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Opinion : par Alexandre MOUMBARIS

Carnet de voyage en Libye – du 10 au 15 juin 2011

Mardi, 21 juin 2011 - 7h12 AM

mardi 21 juin 2011

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Je suis parti précipitamment pour Tripoli le vendredi 10 juin, ayant reçu la veille l’invitation de l’Association des avocats et juristes de la méditerranée à participer à la conférence organisée en Libye les 12 et le 13 juin 2011.

Il s’agissait de la célébration du 41ème anniversaire de la Grande Chartre verte des droits de l’homme de l’ère jamahiriyenne, organisée par le Secrétariat des Affaires légales et des droits de l’homme du Congrès général du peuple [libyen].

Notre groupe comprenait des amis français proches ou engagés dans la Commission d’enquête non gouvernementale pour la vérité en Libye, des camarades du Parti communiste de Grande Bretagne marxiste-léniniste, des camarades belges d’Investig’Action, d’Intal, membres ou proches du Parti du travail de Belgique…. nous allions rejoindre à Tunis la délégation de juristes des pays arabes.

Mon arrivé à Tunis – c’était ma première visite - me rappela la Grèce, l’odeur des pins, les dattiers et la brillance de la lumière. La chaleur contrastait avec la fraicheur normande, alors que les terrasses des cafés archibondés sur l’avenue Habib Bourguiba rappelaient un peu la place de la Constitution à Athènes et le tram, la place de Ramleh à Alexandrie. Au bout de l’avenue trois véhicules antiémeute de l’armée entourés de barbelés semblaient de protéger un ministère, mais leur présence sonnait également comme un avertissement – un juste au cas où. Les gains de la « révolution » avaient, semble-t-il, leurs limites. À Tripoli, par contre il y avait bien des soldats et des forces de sécurité armés, mais je n’ai pas vu de chars, ni de barbelés antiémeute, juste quelques canons antiaériens.

On m’a suggéré un petit restaurant populaire. J’ai commandé du couscous - ça allait de soi -, une salade en entrée et une bouteille d’eau. La note s’élevait à 78.000. On a un choc lorsqu’on passe d’un pays de centimes à un pays de millièmes. Cette énormité s’est finalement trouvée réduite à 78 dinars, l’équivalent de 4€. Ne pas payer cher, ça fait du bien, mais ne payer presque rien, vous met mal à l’aise.
Le lendemain, samedi 11 juin, levé à l’aube, je m’attendais à partir dès la première heure. Mais nous avons fini par partir vers une heure de l’après-midi. Cela nous a permis de nous connaître un peu, papoter sur de cyniques scandales étouffés.

Sur le chemin nous nous sommes arrêtés à El Djem, lieu où se trouve le troisième plus grand amphithéâtre romain - capacité 45.000 places. Nous avons déjeuné en face, puis avons repris la route. Le voyage allait durer jusqu’à l’aube, interrompu par des pauses de quelques minutes, y compris une ou deux pour la prière.

Des oliviers et encore des oliviers, en rangs comme des soldats sur la plus grande partie du chemin, de temps en temps quelques tout petits troupeaux de moutons cherchaient à brouter sur une terre radine. C’eut été bien que cette terre puisse être cultivée autrement, mais je suspecte que les oliviers ne soient la seule culture à pouvoir prospérer.

La nuit tombait et les craintes d’être pris pour cibles par l’aviation « alliée » montaient. Finalement nous sommes arrivés à la frontière libyenne. Je commençais à croire qu’on n’arriverait jamais.

À ce poste frontière, au début de l’agression contre la Libye, 270.000 réfugiés pris de peur, avaient traversé, alors que normalement un millier de voyageurs y transitait. Dans les camps restaient quelques 60.000 réfugiés attendant l’arrêt des hostilités pour retourner travailler en Libye. Dans le Sud près de Tataouine existait un camp de 40.000 réfugiés pro-rebelles.

