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Le point sur la généralisation de la grogne

Les révoltes dans le monde arabe ont réveillé les consciences du Nord (ndlr)

Mardi, 14 juin 2011 - 7h59 AM

mardi 14 juin 2011

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Democracia Real Ya ! : mort ou vif ?

Badi BALTAZAR

Suite à mes précédents buvards dédiés à la naissance de mouvements citoyens à Paris puis à Bruxelles et afin d’en savoir plus sur l’origine de cette contagieuse prise de conscience, j’ai décidé de me rendre à Barcelone en tant que reporter citoyen.

Je rappelle - au cas où des ermites citadins séviraient parmi nous – que ce mouvement est né en Espagne il y a quasi un mois et s’est depuis étendu bien au-delà des frontières de la péninsule ibérique (voir en fin d’article le lien vers la mappe monde des mobilisations). Arrivé sur place le vendredi 10 juin, je fus accueilli par un déluge de pluie qui s’abattait sur la capitale catalane depuis quelques jours déjà. Mais le fait est que j’étais sur la Plaza Catalunya, au coeur de l’Acampada de Los Indignados.

Commissions ?

Plus ou moins abrité sous un parapluie de fortune que je venais d’acheter à un vendeur à la sauvette, je me suis mis à parcourir les différentes commissions qui encerclent la place : commissions santé, action, dynamisation, communication, convivialité, immigration, habitat, cuisine, etc. Arrivé devant la tente de la commission internationale, j’ai fait la connaissance de certains des activistes qui y officient. Je leur ai donc expliqué que je venais de Bruxelles et que le but de ma visite consistait à rencontrer des citoyens actifs au sein du mouvement, à la fois pour comprendre le modus operandi du campement mais aussi pour approfondir les idées qui motivent cet acte politique qui semble trouver un écho dans les consciences de centaines de milliers de citoyens de par le monde.

Les commissions sont constituées de manière spontanée par les citoyens qui en prennent l’initiative. Leur formation est donc libre et basée sur l’autodétermination de leurs membres. Celles-ci sont thématiques et chacune d’entre elles est vouée à s’occuper d’un pant de la vie sociale. Je vous propose de zoomer plus particulièrement sur le cas de la commission internationale, qui me semble être importante pour les mouvements non espagnols. On m’a expliqué que sa fonction consiste à rechercher, traduire et relayer les dépêches de presses nationales ou étrangères, qu’elles proviennent de médias participatifs, alternatifs ou classiques et de les proposer aux citoyens tant à travers leur site d’informations, www.takethesquare.net (dont la médiation est cogérée avec des concitoyens madrilènes) qu’à travers la plate-forme de travail https://n-1.cc/, qui sert de fait de forum subdivisé par pays ou par ville, où tout un chacun peut publier des documents, des vidéos, des informations, etc... qui après vérification et validation sont publiés sur le site principal www.takethesquare.net ou sur les tables d’informations qui sont accessibles par tout le monde sur les campements. De nombreux hackers/programmeurs ont également rejoint la commission pour lui apporter leurs expertises. Vous avez sans doute déjà pu visiter des sites regroupant streamings, achtags twitters, etc. classés par ville et par pays. Pour pouvoir fonctionner efficacement, cette commission internationale est également composée de sous-commissions, dont la commission "réseau international" qui est chargée de former des connexions directes avec les mouvements nés dans d’autres villes et d’autres pays pour échanger stratégies d’organisation, informations et autres. Une seconde sous-commission est la commission traduction, qui elle est chargée de traduire les dépêches et les articles de presse étrangers, qu’ils traitent de l’actualité du mouvement en Espagne ou ailleurs. Les citoyens participants à la commission internationale sont actuellement occupés à rédiger un tutorial qui se veut le reflet chronologique de toutes les actions entreprises depuis le début du mouvement, qu’elles aient été bénéfiques ou pas. Ce dernier sera traduit, avec le concours de dizaines de traducteurs à travers l’Europe. Le but de cet ouvrage en évolution permanente est de permettre aux activistes d’ici et d’ailleurs de profiter de l’expérience de leurs prédécesseurs pour éviter de faire les mêmes erreurs et pour s’inspirer des actions qui ont déjà démontré leur efficacité ailleurs.

