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De notre ami et partenaire luxembourgeois Michel Legrand

Indigné je suis ! Trois fois indigné je suis !

Mercredi, 13 juillet 2011 - 13h11

mercredi 13 juillet 2011

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600 pacifistes européens (dont 300 de France) avaient comme projet de se rendre en Palestine en ce début de juillet pour répondre à l’invitation de 12 organisations palestiniennes. Un certain nombre avait rendez-vous à Bethléem, au centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés de Aida - Al Rowwad présentait jeudi dernier un spectacle théâtral à la Fondation Pescatore à Luxembourg-ville.

La plupart de ces pacifistes en ont été empêchés : soit - quand ils ont pu quitter les aéroports européens -, ils ont été refoulés à leur arrivée à l’aéroport israélien Ben Gourion et renvoyés dans leur pays de départ, soit ils ont été arrêtés et emprisonnés (prison de Ramleh, proche de Tel Aviv, et prison de Beer-Sheva dans le Néguev) ; soit ils ont été empêchés de monter dans l’avion au départ de plusieurs aéroports européens, dont l’aéroport Charles de Gaulle à Paris.

Je suis profondément indigné. Triplement indigné.

Indigné d’abord des miracles linguistiques opérés par certains médias et certaines autorités administratives, policières ou politiques, ici en Europe et en Israël. Des « pacifistes » - des personnes qui s’engagent pour la paix, ici pour une paix juste au Proche-Orient » - sont habituellement étiquetés « militants pro-palestiniens » (nous en avons l’habitude au Luxembourg) ; puis, ils sont transformés en « activistes pro-palestiniens ». Mais voilà que, comme par miracle - 3e glissement sémantique -, ils sont aujourd’hui étiquetés et transformés par les autorités israéliennes – reprises en chœur, sans « guillemets », par certains médias occidentaux – en « provocateurs » voire en « hooligans » (par extension, personne sauvage et violente, prête à faire de la casse).

Que s’est-il donc passé ? Qui sont ces « hooligans » ?

Sachez d’abord ceci. Si, comme citoyen du Luxembourg, vous voulez vous rendre avec quelque certitude dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO), et donc passer avec succès les contrôles à l’aéroport Ben Gourion (Tel Aviv), vous devez habituellement, soit mentir, soit ne pas dire toute la vérité : « je viens faire du tourisme en Israël, je viens visiter les « lieux saints », je viens faire de la plongée sous-marine à Eilat, je viens rencontrer des amis israéliens … ». C’est ce que j’ai fait moi-même une dizaine de fois depuis 2004, à l’aller et au retour, parce que mon objectif premier était de passer, en disant vrai … mais pas toute la vérité. Si vous avez la naïveté, la franchise ou l’audace de dire que vous comptez vous rendre dans les TPO, vous prenez des risques importants : soit vous êtes immédiatement expulsé (ce qui arrive fréquemment), soit vous êtes bon pour un interrogatoire en règle, long (plusieurs heures), musclé, et vous passez, ou vous ne passez pas. Soit, au terme de cet interrogatoire, vous êtes maintenu en centre de « rétention » un certain nombre d’heures jusqu’au prochain départ pour votre pays de départ. Dans ce cas, votre passeport est tamponné « access denied » (interdit d’entrer) pour plusieurs années. Au cours des dernières années, c’est ce qui est arrivé à de simples citoyens, à certains coopérants, à certaines « missions » en Palestine, dont tous les membres se sont vus refoulés. C’est ce qui est arrivé à une jeune volontaire du Luxembourg en janvier 2010, envoyée pour trois mois à Bethléem dans le camp de réfugiés de Aida, par le Service National de la Jeunesse et le Ministère luxembourgeois de la coopération, pour participer à un projet d’exposition sur « le chemin de l’école » par des élèves de lycées de Bethléem, de Jérusalem et de Luxembourg-ville. À son arrivée à l’aéroport Ben Gourion, elle a été interrogée pendant plus de 6 heures, puis détenue en centre de rétention pendant plus de 14h avant d’être remise manu militari sur un avion à destination de Luxembourg.

Pourquoi des militants des droits de l’homme, des volontaires pour la coopération, les 600 pacifistes européens, américains et autres de ces derniers jours subissent-ils un tel « traitement spécial » ? Pour la sécurité d’Israël ? Ne me faites pas rire !

