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Démocratie & socialisme 186, 06-07-08/2011

Post it Palestine - « VRAIS ET FAUX RETOURS »

Jeudi, 28 juillet 2011 - 6h57 AM

jeudi 28 juillet 2011

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Par Philippe Lewandowski

En cette année 2011, deux anniversaires font trembler les autorités sionistes : celui de la Nakba (catastrophe de 1948, le 15 mai) et celui de la Naksa (défaite de 1967, le 5 juin), qui ont vu des milliers de réfugiés palestiniens confluer pacifiquement et sans armes vers les lieux dont ils sont originaires. Fidèle à ses habitudes de cruauté sanguinaire, l’armée israélienne n’a pas hésité à tirer sur la foule, faisant dans les deux cas des dizaines de tués et de multiples blessés.

Ces évènements, qui s’inscrivent de toute évidence dans le cadre du réveil en cours des peuples arabes, remettent au premier plan le problème des réfugiés palestiniens . L’UNRWA (agence des Nations Unies chargée de ces réfugiés) évalue leur nombre à plus de 4 millions . Ce qui semblait ne constituer qu’un point de droit international abstrait, ou une campagne virtuelle symbolique hébergée par le site de la communauté palestinienne aux États-Unis , est devenu concret et visible. Face au blocage israélien et aux atermoiements des instances supranationales et des gouvernements, une fois de plus, un peuple opprimé est lui-même entré dans l’arène. Le tragique est qu’il ne semble parvenir à se faire entendre qu’au prix de son propre sang. Mais qui l’écoute ? Même après l’arrêt de la stratégie de lutte armée qui a marqué les premières années de la Résistance palestinienne, les initiatives diplomatiques (vers la proclamation d’un État palestinien) ou les actions et campagnes de la société civile (manifestations hebdomadaires de Bil’in, campagne BDS) ne rencontrent qu’un écho encore insuffisant. Le fantasme du terrorisme masque presque inexorablement la réalité de la dépossession, de l’occupation et de la victime. Mais celle-ci se dresse, les mains nues, et réclame ses droits. Parmi eux, le droit au retour.

Les Palestiniens revendiquent à juste titre la possibilité de pouvoir vivre sur les terres qui ont toujours été les leurs. Ne constituent-ils pas les véritables descendants des Judéens de l’Antiquité ? L’historien israélien Shlomo Sand illustre cette analyse en citant David Ben Gourion (avec Yitzhak Ben Zvi) :
« Venir prétendre qu’avec la conquête de Jérusalem par Titus […] les Juifs cessèrent complètement de cultiver la terre d’Eretz Israël découle d’une ignorance totale de l’histoire d’Israël. […] Le cultivateur juif, comme tout autre cultivateur, ne se laisse pas si facilement déraciner de son sol, qui regorge de la sueur de son front et de celui de ses ancêtres. […] La population paysanne, en dépit de la répression et des souffrances, resta sur place fidèle à elle-même. […] Si les anciens paysans se convertirent [à l’Islam], ce fut sous la pression de raisons purement économiques – principalement pour se libérer du poids des impôts. »

Construction purement idéologique, la légende sioniste du retour du peuple juif sur sa terre après 2000 ans d’exil ne résiste guère à l’analyse. En 1975, Martin Bernal, dans une argumentation préfigurant en partie celle de Shlomo Sand, écrit ainsi :
« L’idée conventionnelle selon laquelle tous les Juifs de la Méditerranée descendent génétiquement de cette communauté de base, établie sur un territoire d’environ trente kilomètres carrés autour de Jérusalem, ne résiste pas à l’examen. […] Les populations qui se convertissent au judaïsme durant cette période sont nombreuses et variées. » Ni les Khazars (ancêtres des Ashkénazes), ni les Berbères judaïsés, pour ne citer qu’eux, n’ont jamais résidé en Palestine.
Amnon Raz-Krakotzim explore les critiques des fondements du sionisme qui se trouvent dans le judaïsme même. Il considère la pensée sioniste comme « une combinaison de religion et de colonialisme. » Il pose également le problème de la définition d’Israël comme « l’État du peuple juif » : « Elle inclut dans cet État des juifs qui sont les ressortissants d’autres États et appartiennent à des cultures nationales différentes, tandis qu’elle en exclut ses propres citoyens arabes. Ce n’est donc ni un État-nation ni un État démocratique. »

Il convient de signaler ici un autre type de retour, soigneusement minimisé ou placé sous silence par les médias dominants, celui des immigrants juifs en Israël qui, pour des raisons liées aux réalités et à l’évolution d’une société sous bien des aspects littéralement prise en otage par des colons fanatiques religieux, repartent dans leur pays d’origine ou leur demandent un passeport. Qui sait que 22 % des juifs d’origine russe arrivés depuis 1990 sont repartis en Russie ? Près de 70 % des Israéliens auraient déjà pris contact avec une ambassade étrangère pour s’informer sur ou faire une demande de citoyenneté et de passeport !

Amnon Raz-Krakotzim explique que la légitimation possible de la pérennité d’une existence juive en Israël passe fondamentalement par une reconnaissance mutuelle prenant en compte tant les circonstances de la création de l’État d’Israël que sa responsabilité dans le destin des réfugiés palestiniens. Force est de constater que les Palestiniens ont fait des pas dans cette direction. Mais les Israéliens ?

Philippe Lewandowski
(Démocratie & socialisme 186, juin-juillet-août 2011)

Notes

En 1949, la conférence de Lausanne, fondée sur la résolution 194 des Nations Unies, s’était concentrée sur un appel au droit au retour des réfugiés. En 1967, la résolution 237 priait les Israéliens de faciliter le retour des habitants qui se sont enfuis de ces zones depuis le déclanchement des hostilités. La résolution 468 demande au gouvernement israélien de faciliter le retour immédiat des notables palestiniens expulsés, afin qu’ils puissent reprendre les fonctions auxquelles ils ont été élus ou nommés. Etc., etc. Comme s’il ne semblait pas suffisant d’ignorer ouvertement ces résolutions, en 2001, la Knesset (parlement israélien) votait une loi au titre explicite : « Loi pour sauvegarder le rejet du droit au retour »..
Ce nombre comprend les réfugiés résidant dans les territoires palestiniens occupés et dans la bande de Gaza.
« When I return », http://uspcn.org/2011/05/13/whenireturn-org-what-will-you-do-when-palestine-is-free/ , consulté le 13-06-2011
Shlomo Sand, « Comment le peuple juif fut inventé ».- Paris : Fayard, 2008, p.261.
Martin Bernal, « Juifs et Phéniciens », dans « Labyrinthe » n°36.- Paris : Hermann, 2011, p.92-93..
Amnon Raz-Krakotzim, « Exil et souveraineté : judaïsme, sionisme et pensée binationale ».- Paris : La Fabrique, 2007.
Op. cit., p.210.
Franklin Lamb, « Les Israéliens se ruent sur les seconds passeports », http://www.ism-france.org/analyses/Les-Israeliens-se-ruent-sur-les-seconds-passeports-article-15672 , consulté le 13-06-2011.