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Par Pierre Puchot en interview de Hael Al Fahoum, ambassadeur et chef de la Mission Palestine en France

« L’Etat palestinien ? Aujourd’hui, nous sommes prêts »

Mercredi, 29 juin 2011 - 17h24

mercredi 29 juin 2011

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Source : Mediapart

Fin de la division interpalestinienne, reconnaissance de l’Etat espérée à l’ONU, lors de l’assemblée générale des Nations unies en septembre, et ce malgré les « menaces » des Israéliens et de Barack Obama... Le printemps arabe est aussi celui des Palestiniens, selon Hael Al Fahoum, ambassadeur et chef de la Mission Palestine en France, qui nous a accordé un entretien samedi 25 juin.

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« Nous entrons dans une phase qui nous permet, enfin, de mobiliser tous les Palestiniens, un peuple qui compte plus de 120.000 ingénieurs et architectes, plus de 40.000 médecins, plus de 80.000 étudiants, explique le diplomate palestinien, en poste à Paris depuis tout juste un an. Si l’on arrive à mobiliser toutes ces forces, le monde va se rendre compte de la valeur ajoutée de l’Etat palestinien sur le plan de la stabilité et du développement des libertés et des droits de l’homme dans cette région vitale. »

Et que lui disent ses interlocuteurs français ?

« Lors de la rencontre ce printemps avec le président Abbas, le chef de l’Etat français a eu un discours très clair, confie le diplomate. Il se considère comme un ami sincère de l’Etat d’Israël. Mais il estime que la stratégie actuelle du gouvernement israélien conduit à la déstabilisation (de l’Etat) d’Israël lui-même. Et c’est le moment, selon lui, de changer de méthode, pour aboutir à quelque chose de concret. »

Deux gouvernements distincts, à Gaza et en Cisjordanie, guerre larvée entre Hamas et Fatah, violences, montée des groupuscules salafistes... Il y a trois mois, l’horizon des Palestiniens semblait bien sombre. Aujourd’hui, l’acte de réconciliation entre le Fatah et le Hamas est signé, un gouvernement commun est en train d’être formé. Comment expliquez-vous cette évolution si rapide ?

L’impasse à laquelle nous, Palestiniens, avions abouti ces dernières années ne venait pas de nulle part. La stratégie israélienne est de fragmenter, de diviser la société palestinienne. À certains moments, ils ont bien réussi. Il ne faut pas oublier non plus que, depuis les années 1950, les grandes puissances se sont alliées pour nier et tenter d’éradiquer l’identité palestinienne. Dans ces conditions, c’est un miracle que les Palestiniens soient parvenus à s’imposer sur la scène internationale.

Avec le début du réveil arabe, le peuple palestinien a pris conscience de sa puissance réelle. La rue arabe est entrée dans une phase de révolte, et les Palestiniens sont sortis de leur stratégie de réaction, pour regarder de nouveau l’avenir avec espoir. C’est ce mouvement de fond qui a réveillé les consciences de toutes les parties palestiniennes, du Fatah au Hamas.

La donne est simple : soit ces dirigeants répondent aux espoirs de leur propre peuple, soit ils n’ont aucune légitimité à demeurer les représentants de leur peuple. Ce constat a obligé les parties à aller de l’avant. C’est ce qui a entraîné l’accord de réconciliation, signé le 4 mai au Caire, entre le Hamas et le Fatah. Nous sommes décidés aujourd’hui à passer à l’action. Nous avons cessé de commenter les événements et de pleurer sur notre sort, pour tenter de créer les événements. Ce sont aujourd’hui les Israéliens qui sont contraints à la réaction.

Cette réconciliation n’était-elle pas également la seule solution possible, pour un Hamas en perte de vitesse, comme pour le Fatah et l’OLP, dont la légitimité demeure très contestée par les Palestiniens eux-mêmes ?

C’est plus simple encore : le Hamas et le Fatah doivent répondre aux exigences du peuple palestinien, qui ne veut plus de conflits internes. S’ils ne sont pas capables de s’entendre, alors ils ne représentent rien. Nous ne croyons plus aux paroles ni aux discours, nous voulons des actes. Aujourd’hui, il y a chez nous un début de réveil. Nous allons faire face à des pressions, des menaces, mais nous sommes sur la bonne voie.

Changement de stratégie du Hamas

Quelle analyse faites-vous de la stratégie d’Obama, qui semble avoir abdiqué une partie de ses ambitions initiales au Proche-Orient ?

Nous sommes peut-être le seul parti dans le monde qui a osé dire non à l’administration américaine, malgré les menaces directes envers la direction de l’OLP, lorsque nous avons proposé une résolution au conseil de sécurité concernant les colonies israéliennes dans les territoires occupés. Maintenant, nous allons nous présenter devant l’assemblée générale des Nations unies, et il y a des pressions énormes de la part de Washington. Les Etats-Unis menacent même de boycotter les Nations unies si elles votent une résolution qui reconnaît l’Etat palestinien.

