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Lettre ouverte au Ministre des Affaires étrangères

Appel à responsabilité

par Jean-Claude Lefort, député.

mardi 21 février 2006

Paris, le 16 février 2006
M. Philippe Douste-Blazy
Ministre des Affaires étrangères
37, Quai d’Orsay
75007 Paris
Monsieur le Ministre,

Le 25 janvier dernier, dans des conditions pourtant particulièrement
difficiles, le peuple palestinien a voté pour les élire ses députés. Ce
scrutin qui a mobilisé une très large partie du corps électoral a été jugé
par tous les observateurs comme parfaitement transparent et démocratique. Il
ne laisse prise à aucune contestation quand à sa sincérité.

Ce vote très massif et honnête s’est traduit par une situation bouleversée
au plan politique. Le Hamas a pris largement le pas sur le Fatah et les
autres partis en compétition.

Tel est, qu’il plaise ou non, le résultat du vote des palestiniens. On ne
peut se prévaloir de la démocratie et l’exiger, notamment au Proche-Orient,
de façon plus qu’insistante et refuser ce choix démocratique quand bien même
il pose des problèmes sérieux évidents.

Il soulève en particulier la question de la « gestion politique » de cette
situation nouvelle.

Et pour apporter à cette question une réponse adaptée il convient de
comprendre, pour les prendre en compte, les raisons pour lesquelles les
palestiniens ont voté de la sorte. Or nous assistons depuis ces résultats à
des déclarations absolument incroyables et totalement contre-productives de
la part des autorités israéliennes ainsi que de celles de l’Union européenne
et des Etats-Unis.

1. Les responsables israéliens viennent de faire savoir qu’ils couperaient
les vivres à l’Autorité palestinienne mais aussi qu’ils cesseraient toute
relation avec elle si le Conseil législatif palestinien venait à entériner
ces résultats !

Rappelons, tout d’abord, que l’argent perçu par Israël pour le compte de
l’Autorité palestinienne est le résultat de son occupation armée et que cet
argent collecté est le bien des palestiniens en ce qu’il constitue le
produit de la TVA. En second lieu, on ne peut manquer de relever que
l’Autorité palestinienne ne se résume pas au Conseil législatif.
Ces volontés israéliennes déclarées sont irrecevables en leur principe.
Elles manifestent une fois de plus le refus absolu des autorités de ce pays
de négocier sur les bases du droit international pertinent visant à aboutir
à la création d’un Etat palestinien dont la « Feuille de route » fixait la
création pour « fin 2005 ».

Ceci est à mettre en relation avec le fait que le vote des palestiniens
s’est nourri de deux éléments : une situation sociale et économique
désastreuse - le mot est faible - et une absence totale et tangible de
perspectives en matière d’existence d’un Etat palestinien. Le Fatah étant
considéré comme incapable en ces domaines en a payé le prix.

2. Ces volontés israéliennes de couper les vivres qui appartiennent à
l’Autorité palestinienne ne peuvent être non plus déconnectées des
révélations faites dans la presse aujourd’hui même.

C’est ainsi que le Yediot Aharonot, notamment, se fait l’écho de la
publication dans le New York Times d’un plan « qu’auraient élaboré de hauts
responsables du secrétariat d’Etat américain en concertation avec leurs
homologues israéliens et qui viserait à faire chuter le gouvernement du
Hamas. Le principe de ce plan serait de couper les vivres à l’Autorité
palestinienne pendant plusieurs mois jusqu’à ce que le Président Mahmoud
Abbas n’ait d’autre issue que de dissoudre le parlement et de décider de
nouvelles élections ».

Ce plan, s’il existe et s’il devait être appliqué, ne pourrait que
radicaliser encore plus l’opinion palestinienne. Ce serait pure folie que de
chercher délibérément à allumer un feu dangereux.