De l’autre côté de la frontière nous avons été accueillis dans le salon d’honneur. Nous nous sommes reposés, d’autres ont fait leurs prières. Un dignitaire libyen est venu nous saluer et nous souhaiter la bienvenue en Libye.

Puis, minuit passé, à une ou deux heures du matin – c’était maintenant dimanche 12 juin –, nous sommes repartis. C’était sur une autoroute – ressemblant plutôt à une nationale française – éclairée par intermittence. Les phares blancs de notre bus étaient allumés, ce qui m’a semblé curieux si des bombardements étaient à craindre. Un véhicule nous précédait tout le long du voyage. Les barrages étaient fréquents, efficaces, mais sans nervosité.

Il n’y a pas eu d’incident. J’ai dormi quelque peu et me suis réveillé vers 6 heures du matin, à Tripoli.

Installés à l’hôtel Bab el Bahr (la Porte de la mer), j’ai eu une chambre au 10ème étage avec une superbe vue sur Tripoli et sa plage où une vingtaine de baigneurs était visible de loin.

Diverses délégations, ministres, officiels, certains en tenues traditionnelles, d’autres vêtus à l’européenne s’affairaient aux salons du rez-de-chaussée. J’ai eu du mal à savoir qui était qui même parmi ceux qui étaient de notre groupe.

Pour la première séance nous avons été conduits dans la salle de conférences nous avons été placés au premier rang. Puis à un moment on m’a demandé de prendre place sur l’estrade, me présentant comme le délégué d’une organisation humanitaire australienne. Je n’ai rien pu dire sur le moment. Je n’étais même pas préparé pour une intervention surtout devant plus de 500 personnes, dont divers dignitaires gouvernementaux, religieux, chefs de tributs, universitaires, syndicalistes et une cinquantaine d’étudiants en droit avec leur robes noires …. Je n’arrivais même pas à atteindre mon block-note laissé là où j’étais assis. Je me suis rabattu sur une serviette en papier pour inscrire quelques notes en préparation du discours que j’allais faire.

Il y a eu d’abord l’hymne national joué par la fanfare de l’armée sur le parterre juste devant moi – quelques notes auraient pu être mieux traitées –, suivi par le chant d’un jeune muézine. Puis ont parlé : le Coordinateur général des affaires sociales (ministre de la Culture), des dignitaires et chefs tribus, les représentants des syndicats des professions juridiques et du Secrétariat du Congrès du peuple.
Le chef militaire des tribus nous a informés que parmi les jeunes rebelles faits prisonniers, quelques 600 d’entre eux avaient été libérés et que les autres le seraient rapidement aussi, à condition qu’ils n’aient pas commis de crimes.

Puis est venu mon tour. J’étais assisté par un excellent traducteur en français, en anglais et je n’en doute pas en arabe. J’avais décidé de faire mon intervention en français, seulement comme il parlait en anglais j’ai eu une ou deux fois tendance à reprendre aussi mon intervention en anglais mais on a fini par s’en sortir.