La totalité des activistes que j’ai pu rencontrer ont insisté sur le fait qu’il est primordial de créer des commissions qui soient effectives et qui se mettent concrètement au travail. Pour eux, l’étape de l’indignation est positive et réunificatrice, mais elle n’est qu’une étape. A plusieurs reprises lors de nos conversations, ils ont chacun à leur manière rappeler que le mouvement né n’est que s’il agit. S’il se limite à l’indignation, il n’est déjà plus. A ce stade, un manifeste a été rédigé, dans lequel sont définies les principaux points sur lesquels s’articule le mouvement et plus particulièrement les revendications minimales exigées (dont voici une traduction en Français). Entre autres points, je me dois de rappeler l’affirmation du caractère apartiste du mouvement, qui n’est d’ailleurs nullement incompatible avec son essence politique. Des propositions concrètes sont à l’étude et en cours de rédaction. Et cela, avec le concours de citoyens de tous horizons et de toutes professions. Voici un lien vers la plate-forme du Café Repaire de Barcelone où vous pourrez retrouver une liste des sites du mouvement.

Démocratie réelle ?

Pourquoi ce slogan ? En quoi les démocraties représentatives qui sont les nôtres ne sont pas des démocraties réelles ? La démocratie horizontale serait-elle la solution aux impasses de la démocratie verticale ? J’ai posé ces questions aux différents interlocuteurs avec qui j’ai pu m’entretenir durant ces trois jours et voici, en substance, ce qu’ils m’ont répondu :

"Le fait d’associer dans notre revendication les termes “démocratie” et “réelle” induit l’idée que la démocratie dans laquelle nous vivons n’est pas réelle. Les gouvernements ne nous représentent plus. Ils prennent des décisions sans nous consulter. Ils défendent les intérêts d’une minorité au détriment de la majorité. Nous souhaitons proposer des lois et nous souhaitons que les parlementaires exécutent ce que le peuple aura décidé plutôt que de s’arroger le droit de voter des lois que le peuple rejette. Nous avons décidé de nous réapproprier la politique pour qu’elle soit au service du citoyen au lieu de servir les intérêts personnels des pouvoirs en place, quelle que soit leur nature."

Réactions des politiques et des médias sur le mouvement ?

"Ils nous observent, ils n’en parlent pas ou quand ils en parlent, c’est pour le décrédibiliser. Ce qui n’est qu’une preuve supplémentaire de la légitimité de nos actions. Ce que nous faisons les gêne, car notre volonté de redonner le pouvoir au peuple va à l’encontre de leurs projets. Ils essaient de faire pression, de saboter le mouvement par tous les moyens qui sont à leur disposition : interventions policières, stigmatisation, diabolisation, infiltrations visant à provoquer des divisions au sein même des commissions ou des assemblées populaires. Par ailleurs, certains membres de partis fascistes ou de mouvements anarchistes existants tentent de s’associer au mouvement - avec sans doute des intentions de récupérations - sous prétexte qu’ils défendraient les mêmes idées." Certaines actions similaires ont d’ailleurs été dénoncées à Paris ou à Bruxelles également.