Nous sommes en train de voir les véritables données de ce conflit. Celles d’un peuple pacifique, qui ne comprenait rien à ce qui se passait autour de lui depuis 1948 jusqu’à aujourd’hui ; et celles des pays, qui ayant commis des crimes contre la communauté juive durant la Seconde Guerre mondiale, ont voulu payer leurs dettes, mais les ont payées de la poche des Palestiniens. Le moment est venu pour le monde de prendre conscience de cela.

J’espère que l’approche des pays arabes va changer. Et il y a déjà un petit changement au sein de la communauté européenne, qui se sent en partie responsable du malheur des Palestiniens, même si elle n’est pas encore prête à l’admettre. En tant que partie du problème, nous avons besoin de la communauté internationale pour trouver des solutions, comme des partenaires, actifs sur le terrain pour reconstruire le tissu socio-économique palestinien.

Y a-t-il aujourd’hui un accord entre le Hamas et le Fatah pour la reconnaissance de cet Etat devant l’ONU, que vous allez solliciter en septembre ?

Absolument. Khaled Mechaal (l’un des chefs du Hamas exilé en Syrie) a fait une déclaration très claire, le 4 mai, en affirmant qu’il soutenait la politique de l’OLP de créer l’Etat palestinien dans le territoire de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Et malgré les critiques de certaines têtes pensantes du Hamas, un communiqué du bureau politique a confirmé la déclaration de Mechaal. C’est là le signe du changement de fond de la stratégie du Hamas.

Les termes de l’accord de réconciliation sont fondés sur la stratégie de l’OLP, et le respect de tous les accords signés par l’OLP avec toutes les parties concernées, Israël, les Etats-Unis, l’Europe... Le président Abbas a d’ailleurs été clair : le prochain gouvernement sera formé par des technocrates, qui travailleront à l’unification des institutions palestiniennes, à la reconstruction de la bande de Gaza, ainsi qu’à la préparation de nouvelles élections, législatives et présidentielles, en mai 2012. Nous entrons dans une phase qui nous permet, enfin, de mobiliser tous les Palestiniens. Le monde va se rendre compte de la valeur ajoutée que peut apporter un Etat palestinien dans cette région vitale pour les intérêts de l’ensemble de la communauté internationale.

Aujourd’hui, nous sommes en train d’explorer les moyens d’aller de l’avant, et nous avons besoin de mobiliser tous ceux qui croient à une solution pacifique entre nous et les Israéliens.

Où en êtes-vous dans le calendrier qui doit vous mener à la reconnaissance en septembre 2011 de l’Etat palestinien par l’Assemblée générale de l’ONU ?

Nous avons besoin d’accélérer le processus pour établir l’Etat palestinien, comme cela a été promis par la communauté internationale, et même par Obama, dans son discours de septembre 2010. Dans la conférence de Paris 1, pour les bailleurs de fonds – que j’appelle, moi, les bailleurs de dette vis-à-vis à des Palestiniens, car si nous sommes dans un tel état aujourd’hui, c’est à cause des subventions que tous ces pays ont accordées à Israël ; ils ne nous aident donc pas, ils paient leurs dettes –, nous avons fait le pari de construire les institutions de l’Etat en deux ans.

Nous avons eu le certificat de naissance de la part de toutes les institutions internationales, que ce soit le FMI, la Banque mondiale... qui ont estimé que toutes les institutions de l’Etat étaient prêtes. Nous avons signé l’accord avec le Hamas et j’espère que, d’ici dix jours, nous disposerons d’un gouvernement de technocrates pour préparer le mois de septembre. Il y a un petit problème, c’est que le président tient à garder le premier ministre Salam Fayyad (qui a mis sur pied le plan de reconnaissance de l’Etat), quand le Hamas en voudrait un nouveau. Mais nous allons surmonter cela.

Aujourd’hui, nous sommes prêts. De leur côté, les Israéliens continuent la colonisation de la Cisjordanie. Il n’y a plus de négociations, au contraire, la situation se complique de jour en jour sur le terrain. Cela peut mener à une explosion qui déstabiliserait à nouveau le Proche-Orient. Les Israéliens ne veulent pas geler la colonisation. Nous, tout ce que nous demandons, c’est de négocier sur la base de ce que disent les Américains : le principe d’un Etat aux frontières de 1967 et une négociation pour résoudre les cinq sujets les plus difficiles : l’eau, les frontières, les réfugiés, Jérusalem et la sécurité.

