Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Petites approximations de l’ambassadeur d’Israël

Par Alain Gresh - Le Monde diplomatique

Petites approximations de l’ambassadeur d’Israël

Jeudi, 28 juillet 2011 - 19h53

jeudi 28 juillet 2011

===================================================

« Le Proche-Orient a besoin d’une paix sincère, non d’un mirage diplomatique. » Sous ce titre, Yossi Gal, ambassadeur d’Israël en France, donne, dans le quotidien Le Monde (28 juillet), son point de vue sur le projet de reconnaissance de l’Etat palestinien par l’ONU.

Nous reproduisons intégralement ce texte, avec quelques commentaires (en gras). Je me suis limité à l’essentiel tant ce texte est bourré d’approximations, de contre-vérités, et traversé par cette arrogance qui caractérise la politique israélienne, non seulement à l’égard des Palestiniens, mais aussi de l’opinion internationale.

« “Je vous promets qu’Israël ne sera pas le dernier pays à accueillir l’Etat palestinien à l’ONU. Il sera le premier.” Cette déclaration du premier ministre israélien devant le Congrès américain en mai, quant à la reconnaissance d’un Etat palestinien issu de pourparlers, est une nouvelle preuve de l’engagement d’Israël pour la paix. »

Dans son discours, répondant au président américain, le premier ministre expliquait avant tout ses refus : refus d’un retour aux lignes de juin 1967, refus d’arrêter la colonisation (qui, selon les statuts de la cour pénale internationale, est un crime de guerre), refus du partage de Jérusalem... Si cela est un discours de paix, on aurait préféré un discours guerrier...

« Depuis plus de deux ans, Benyamin Nétanyahou a fait le choix, un choix sincère, de se déclarer publiquement en faveur de la création de deux Etats pour deux peuples. Nous sommes persuadés qu’il est possible de concilier les aspirations palestiniennes avec les intérêts sécuritaires israéliens. Israël ne s’oppose pas à la création d’un Etat palestinien. Au contraire. »

« La question n’est donc pas celle du principe mais du chemin pour y parvenir. Le problème qui se pose à Israël aujourd’hui n’est plus de savoir si un Etat palestinien autonome doit coexister au côté d’Israël. La question est plutôt de savoir à quoi cet Etat va ressembler. Va-t-il regarder vers le futur et travailler à créer une société pacifiée, juste et moderne, à laquelle nous aspirons tous ? Ou au contraire va-t-il se renfermer dans une espèce de frénésie fanatique et destructrice et dérober au peuple palestinien le fragile espoir d’un avenir meilleur ? Pour parvenir à la paix, il faut choisir la voie de la paix. Il appartient aux Palestiniens de démontrer au monde, et avant tout à eux-mêmes, qu’ils n’ont pas fait le choix de la guerre. »

Remarquons que l’ambassadeur ne parle pas d’Etat indépendant, mais d’Etat autonome, aussi autonome que l’étaient les bantoustans sud-africains (Israël a déjà fait savoir que cet Etat serait démilitarisé, n’aurait pas le contrôle de son espace aérien ni de ses frontières terrestres, que l’armée israélienne devrait stationner sur le Jourdain, etc.).

D’autre part, qui refuse au peuple palestinien le fragile espoir d’un avenir meilleur ? N’est-ce pas l’occupation qui n’en finit pas, la colonisation et le vol des terres qui se poursuivent, les mauvais traitements et la torture infligés par l’armée israélienne et dans les prisons ?

« La paix ne peut être que le fruit de négociations et de dialogue entre deux parties qui ont décidé de lier leurs destins et de construire l’avenir ensemble. Nous ne sommes parvenus à la paix avec la Jordanie et l’Egypte que par des négociations directes. Imposer un fait dont nul ne sait s’il est basé sur une intention sincère n’est, à mon sens, pas un acte de paix et n’est dans l’intérêt de personne - y compris évidemment pas dans celui des Palestiniens. »

Négociations directes ? Mais elles se sont déroulées depuis 1993, sans jamais aboutir, du fait principalement du refus israélien d’arrêter la colonisation, de reconnaître le droit des Palestiniens à l’indépendance, de respecter les accords qu’Israël avait signés et jamais vraiment appliqués. Si l’on dressait la liste des violations des accords d’Oslo, on verrait que les gouvernements israéliens successifs n’ont respecté ni l’esprit, ni la lettre des textes, ni les calendriers.

« Une action unilatérale viendrait également à l’encontre des principes définis par le Quartet. En 2003, la communauté internationale a établi trois principes qui stipulent, entre autres, le respect de tous les accords signés entre l’Autorité palestinienne et Israël. Si nous demandons au Hamas de respecter ces conditions, il va sans dire que l’Autorité palestinienne doit les respecter aussi. Cette initiative palestinienne à l’ONU, coûte que coûte, en représenterait une violation flagrante. »

Si l’Autorité palestinienne et le Hamas doivent respecter les conditions du Quartet, qu’en est-il d’Israël, qui n’a jamais reconnu le droit des Palestiniens à un Etat dans les frontières de 1967, n’a pas respecté les accords d’Oslo et a utilisé la violence sur une échelle sans commune mesure avec celle utilisée par le Hamas ? Faut-il vraiment rappeler ce qui s’est passé à Gaza en 2008 ?