Bien sûr, Israël reste sous la menace d’actions diverses, y compris terroristes ! Bien sûr, Israël a le droit de protéger son territoire et ses concitoyens, comme tous les pays du monde, d’ailleurs ! Mais dans les cas ici évoqués, il s’agit d’autre chose : les autorités israéliennes veulent éviter que des personnes étrangères (et même des pacifistes israéliens) témoignent des atteintes quotidiennes par l’État d’Israël aux droits de l’homme et au droit international. Israël cherche même à limiter le plus possible les contacts entre Palestiniens et citoyens étrangers. En cela, il vise à isoler la population palestinienne et, dans les faits, il étend son blocus de Gaza jusqu’en Cisjordanie occupée. Quel est donc le « crime » de ces personnes ? le crime de témoignage, de contact humain, d’indignation devant l’inacceptable. Avec elles, je m’indigne.

Ce qui s’est passé ces derniers jours à Tel Aviv , à Paris…, est bien plus grave. D’où ma seconde cause d’indignation.

Sur base des listes de passagers des aéroports de départ et de listes constituées par les services secrets israéliens, ces derniers ont fourni aux compagnies aériennes une liste de 342 « indésirables ». Suite aux avertissements israéliens que ces passagers seraient immédiatement refoulés aux frais des compagnies, celles-ci ont refusé à plus de 200 passagers, pourtant parfaitement en règle de billet, de passeport, sans casier judiciaire aucun, de monter à bord et de se rendre en Israël.
Ce qui est en cause fondamentalement ici, c’est la soumission de ces compagnies aériennes et d’autorités aéroportuaires européennes aux menaces et au chantage israéliens (certaines compagnies ont refusé ce chantage). Les conséquences ? D’une part, le blocus des Territoires Palestiniens Occupés s’étend désormais … jusque Paris, Londres, Francfort, Genève … grâce à la collaboration de ces compagnies et de certains gouvernements européens ! D’autre part - nouveau pas franchi dans ce cirque international -, les atteintes à la vie privée et à la libre circulation ont atteint nos capitales et nos villes européennes, avec la complicité de compagnies bien de chez nous. Au delà des préjudices subis par ces voyageurs (leur temps, leur argent, …), il y va des droits civiques de nos concitoyens. Il y a largement de quoi porter ces pratiques devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la Cour de Justice de l’Union européenne.

Quant aux voyageurs qui ont réussi à débarquer à Tel Aviv, ils ont été accueillis par plusieurs centaines de policiers en civil. D’après le chef de la police israélienne et du ministre de la Sécurité publique israélien Yitzhak Aharonovitch, il s’agissait d’éviter des « troubles à l’ordre public ». Or ces voyageurs avaient une seule consigne : nullement de faire du tapage, nullement de manifester, nullement de mener des actions violentes, seulement de répondre poliment aux agents de la sécurité : « nous venons visiter et rencontrer des familles et organisations palestiniennes qui nous ont invités ». Voilà leur seul « crime ». Pour ce « crime », beaucoup ont été réembarqués sans plus attendre vers leur destination d’origine. Mais plusieurs dizaines ont été arrêtés, placés en centres de rétention jusque dans le sud d’Israël. Plusieurs de mes amis belges et français sont dans le cas : il est interdit d’être témoin !

Mais encore et enfin : si la Grèce, en faisant le travail d’Israël, a permis à celui-ci d’étendre le blocus de Gaza (totalement illégal au regard du droit international) jusqu’à l’intérieur de l’Union européenne en bloquant toute la flottille de la liberté pour Gaza, nos compagnies aériennes et certains de nos gouvernements ont fait le travail des policiers israéliens de l’aéroport Ben Gourion … et ont permis à Israël d’étendre le blocus de la Cisjordanie jusqu’à nos portes.

Une chose encore, tout aussi grave, préoccupante et indigne. Dans plusieurs aéroports européens, Israël dispose d’espaces réservés, considérés comme territoires israéliens, bénéficiant d’une quasi immunité diplomatique. Dans ces espaces, les employés et policiers israéliens, souvent en toute impunité et à l’abri des regards, mènent des interrogatoires musclés, humiliants, violents, attentatoires à la dignité (y compris physique) des personnes qui ne leur « reviennent pas », de ressortissants de pays arabes, de Palestiniens… L’une de mes amies palestiniennes, pourtant aguerrie par ses nombreux voyages à l’étranger et par les humiliations fréquemment vécues aux check points israéliens, en a fait la triste expérience l’année dernière à l’aéroport… de Genève. Son témoignage est accablant. Pourquoi Israël dispose-t-il encore de ce type de « privilège » - privilège qui, à nouveau, permet à État d’Israël d’étendre son blocus des TPO et l’isolement des Palestiniens, par les airs cette fois, jusqu’au cœur de nos capitales européennes ! C’est indigne !

Michel Legrand, Luxemburg, 11 juillet 2011