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Par Luc Cédelle

L’éducation n’est pas un joujou pour despotes irritables : le forum de Bahrein annulé

Lundi, 3 octobre 2011 - 17h23

lundi 3 octobre 2011

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Une des assertions de ma série de billets de l’été sur le WISE (World international summit on education) de Doha (Qatar) se vérifie aujourd’hui dans les faits : l’éducation a bien partie liée, de manière indissoluble, avec la démocratie.

Plus précisément : avec les valeurs de l’éducation, en tout cas telles qu’elles sont portées par les institutions internationales. Ces valeurs restent radicalement impropres à leur exploitation durable par une dictature.

Comme j’en avais pointé la probabilité, le forum concurrent du WISE, organisé au Barhein sous le nom de « Education Project » et dont la troisième édition devait se tenir du 14 au 16 octobre 2011, n’aura pas lieu. L’écrasement dans le sang des protestations du mois de mars, puis les parodies de procès menées ces derniers jours ont rendu sa tenue impossible.

La presse internationale a rendu compte des « procès » des 28 et 29 septembre à Manaa, la capitale : condamnation à mort d’un manifestant accusé d’avoir tué un policier, emprisonnement à perpétuité pour deux leaders de l’opposition, condamnations allant jusqu’à 15 ans de prison contre les médecins et infirmières d’un hôpital qui avaient accueilli et soigné des manifestants.

Vrai visage

Certains aveux, selon les témoignages publiés, ont été obtenus sous la torture. Tel est le vrai visage du régime du Bahrein (Bahrain en anglais). De manière ahurissante, celui-ci avait ordonné, en mars, la destruction du célèbre monument de la Place de la Perle (Pearl Roundabout), à Manaa, qui symbolisait le pays mais avait aussi été le cœur géographique de la contestation.

Le Times du 30 septembre a consacré un éditorial à ces condamnations, sous le titre Outrage in Bahrain. Le quotidien estime que le Pentagone doit se hâter de rechercher une autre base que ce pays pour la 5ème flotte américaine. Il ajoute que les entreprises britanniques qui y sont implantées devraient interroger leur conscience et que les autorités de la Formule 1 devraient annuler le grand prix programmé là-bas en avril prochain.

Sous le titre « A Bahrein, des condamnations sévères déciment l’opposition au pouvoir royal », Le Monde daté du 1er octobre consacre également un long article à cette situation et conclut que « la sortie de crise semble encore lointaine ».

Dans ces conditions, et même sur invitations tous frais payés, un forum international consacré à l’éducation n’a plus aucun sens et ne porte plus aucun effet d’image. Les journalistes, seuls à même d’en assurer la notoriété, soit ne viendraient pas, soit consacreraient prioritairement leur curiosité à décrypter la situation politique… et à rencontrer les opposants !

« Bahrain Education Project will return in 2012 », peut-on lire sur le site officiel du sommet. Une affirmation optimiste : rien ne permet de supposer que la situation sera meilleure dans un an du point de vue des Droits de l’homme, à Bahrein.

Bonne affaire pour le Qatar

En attendant, cette annulation fait évidemment l’affaire du WISE, prévu à Doha du 1er au 3 novembre et pour lequel les organisateurs commencent à faire monter en puissance leur communication, à travers une campagne internationale de clips publicitaires (« Unlock your potential ») sur les plus grands médias audiovisuels mondiaux comme la BBC.

Prétendre que le Qatar serait une démocratie relèverait soit d’une grande naïveté, soit du mensonge délibéré. Mais au moins ses dirigeants multiplient-ils les signes indiquant que leur volonté d’évolution va dans ce sens-là et cultivent-ils ce qu’on pourrait appeler, à défaut de démocratie établie, une « respectabilité démocratique ».

Leur régime n’est cependant pas exempt de violentes ambiguïtés. La plus spectaculaire et la plus gênante réside dans les dérapages antisémites répétés des prêches du théologien d’origine égyptienne Al Qadarawi, une des vedettes de Al Jazeera et dont la notoriété internationale est en grande partie l’œuvre de la chaîne elle-même.

J’avais indiqué, dans mes articles de l’été, que ce théologien avait, dans son émission, donné pour authentique le célèbre faux antisémite des Protocole des sages de Sion. Dans un article intitulé « Les islamistes libyens en embuscade », paru dans Le Figaro du 27 septembre, le journaliste Renaud Girard, évoquant la « connexion qatarienne » cite des propos plus récents tenus lors d’un prêche télévisé en janvier 2009.

Voici l’extrait cité dans son article :

« Tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux Juifs des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait - et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits -, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans ! »

Perception optimiste

Voilà qui cadre très mal avec les messages répétés de pluralisme et de tolérance qui émanent du WISE. Selon les analyses, certains estimeront qu’il y a double jeu de la part des autorités du Qatar et d’autres qu’il s’agit de deux tendances, de deux camps opposés au sein de cette société comme au sein du monde arabe.

Dans cette perception « optimiste » (et qui a ma préférence), l’attitude démocratiquement pertinente ne peut consister qu’à appuyer les efforts des modernistes. En connaissance de cause, c’est-à-dire en sachant que leurs adversaires restent présents, actifs, puissants.

La réalité du Qatar reste prise dans cette concurrence entre, d’un côté, ceux qui intègrent réellement les valeurs universelles dans lesquelles s’inscrit le WISE et de l’autre côté, certaines forces qui n’ont pas la moindre intention d’y adhérer.

Cet entre-deux, et l’hypothèse de sa conclusion positive en faveur des Droits de l’homme, permettent, au Qatar, le succès d’une manifestation internationale comme le Wise. Au Bahrein, qui semblait si fréquentable il y a seulement un an, il n’y a plus d’entre-deux : juste un despotisme rétrograde et sanglant qu’aucune campagne de communication ne peut plus habiller.

Luc Cédelle