« Nous avons, avec les Palestiniens, un objectif commun. Israël a fait le choix d’accepter le principe de deux Etats nations pour deux peuples. Un Etat juif au côté d’un Etat arabe palestinien. Cet “Etat juif” est mentionné dans la résolution 181 de l’ONU depuis novembre 1947. Cet Etat fut rêvé par le peuple juif durant des siècles. »

Si l’ambassadeur avait la moindre notion d’histoire, il saurait que la revendication d’un Etat juif est née au XIXe siècle et que jamais auparavant quiconque dans les communautés juives n’avait songé à cet Etat (même si certains juifs pieux allaient en Palestine pour y être enterrés). Il saurait aussi que la grande majorité des juifs européens au XIXe et au XXe siècle, quand ils ont pu choisir librement leur lieu d’émigration, se sont rendus aux Etats-Unis. Et qu’il a fallu forcer les juifs soviétiques à se rendre en Israël en leur fermant la porte du Nouveau Monde.

« Israël sera le premier à reconnaître un Etat palestinien pacifique et progressiste. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Nous n’avons pas même la certitude, ou plutôt nous n’avons pour toute certitude que le refus constant de la part des Palestiniens de la reconnaissance de l’Etat juif. »

Israël est-il un Etat pacifique et progressiste lui-même ? Aucun Etat au Proche-Orient n’a déclenché unilatéralement autant de guerres. Quant à son caractère progressiste, on peut en douter quand on sait le poids des religieux, quand on voit les lois liberticides adoptées ces dernières années et les discriminations persistantes non seulement des Palestiniens d’Israël, mais aussi des séfarades.

« Le fait que les Palestiniens aient décidé de mettre un terme à des années de négociations, réclamant le “droit au retour” de leurs réfugiés en Israël, ne peut que nous faire douter davantage de leur volonté réelle de reconnaître Israël en tant qu’Etat du peuple juif. Le droit au retour doit se faire, de la façon la plus logique, la plus sensée, dans les frontières de l’Etat palestinien nouvellement créé. Suivant la logique palestinienne, il y aurait donc un nouvel Etat palestinien indépendant mais avec des réfugiés qui viendraient s’installer dans cet “autre Etat”, Israël ? »

Le refus des Palestiniens de reconnaître Israël comme Etat du peuple juif est non seulement important pour les Palestiniens d’Israël, mais aussi pour les juifs du monde, pour qui une telle reconnaissance serait une catastrophe (lire « L’“Etat juif” contre les juifs »).

Jamais les Palestiniens n’ont renoncé à la résolution de décembre 1948 votée par l’Assemblée générale de l’ONU, résolution régulièrement votée tous les ans. Et rappelons qu’Israël, pour être admis à l’ONU, a reconnu ce texte à l’époque. Les accords d’Oslo prévoyaient d’ailleurs que cette question des réfugiés serait discutée dans la dernière phase des pourparlers.

« Les Palestiniens jouent aujourd’hui un jeu dangereux. Ils attisent les attentes et les espoirs du peuple palestinien, lui faisant croire à toutes sortes de mirages, dont celui de l’ONU. A quoi ressemblerait le Moyen-Orient s’il devenait le terrain de décisions unilatérales ? »

On croit rêver... Qui, sinon Israël, a multiplié les décisions unilatérales et les faits accomplis au Proche-Orient, de l’application de la loi israélienne au Golan à l’annexion de Jérusalem, sans oublier la colonisation et... les guerres ?

« Il existe un débat interne au sein du gouvernement palestinien. De hauts responsables palestiniens sont conscients que cette voie unilatérale n’est peut-être pas une option souhaitable et doutent, comme de nombreux pays, de la sagesse de cette initiative à l’ONU. La coopération sécuritaire et économique avec Israël, qui a contribué à l’éclosion d’une économie prospère en Cisjordanie ces dernières années, pourrait elle aussi être remise en cause. »

Une économie prospère en Cisjordanie ? L’ambassadeur n’y a sans doute jamais mis les pieds. Et la prospérité factice de Ramallah ne peut cacher la misère des camps.

« Notre région vit une période d’espoir et d’incertitude. L’enjeu devrait être pour nous tous de soutenir et de renforcer les forces du progrès contre celles de l’intégrisme. Le printemps arabe a dévoilé au monde la nature barbare des régimes de Mouammar Kadhafi et de Bachar Al-Assad. Il a aussi présenté le visage de cette jeunesse arabe, luttant avec un courage extraordinaire, inimaginable, pour une vie meilleure et la liberté de mettre son dessein en accord avec le destin de son pays. »

Et qui évoquera la barbarie de l’assaut contre Gaza, des guerres israéliennes au Liban, de 1982 à 2006 ? Si c’est cela le visage du progrès, renonçons-y vite. Quant à la jeunesse arabe, celle d’Egypte comme celle de Tunisie, elle lutte avec courage, mais il suffit d’avoir été dans ces pays pour savoir que sa solidarité avec les Palestiniens est entière et qu’elle n’y renoncera pas.

« Une reconnaissance unilatérale n’est rien de plus que le mirage d’une victoire diplomatique qui ne fera pas avancer la paix mais au contraire n’aura pour résultat que de nous en éloigner encore davantage. Le temps est facteur de risques dans notre région. Revenir à la table des négociations, au plus tôt et sans conditions préalables, devrait être la priorité absolue. »

Pour les Palestiniens, revenir à la table de négociations, sans conditions préalables, c’est permettre à Israël de poursuivre la colonisation tout en faisant semblant de négocier. C’est cela qui met en danger la paix dans la région depuis des dizaines d’années.

Un mot en conclusion. Le vrai problème, c’est que les négociations ne sont pas possibles tant que le gouvernement israélien comme la communauté internationale n’auront pas intégré ce fait : les deux parties en présence sont inégales ; l’une est une puissance occupante et l’autre un peuple occupé.