S’il y a un consensus sur la solution à deux Etats, de quoi Israël et les Etats-Unis ont-ils peur, lorsque nous proclamons notre volonté d’une reconnaissance de notre Etat devant l’ONU ? Cela permettrait au contraire de consolider les négociations. Malheureusement, les Etats-Unis ont interprété cela comme une tentative d’isoler Israël sur la scène internationale. Ils menacent, ils tentent de faire pression sur certains Etats européens. Nous demandons, au contraire, à nos partenaires européens de traduire leurs mots par des actes.

C’est-à-dire la reconnaissance de votre Etat.

Absolument.

Sarkozy estime qu’il est temps de changer de méthode »

Depuis la visite de Mahmoud Abbas en avril, le président français Nicolas Sarkozy semble moins réticent à l’idée de reconnaître l’Etat palestinien que l’an passé. Mi-mars, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a de son côté estimé qu’il s’agissait d’« une hypothèse qu’il faut avoir en tête ».

Jugez-vous ces paroles encourageantes ?

J’ai assisté à la rencontre entre les présidents Abbas et Sarkozy. Le chef de l’Etat français avait un discours très clair. Il se considère comme un ami sincère de l’Etat d’Israël. Mais il estime que la stratégie actuelle du gouvernement israélien conduit à la déstabilisation d’Israël lui-même. Et c’est le moment, selon lui, de changer de méthode, pour aboutir à quelque chose de concret. Tout cela ne nous dérange pas. L’amitié entre Israël et n’importe qui ne nous dérange pas, sauf si cette amitié est un outil pour détruire notre peuple.

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy n’est plus convaincu que la méthode de négociation que l’on a utilisée par le passé puisse déboucher sur du concret. La France souhaite organiser en juillet la conférence internationale de Paris 2, qui va traiter à la fois des questions politiques et économiques. L’initiative est basée sur deux principes : la solution à deux Etats, sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats ; l’illégalité des mesures unilatérales, la France considérant la colonisation israélienne de la Cisjordanie comme illégale. C’est une excellente chose, car il n’y a pas de raison d’écarter l’Europe du processus politique. C’est une initiative d’Alain Juppé, nous y avons répondu favorablement. En revanche, ni les Américains ni les Israéliens n’ont encore donné leur réponse.

Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ont répété à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucun problème pour reconnaître un Etat palestinien. Je ne sais pas s’ils vont le faire, mais c’est une position qui en France fait consensus, au niveau de tous les partis politiques, de gauche comme de droite.

Au contraire, les Etats-Unis et Israël ont fait de la reconnaissance de l’Etat une étape complexe, car ils ont le sentiment d’être isolés. Mais nous sommes confiants. La déclaration de l’Etat palestinien a déjà été faite en 1988, c’est le rôle de l’OLP de demander sa reconnaissance. Et ce sera une nouvelle base pour avancer dans les négociations.

N’y a-t-il pas un risque tout de même, au vu de l’état actuel de la Cisjordanie, morcelée par la colonisation, de figer l’Etat dans cette réalité géographique ?

Le gouvernement israélien a toujours dit qu’il réagirait à une décision prise, selon lui, de manière unilatérale, pourquoi pas en annexant les principales colonies...

Ce n’est pas une mesure unilatérale. Le projet de résolution va être présenté par la Ligue arabe. Et nous n’allons pas imposer aux Nations unies de reconnaître l’Etat, nous allons présenter la situation sur le terrain : « Depuis 17 ans, les négociations n’ont mené absolument à rien. Nous sommes dans l’impasse. Dans le même temps, il y a un large consensus international pour la solution à deux Etats. Quelles mesures voulez-vous bien prendre pour réaliser cette conclusion ? » Ce n’est vraiment pas une approche unilatérale, puisque c’est l’ensemble de la communauté internationale qui doit décider. C’est l’approche américaine qui est unilatérale, ce sont eux qui menacent la communauté internationale.

Cette semaine, une nouvelle flottille de solidarité avec la population de Gaza est partie vers le territoire palestinien. Que pensez-vous de cette initiative ?

Il faut laisser les associations de solidarité agir, parce qu’elles connaissent mieux le terrain que nous, fonctionnaires, campés derrière nos bureaux. La bande de Gaza, c’est la plus grande prison qui ait existé dans l’histoire. La souffrance de la population y est énorme. Si cette flottille peut aider la communauté internationale à prendre conscience de cela, c’est très bien. Le peuple palestinien n’a pas aujourd’hui besoin d’aide humanitaire. Nous pouvons vivre avec du pain et de l’huile, nous avons l’habitude. Nous avons besoin de partenaires politiques. Notre conflit est politique. Et si cette initiative internationale peut permettre de montrer la réalité de ce que vivent nos familles à Gaza, alors elle sera utile.