Par ailleurs, il est à noter que certains policiers sont sensibles au mouvement et collaborent avec les activistes citoyens. Le vendredi 27 mai, par exemple, certains d’entre eux les ont avertis qu’une évacuation musclée se préparait. Ils les ont aussi prévenus qu’une quarantaine d’infiltrés sévissaient en permanence au sein du mouvement, que ce soit en participant aux commissions, en essayant de semer la zizanie, de freiner le développement des actions ou encore de provoquer des divisions au sein du mouvement. D’après certains membres de commission, il semblerait que la Guardia Urbana (police de la ville) essaye de rabattre des éléments perturbateurs (voyous, marginaux, drogués, etc.) vers la place pour tenter d’y créer un sentiment d’insécurité, de peur et de violence, ce qui a des effets négatifs sur l’image du mouvement. Ces hommes et ces femmes marginalisés, qu’ils utilisent pour dénigrer les volontés de prise en main de milliers de gens chaque jour, sont avant tout nos concitoyens. De fait, cette violence, propre à chaque ville, n’est pas générée par le mouvement mais par le système qui est le nôtre aujourd’hui. Les risques d’amalgames sont donc évidents, et les solutions que les commissions mettent en place pour tenter de les minimiser démontrent une fois de plus l’existence d’une intelligence collective.

Démantèlement des campements ?

J’ai lu récemment que le campement de la Puerta del Sol à Madrid allait être levé et délocalisé dans les quartiers de la ville. Cette nouvelle m’a d’emblée intriguée. J’ai donc tenté d’en savoir plus en interrogeant les citoyens du campement de Barcelone. Il en ressort que les avis sont partagés. D’après leurs explications, une commission continuité est née il y a un peu plus d’une semaine pour traiter la question de savoir si le campement de la Plaza Catalunya devait être maintenu ou pas. De fait, certains veulent le délocaliser et d’autres tiennent à le maintenir.

Les premiers argumentent que le campement est devenu insécure, surtout de nuit, et que l’occuper en permanence n’est pas nécessaire, d’autant plus qu’ils requièrent énormément d’énergie de la part de ceux qui le font vivre au quotidien. Ils plaident également leur cause en affirmant que si cela s’impose, un retour est toujours envisageable. Selon eux, le fait que son installation ait été possible une première fois implique qu’elle pourrait l’être à nouveau. Une occupation ponctuelle pour les débats, les assemblées populaires et autres évènements pourraient suffir. Pour les seconds, le fait que les quartiers se mobilisent est évidemment positif, surtout pour traiter les questions de proximité et de fond, mais le fait que cela implique de supprimer le campement l’est beaucoup mois.

En ce qui me concerne, je vous avoue que j’ai d’abord eu du mal à saisir l’intérêt d’une telle décision. En essayant de comprendre les raisons qui la motivent, j’apprends qu’il semblerait que cette décision ait été prise lors de l’Assemblée Générale du dimanche 5 juin. L’élément troublant, c’est que cette dernière aurait été prise sur base d’un système de validation inédit, à savoir à la majorité des votes, alors que jusque-là, les décisions étaient prises sur base d’un consensus des multiples commissions siégeant sur la place. Je m’explique : pour signifier son désaccord, le citoyen doit croiser les bras au-dessus de la tête, en revanche, s’il approuve la proposition, il doit lever les bras sans les croiser. Quels que soit le nombre de personnes présentes, la décision n’est pas validée si plus de quarante personnes croisent les bras. En l’occurrence, c’était le cas. Mais malgré cela, la proposition de lever le camp a tout de même été validée. Ce serait la commission dynamisation, en charge de l’organisation des assemblées populaires, qui aurait été à l’origine de cette pratique inédite, ce qui a, vous l’aurez deviné, créé des désaccords au sein du mouvement.

Cette décision s’expliquerait également par le fait que la journée du 15 juin semble primordiale pour une grande partie des activistes du mouvement. Un appel au rassemblement est actuellement lancé pour attirer un maximum de citoyens au Parlement où les lois de restrictions budgétaires et autres mesures d’austérité sont sensées être votées. Pour certains, il est essentiel de focaliser les énergies au niveau du Parlement. Ce que je trouve effectivement tout à fait cohérent. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi cette concentration d’énergie est incompatible avec l’existence du campement. Encore une fois, je pense que l’un n’empêche évidemment pas l’autre. D’autant plus qu’il semblerait que les problèmes d’insécurité causés par des facteurs extérieurs au mouvement, aient été pris très au sérieux, au point de créer une commission convivialité dont le but est de parcourir la place de nuit, équipés de walkie-talkie, pour s’assurer de la tranquillité de ses occupants. Tout comme la naissance de campements ou d’agoras dans les quartiers de la ville n’est pas incompatible avec l’existence d’un campement plus important, qui non seulement pourrait centraliser les flux d’informations, mais aussi assurer un relai avec l’international.

