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Bienvenue au Hamas

AFRIQUE DU SUD - 12 mars 2006 - par ÉLISE COLETTE

jeudi 16 mars 2006

En invitant le chef du mouvement islamiste, Pretoria fait fi de toute pression et reste fidèle à sa tradition diplomatique.

http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN12036bienvsamahu0

Khaled Mechaal après Yasser Arafat. Celui-ci s’était rendu par deux fois en Afrique du Sud, le 11 août 1998, puis lors de l’investiture de Thabo Mbeki en juin 1999. Celui-là est attendu à Tshwane (Pretoria) dans les jours à venir. Le chef du bureau politique du mouvement islamiste a accepté l’invitation sud-africaine officiellement lancée le 2 mars, à la veille de son départ pour Moscou - première sortie hors de la scène moyen-orientale depuis sa victoire aux élections législatives palestiniennes du 25 janvier.
En conviant chez eux les représentants d’une organisation que les États-Unis et l’Union européenne qualifient de terroriste, les Sud-Africains ne dérogent pas à leurs principes. Jamais, depuis leur arrivée au pouvoir en 1994, les leaders du Congrès national africain (ANC) ne se sont embarrassés de la condamnation internationale d’un groupe, quel qu’il soit, pour mener leur propre politique extérieure.

Thabo Mbeki s’inscrit, sur cette question, dans la droite ligne de Nelson Mandela. Ainsi de sa « diplomatie discrète » envers Robert Mugabe, qu’il n’a jamais ouvertement contesté malgré les protestations britanniques, ainsi de l’accueil de Jean-Bertrand Aristide après sa destitution en Haïti, ainsi de la rencontre entre Saddam Hussein et Aziz Pahad, le vice-ministre des Affaires étrangères, à Bagdad, avant l’invasion américaine, ainsi de la reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique, ainsi du soutien de l’Iran, à qui Pretoria reconnaît le droit de poursuivre son programme de nucléaire civil... L’invitation officielle du Hamas répond, évidemment, à la volonté de l’ANC de faire de son pays le porte-parole alternatif des pays du Sud. Mais elle s’inscrit aussi dans une longue histoire d’amitié entre Sud-Africains et Palestiniens.

« C’est un honneur pour moi de recevoir le premier président de la Palestine, car votre nom est honoré par des millions de Sud-Africains et que vous êtes le leader d’un peuple qui partage avec nous l’expérience de la lutte pour la justice. » Ainsi s’exprimait Nelson Mandela lors de la visite officielle de Yasser Arafat en 1998. Et pour cause : les liens entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Congrès national africain (ANC) se sont renforcés à partir des années 1970, à mesure qu’Israël se rapprochait du régime de l’apartheid et approfondissait avec lui sa collaboration industrielle et nucléaire.

Une faible population de juifs, environ deux millions de musulmans, des relations tendues avec Israël depuis l’apartheid - même si elles s’étaient, ces derniers temps, un peu améliorées : le capital sympathie du peuple sud-africain envers la cause palestinienne ne date pas d’hier et devrait se transférer naturellement au Hamas.

« Que le gouvernement ne voit pas d’inconvénient à convier chez lui une organisation considérée comme terroriste par les États-Unis n’est pas étonnant », ajoute Kurt Shillinger, spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut sud-africain des relations internationales (SAIIA). « L’ANC aussi était jugé terroriste jusqu’au milieu des années 1980 par Washington et Londres. »

La comparaison établie par certaines organisations de défense de la Palestine entre l’apartheid sud-africain et la situation géopolitique actuelle d’Israël va souvent plus loin. Les territoires palestiniens occupés sont-ils les bantoustans du XXIe siècle ? Déni des droits de l’homme, confiscation des terres, déplacements de population, marginalisation économique : les ressemblances existent, même si les dirigeants sud-africains préfèrent, eux, ne pas tomber dans l’amalgame.

À cette proximité particulière avec les Palestiniens s’ajoutent, pour les leaders de l’ANC, les souvenirs romantiques de la lutte et la volonté indéfectible de soutenir la victoire de tous les mouvements de libération, en passant par le dialogue.

Le désir de se poser en modérateur des crises mondiales - avec plus ou moins d’habileté comme en Côte d’Ivoire -, et d’appliquer ailleurs les recettes de son propre succès a pourtant ses limites. En 2000 déjà, Yasser Arafat avait demandé à Mandela de mener la médiation au Proche-Orient. Une mission impossible que l’ancien président avait refusée. Nul doute que Pretoria tentera d’inciter le Hamas à davantage de modération. La Russie ayant échoué, le 3 mars, à faire accepter aux leaders du parti islamique l’idée qu’Israël a le droit à l’existence, les chances de la diplomatie sud-africaine sont faibles. Et tant qu’elle n’aura pas de siège au Conseil de sécurité, son aspiration à défendre les pays en développement ou les peuples exclus aura un écho limité.