3. L’Union européenne a une position moins « limpide ». Mais force est de
constater qu’une fois de plus elle tance les palestiniens tout en les
menaçant également de rompre son aide. Elle pose des conditions au Hamas
sans saisir toute occasion possible de le mettre au pied du mur de la
négociation politique. Si la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Hamas
est incontournable, on notera que ce mouvement a proposé une trêve en cas de
volonté affirmée de ce pays de cesser son occupation illégitime. Cela
revient, chacun sachant ce que les mots veulent dire, à reconnaître
implicitement la frontière de 1967, et donc l’existence de deux Etats.
Pourquoi ne pas saisir la trêve proposée et proposer de négocier avec le
Président de l’Autorité palestinienne une perspective qui soit enfin globale
mettant chacun devant ses responsabilités.

L’Union européenne pourrait jouer ce rôle politique majeur en ce sens. Et je
ne vois pas comment on pourrait dire A à Moscou au Président Poutine à
propos de sa rencontre avec les dirigeants du Hamas et dire B à Bruxelles ou
ailleurs sur le même sujet....

L’arrêt des violences est aussi demandé au Hamas. Si les violences
meurtrières qui touchent des civils israéliens innocents sont inacceptables,
il faut, pour que l’Union européenne soit crédible, qu’elle demande l’arrêt
de toutes les violences.

La colonisation israélienne ; le mur, condamné en son principe - et pas
uniquement en son tracé - par la Cour internationale de justice ; les
condamnations extrajudiciaires ; le tramway - construit de surcroît par deux
entreprises françaises - qui relie Jérusalem-Ouest aux colonies à l’Est ;
les « checks-points » ; les milliers d’emprisonnés palestiniens - dont 10%
des nouveaux députés - tout cela ne serait pas des violences ?

Plus fondamentalement c’est l’occupation israélienne qui est la violence
majeure, fondamentale et inacceptable.

4. C’est le terreau sur lequel a prospéré le mouvement Hamas qu’il faut
atteindre. De ce point de vue, et pour ce qui la concerne, l’Union
européenne devrait balayer devant sa porte et prendre toute sa part de
responsabilité dans la situation actuelle avant de donner des leçons.

Va-t-elle continuer dans cette voie ainsi que le suggère les menaces
évoquées plus haut jusqu’à tendre la situation et la rendre explosive ?
Va-t-elle au contraire tout mettre en oeuvre pour permettre enfin que se
dégage une solution politique globale au « problème » israélo-palestinien ?

Va-t-elle enfin comprendre - et faire comprendre - que l’idée sous-jacente
de la politique israélienne visant à constituer le « Grand Israël » est
définitivement caduque de même que son exact inverse, à savoir le refus de
reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël ?

La situation est très critique au Proche-orient. Les plans fourbis ici et là
après les résultats électoraux sentent la poudre et la mort. Israël évoque
maintenant l’idée que l’entité palestinienne serait désormais « terroriste »
et qu’en conséquence elle « la traitera comme telle ».

La responsabilité de ce qu’on appelle la communauté internationale est
considérable dans cette affaire.

Il est temps, plus que temps, que l’Union européenne sorte de l’attitude que
dénonçait le Président de la république, Jacques Chirac, qui déclarait
devant la conférence annuelle des Ambassadeurs en août 2004 : « Il est
indispensable que la communauté internationale assume ses responsabilités.
Qu’elle constate les résultats désastreux de son inaction et s’affranchisse
de ses fausses prudences. Qu’elle dise enfin et sans ambages que le
terrorisme et la négation de l’autre sont condamnables et doivent être
dénoncés et combattus sans faiblesse, mais que l’occupation, la
colonisation, sont inacceptables et doivent cesser. Qu’elle refuse enfin la
politique des préalables, qui fait le jeu toujours des extrémistes et des
terroristes. »

Monsieur le Ministre,

Constatant les résultats désastreux de l’inaction de la communauté
internationale et vous affranchissant des fausses prudences, l’heure est à
l’initiative française au sein de l’Union et des institutions
internationales pour la paix dans la justice au Proche-orient.
Tout est dans la volonté politique.
Je vous demande d’en avoir le courage avec tout le gouvernement.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de mes
sentiments distingués.

Jean-Claude Lefort
Député du Val-de-Marne