Finalement, après avoir posé la question à de nombreux activistes, je comprends que la volonté générale est assez mesurée. Elle consiste à la fois à limiter le nombre de commissions tout en assurant la présence des commissions indispensables et la tenue des Assemblées Populaires au rythme de trois par semaine.

Conclusions

Vous aurez compris que le futur de ce mouvement est tout aussi insaisissable que son apparition. Les membres du mouvement ne sont autres que des citoyens agissant collectivement et en leur nom personnel : avocats, professeurs, ouvriers, retraités, employés, étudiants, etc. Chacun d’entre eux proposant son expertise et ses compétences. Tous ensemble défendant l’idée d’une réappropriation de la politique et d’une auto-détermination du peuple face aux pouvoirs en place, et chacun d’entre eux ayant ses propres opinions sur chacun des sujets traités.

Mais il est également vrai qu’après l’euphorie des premières semaines, la fatigue et le stress semblent s’être installés au sein du campement. Pour la première fois depuis sa naissance, le mouvement espagnol fait face à des tensions et à des divergences importantes. Ce qui le pousse inévitablement à muer ou plutôt à s’adapter et à redistribuer ses énergies. N’est-ce pas là le propre de tout mouvement ? Sa capacité à négocier ce premier virage est sans nul doute cruciale pour sa survie et son développement. Sans compter le rôle catalyseur qu’il joue pour ses homologues européens, et ce même si les différents mouvements nés dans d’autres pays ont leurs propres contextes. Je rajouterai que la majorité des activistes m’ont semblé déterminés. Là où une minorité envisage de baisser les bras, une majorité retrousse ses manches.

C’est donc une semaine de questionnements qui se termine ici à Barcelone et sans doute aussi à Madrid. Comment vont-ils gérer cela ? Quels seront les effets de leur action du 15 juin prochain ? Arriveront-ils à bloquer l’accès au Parlement et empêcheront-ils les votes des lois qu’ils rejettent ? Arriveront-ils à concilier les volontés manifestes d’éparpiller le mouvement en l’implantant au niveau des quartiers de manière durable avec le maintien des commissions et de l’occupation existantes ? Quelle sera l’ampleur de l’appel à la grève générale du 19 juin ? Il me semble clair à présent que les réponses à ces questions seront déterminantes pour l’avenir du mouvement.

J’espère que ces quelques éléments de réponse quant au statut du mouvement en Espagne vous auront éclairé. Pour compléter ce billet et aussi pour vous proposer une vue de la place de l’intérieur, je vous invite à visionner les différentes vidéos et photographies que j’ai prises ainsi que quelques autres photographies que je trouve essentiel de diffuser pour montrer au plus grand nombre les images de la répression policière du 27 mai dernier. N’hésitez pas à participer au débat et à faire part de vos commentaires. Sur ce, je vous laisse en compagnie des images de l’Acampada et de cette phrase que l’un des citoyens de la Plaza Catalunya m’a glissé au cours d’une des discussions que j’ai eu le plaisir d’y partager :

"La où il y a de la lumière, il y a de l’espoir."

Badi BALTAZAR

www.lebuvardbavard.com

Je remercie ceux qui se reconnaitront pour le temps et l’énergie qu’il m’ont accordé.

Les vidéos :

http://www.youtube.com/watch?v=THX6...

http://www.youtube.com/watch?v=EXm0...

http://www.youtube.com/watch?v=RFN4...

Les photos et de nombreux liens :

Voir sur Le Buvard Bavard
www.lebuvardbavard.com

Mappe monde des mobilisations : http://www.thetechnoant.info/campmap