J’ai tout d’abord dit que j’étais bien de nationalité australienne, mais que j’étais basé en France et que c’était à partir de là que je militais. Je leur ai dit aussi que j’étais né en Égypte parmi le peuple arabe et que de ce fait j’étais particulièrement touché par la situation tragique qu’ils vivaient. Je leur ai exprimé mon hommage à leurs martyrs. Je leur ai dit que je représentais l’IAPSCC (International Anti-impérialist Peoples’ Solidarity Coordinating Committee - Comité international de coordination anti-impérialiste et de solidarité avec les peuples) dont j’étais membre du secrétariat, et que j’étais aussi le directeur de publication des Dossiers du BIP. Mon rôle consistait à informer le public français et œuvrer contre la guerre qui leur était faite. Je les ai encouragés dans leur résistance contre les agresseurs impérialistes, à tenir bon parce qu’ils défendaient non seulement leur souveraineté nationale mais aussi celle des autres peuples. Avant l’agression contre la Libye il y a eu celles d’Irak, d’Afghanistan, de Yougoslavie… et après eux viendrait le tour de l’Algérie, de la Tunisie…. leur détermination et leur courage à défendre leur patrie était essentiel pour nous tous. J’ai félicité le gouvernement libyen d’avoir armé la population pour défendre le pays. Je leur ai dit aussi que les institutions internationales (les Nations Unies…) avaient perdu toute leur crédibilité et qu’il ne fallait rien attendre d’eux. Je leur ai dit également qu’il n’y avait qu’une seule solution pour les traîtres à leur patrie, c’était de les mettre dehors (Barra, en arabe).
Voilà à peu près ce dont je me souviens. En descendant de l’estrade une charmante dame voilée m’a salué en souriant, ce qui me rassura, je n’avais pas été si mal-apprécié que cela. J’ai appris par la suite qu’elle était la chef du protocole.

Après moi a parlé le président du PC de GB (ml) Harpal Brar. À la reprise dans l’après-midi, ont parlé : Michel Collon, Mohamed Hassan d’Investig-Action de Belgique et Ginette Skandrani de la Commission d’enquête non gouvernementale pour la vérité en Libye de France.

Particulièrement éloquente a été l’intervention d’un juriste égyptien nassérien Abdel Azim Al Maghrabi, qui a énuméré tous les manquements au droit international et pour commencer les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a pas vocation d’intervenir dans les affaires internes d’un état souverain … J’espère que nous obtiendrons les divers textes traduits pour que nous puissions les inclure dans un prochain numéro des dossiers du BIP.

Le lendemain nous avons été conduits sur les décombres de deux institutions, une pour la mère et l’enfant et l’autre pour les enfants handicapées. Une frise, romaine peut-être, se tenait sur un mur à moitié écroulé. Ces bâtiments étaient déclarés patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. J’ai retrouvé une veille casserole par terre et une paire de chaussures d’enfant accrochées à un arbuste. Pour ceux qui ont contribué à perpétrer cela et qui à l’origine croyaient s’engager pour défendre leur patrie, faire office de bourreau de femmes et d’enfants n’est guère glorifiant.

Le lendemain lundi 13 juin il y a eu une première session, puis nous avons été invités à un déjeuner en notre honneur. Le soir nous avons visité les ruines d’une maison relativement modeste où ont été tués, dans leur sommeil, le fils cadet de Mouammar Kadhafi et ses trois petits enfants. Cet acte ignoble marque l’admission des « alliés » dans le camp des criminels de guerre, qui malgré leur incomparable supériorité en armement, en sont réduits à commettre de minables assassinats.
Le lendemain était le jour du départ. J’ai fait quelques interviews avec le journal belge Intal, Canal + et une autre très courte, juste avant notre départ, avec la télévision libyenne. L’événement le plus marquant était d’apprendre que les « rebelles » avaient fui de Misrata et que la ville était totalement sous le contrôle de l’armée. Dans un cadre général l’ennemi était encerclé dans différentes poches.

Durant les trois nuits que nous avons passées à Tripoli, plus l’aller/retour de la frontière tunisienne, j’ai peut-être entendu une bombe, et je n’en suis même pas sûr. Vers 4 heures du matin j’ai entendu quelques tirs de kalachnikov isolés qui ont duré une ou deux secondes, c’est-à-dire sans réplique, et quelques tirs anti-aériens. Ce n’était rien. À aucun moment je n’ai senti quelque répression que ce soit contre la population. Le moral des Libyens est inaffecté et ils ne sont pas prêts de s’effondrer de si tôt devant l’offensive occidentale.

Les media occidentaux et surtout Al-Jazeera mentent. Le porte-parole et « ministre de l’Information » du CNT (Conseil national de transition) « rebelle », Mahmoud Shaman, ex-marxiste, est un des directeurs d’Al Jazeera et ancien éditeur de la version arabe de la revue étasunienne Newsweek.

