queue pendant des heures pour accéder à l’eau, aux soins, et à l’enseignement.

Une même politique de sanctions s’applique à une autre collectivité à la périphérie de Jérusalem, Khan al Ahmar, qui abrite une communauté bédouine palestinienne de réfugiés de 1948. Ces Palestiniens sont exposés à un déplacement imminent si les autorités israéliennes mettent à exécution leurs projets de démolitions de leurs maisons et école, dans les prochaines semaines. Khan al Ahmar est l’une des 20 communautés bédouines de la région devenues victimes d’un nettoyage ethnique, Israël tentant de créer une continuité entre Jérusalem-Est judaïsée, la colonie de Ma’ale Adumin avec ses 40 000 colons, dans le centre de la Cisjordanie, et les colonies de la vallée du Jourdain.

Les autorités israéliennes considèrent que les communautés bédouines comme Khan al Ahmar, qui représentent plus de 2300 personnes, « interfèrent » avec l’expansion planifiée de Ma’ale Adumin, Kfar Adumin et des autres colonies, et avec la construction de la clôture de Cisjordanie.

L’école de Khan al Ahmar, construite par la communauté, est la seule à offrir un enseignement primaire aux enfants de la tribu bédouine Arab al-Jahalin. Montée en 2009 dans le respect de l’environnement - l’école est faite de pneus usés et de briques de boue -, elle dispense un enseignement à plus de 70 élèves. La Cour suprême israélienne a récemment débouté les colons de Kfar Adumin de leur demande de fermeture de l’école ; cependant, l’affaire a déclenché le compte à rebours pour sa démolition.

Pour la création d’un État palestinien viable, la vallée du Jourdain représente une réserve essentielle de terres, un arrière-pays agricole et une infrastructure économique stratégique. Non seulement cela, mais la région donne aussi à l’État potentiel, son unique entrée terrestre.

Mais depuis le début de son occupation, en 1967, Israël convoite la vallée du Jourdain, tant pour son potentiel économique que pour son importance stratégique pour empêcher toute viabilité à un État palestinien. Il justifie sa présence dans la région comme nécessaire à sa sécurité - dans son discours de mai devant le Congrès US, le Premier ministre israélien Benjain Netanyahu a affirmé que dans tout accord éventuel sur un statut final auquel il pourrait arriver avec les Palestiniens, Israël gardera le contrôle sur la vallée du Jourdain.

Ainsi, durant les dernières décennies, et plus encore les six dernières années, depuis son retrait de Gaza, Israël a colonisé la région en créant ce qu’il considère comme irréversible, « des faits sur le terrain », avec des colonies et des bases militaires.

Quelque 25 000 Palestiniens des 65 000 à être restés dans la région vivent à Jéricho, dans ce qui est essentiellement une prison à ciel ouvert, bordée de check-points et de clôtures de tout côté. Les autres vivent dans des communautés rurales où la corne d’abondance généreuse de leurs ressources agricoles d’autrefois s’est tarie, puisque quasiment toutes les sources d’eau sont aujourd’hui réservées, exclusivement, pour les colonies.

Israël contrôle maintenant plus de 90 % de la vallée du Jourdain, grâce à 36 colonies où se sont installés plus de 9000 colons, et à des zones militaires dites fermées et des réserves naturelles déclarées. En attendant, les démolitions de maisons, les expulsions forcées et les confiscations de biens, exacerbées par la violence des colons et les conséquences économiques des restrictions à leurs déplacements, mettent les communautés palestiniennes dans l’obligation de se battre pour gagner leur vie.

L’été des démolitions voit maintenant les Palestiniens de la vallée du Jourdain vivre dans la crainte constante d’un déplacement et d’une dispersion, pendant qu’Israël sécurise sa suprématie et son contrôle sur cette terre troublée.

Itay Epshtain est codirecteur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD)

7 septembre 2011

http://www.icahd.org/?p=7613