En partant nous avons visité l’Université de Tripoli, c’est son nom je crois. Elle était très bien équipée, beaucoup d’étudiants africains y étudient gratuitement. Une bibliothèque bien remplie sur deux étages. Après deux gâteaux (très mauvais pour mon diabète) et un café nous sommes repartis en destination de Tunis.

Le chemin du retour, dans la partie libyenne, s’est fait à la lumière du jour. Les dégâts faits aux maisons sur toute la route étaient visibles. Il y avait comme à l’allée des postes de contrôle. Cela étant dit nous sommes partis sans escorte et nous n’avons rencontré aucun problème et aucune tension sur le parcours. Tout au long du chemin des centaines de voitures étaient immobilisées, en toute vraisemblance à cause du manque d’essence. Mais cela n’affecte pas celles qui roulent au diesel.
Depuis mon voyage j’ai beaucoup moins de craintes pour la Libye. L’impression que donnent les media à la solde des puissances impérialistes, montrant la Libye prête à s’effondrer sous les coups de buttoir occidentaux, n’est là que pour impressionner leurs publics et afficher leur « puissance » et leur soi-disant irrésistibilité.

Rappelons que les États-Unis ont été battus et humiliés par le FNL vietnamien. Cette guerre leur a coûté si cher qu’ils ont été obligés de désindexer le dollar de l’or et d’en faire une monnaie papier. Depuis la planche à billets finance, avec cette monnaie de singe, les guerres impériales en Iraq, en Afghanistan ……. au point que cette fuite en avant arrive à saturation. Même le Congrès des États-Unis commence à demander des comptes devant le désastre financier qui se profile. Ils ont pensé qu’un petit pays comme la Libye leur aurait donné une victoire facile, mais à ce jour ils n’ont pas été capables de l’obtenir.

Pour conclure, je pense que pour le moment, bien que la situation soit difficile et que les victimes augmentent tous les jours, je suis assez confiant quant à leur faculté de résister et de tenir le coup encore longtemps. Toutefois le danger existe, et ils en sont tout à fait conscients, un attentat contre la vie de Mouammar Kadhafi est possible.

Si ce n’était pas pour l’agression impérialiste la Libye pourrait, avec ces institutions de démocratie directe, les structures tribales et son socialisme citoyen, continuer à exister profitant d’une économie basée sur les ressources énergétiques et sa puissance financière, sans négliger ses réserves d’or. Certains aspects de ce pays sont partagés avec l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe : les ressources énergétiques, les étendues désertiques, le sous-peuplement, la dépendance très importante dans une main-d’œuvre immigrée ou engagée contractuellement par des entreprises étrangères. La Libye pourrait pour le court et peut-être le moyen terme maintenir sa souveraineté et ses structures politiques telles qu’elles sont. Mais c’est une situation qui ne peut persister qu’en situation de paix, à condition de ne pas devenir la proie des puissances impérialistes.

Toutefois, quand un prolétariat étranger sous l’emprise de la peur, sous le contrôle de puissances étrangères ou pour d’autres raisons encore est susceptible de quitter subitement le pays par millions, cela pose un grave problème pour la survivance économique et la défense du pays.

Donc, à mon avis, à long terme, pour sa survivance, soit la Libye devient l’émule des pays du Golfe et réduit sa population à des domestiques, coiffés d’une caste de vassaux libyens tributaires des impérialistes occidentaux, soit elle décide de développer sa propre classe prolétaire, qui s’investirait dans le pays, qui assurerait par sa force de travail l’économie et fournirait des combattants pour la défendre les armes à la main.

Éventuellement une telle classe revendiquerait le pouvoir, mais quand elle l’obtiendrait les Libyens ne perdront pas leur honneur.

Alexandre MOUMBARIS