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Retour à une puissance historique grâce à un peuple héroïque et vigilant (ndlr)

L’Egypte remet de l’ordre au Proche-Orient

Mardi, 3 mai 2011 -16h49

mardi 3 mai 2011

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Par M. K. Bhadrakumar*
Asia Times Online, le 3 mai 2011
article original : "Egypt shakes up Middle Eastern order"


La thèse consistait juste à avancer que le lourd héritage du printemps arabe sera le réveil du monstre brutal du sectarisme au Proche-Orient musulman. Les conflits sectaires, était-il prophétisé, conduiraient à une confrontation entre les Sunnites et les Chiites, impliquant l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Ce spectre a aidé à détourner momentanément l’attention de la menace existentielle que pose le printemps arabe aux régimes autoritaires du Proche-Orient. Il a également aidé les Etats-Unis à distraire la rue arabe pendant qu’une intervention occidentale se déroule dans un autre pays musulman, riche en pétrole, et à réinventer une stratégie d’isolement pour l’Iran. Plus important, cet argument a fourni à l’administration de Barack Obama, à Washington, de quoi masquer l’échec total du processus de paix au Proche-Orient.

Le printemps arabe est pour de vrai
Cependant, Riyad et Washington n’avaient pas pris en compte que dans l’ombre des pyramides égyptiennes le Sphinx s’agitait, exposant sa vision de la réorganisation radicale de l’ordre établi au Proche-Orient. Le gouvernement provisoire entre les groupes palestiniens, négocié par la « nouvelle Egypte » en collaboration tacite avec l’Iran et la Syrie, menace de devenir le leitmotiv du printemps arabe.

En principe, l’Arabie Saoudite devrait célébrer l’unité que ses frères palestiniens forgent à un moment historique, mais, à la place, elle est figée dans le silence. Le Président Obama a rapidement ajourné son discours « historique » sur la politique au Proche-Orient, programmé à l’origine cette semaine, afin de lire dans le marc de café.

Telles que sont les choses, les factions rivales palestiniennes, le Fatah et le Hamas, signeront un accord au Caire ce mercredi, en vue de former un gouvernement provisoire qui conduira à de nouvelles élections au sein d’un accord de réconciliation négocié par le commandement militaire égyptien. Cet accord prévoit un gouvernement provisoire constitué de [personnalités] « neutres » et approuvé par les factions rivales, lequel préparera les élections dans les douze mois, afin de former un gouvernement « d’unité » [nationale].

Cet accord a apparemment trouvé une façon de contourner les cinq points de friction qui empêchaient jusqu’à présent l’unité politique entre Gaza et la Cisjordanie – une date pour les élections, un organisme acceptable qui supervisera le scrutin, la formation d’un gouvernement d’unité, la reprise des pourparlers sur la réforme de l’OLP et les questions de sécurité.

Les élections présidentielles et législatives se tiendront simultanément et le Fatah et le Hamas formeront [ensemble] une commission pour les surveiller.

Le gouvernement d’unité devrait inclure des technocrates et sera dirigé par un Premier ministre qui sera acceptable à la fois pour le Fatah et pour le Hamas. Les prisonniers politiques à Gaza et en Cisjordanie seront libérés et un programme de « réconciliation sociale » sera initié. La réforme de l’OLP était une exigence clé du Hamas, que le Fatah accepte désormais. Une commission intérimaire dirigera l’OLP jusqu’à ce que celle-ci soit « réformée » et ses décisions seront exécutoires. Les questions de sécurité, un autre point délicat, devraient également être résolues par une commission conjointe du Fatah et du Hamas.

Il est inutile de dire qu’il est trop tôt pour exprimer l’optimisme. Mais, ainsi que Massimo Calabresi l’a écrit dans Time Magazine, « Le mariage le plus important de la semaine a eu lieu en Palestine, pas à Londres. Il est vrai que les chances d’une relation durable entre les dirigeants internationalement reconnus des Palestiniens, le Fatah, et le groupe internationalement désigné comme terroriste, le Hamas, ne sont pas très grandes – on ne sait pas très bien [à ce stade] si cette union sera véritablement consommée. Mais même un petit flirt a le potentiel de retourner les affaires arabo-israéliennes, d’affecter les intérêts étasuniens au Proche-Orient et de jouer un rôle dans l’élection [présidentielle américaine] de 2012 ».

Le Sphinx s’agite
Le soulèvement au Proche-Orient a fourni la toile de fond nécessaire à cette réconciliation et il est évident que quelque chose a changé dans la situation d’ensemble. Le Fatah et le Hamas ont tous deux compris la nécessité d’être réceptifs à l’opinion publique qui privilégie l’unité palestinienne. L’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) du Président Mahmoud Abbas, en particulier, a vu l’imminence d’une foule de jeunes gens en Cisjordanie empruntant les slogans de la révolution égyptienne pour exiger l’unité palestinienne.

Le 17 février, Obama a exercé une forte pression sur Abbas, durant un appel téléphonique de 55 minutes, pour qu’il retire sa résolution à l’Assemblée Générale des Nations-Unies exigeant qu’Israël stoppe ses activités de colonisation. Obama a dit que cette mesure compromettait les 475 millions de dollars d’aide américaine à l’ANP. Mais cela n’a pas dissuadé Abbas et, dans une interview qui a donnée à Newsweek dans la foulée, il a violemment critiqué la vulnérabilité et l’impuissance de la politique d’Obama.

Quant au Hamas, pour le dire simplement, les développements en Syrie sont extrêmement préoccupants. En même temps, il place sa confiance dans la « nouvelle Egypte ». Un dirigeant du Hamas de premier plan, Ezzat al-Rashq, a déclaré à l’agence de presse allemande, Deutsche Presse-Agentur, « L’effondrement du régime de Moubarak a replacé l’Egypte au cœur de la région et ravivé l’esprit régional qui aide la réconciliation palestinienne à se produire. »

Dans un geste qui était beaucoup plus que symbolique, les dirigeants du Hamas ont été reçus au ministère égyptien des affaires étrangères, plutôt que dans les « maisons sûres » des services secrets – comme c’était l’habitude durant le régime d’Hosni Moubarak. Le chef d’Etat intérimaire égyptien, le Maréchal Mohamed Tantawi (qui est également le chef du Conseil Suprême des Forces Armées) a reçu les dirigeants du Hamas [en personne]. Parmi eux, Taher Nounou aurait dit, « Lorsque j’ai été invité à cette réunion au ministère des affaires étrangères, c’était quelque chose de différent et c’est de là que cet accord est né ».

Le ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil el-Araby, a dit aux dirigeants palestiniens qu’il ne voulait pas parler du « processus de paix » mais qu’il voulait à la place parler « de la paix ». De façon assez évidente, la thèse révisionniste selon laquelle l’héritage légitime – ou la « nouvelle grande partie » - du printemps arabe, serait une guerre des Sunnites contre les Chiites, ne s’applique pas à l’Egypte. Le réchauffement simultané de l’Egypte vis-à-vis de l’Iran (chiite) et du Hamas (sunnite) représente un changement tectonique indéniablement « séculier » : il traverse le grand schisme sectaire du monde de l’Islam et il est à des lieues de la géopolitique archaïque construite autour de « l’isolement » de l’Iran dans la région que l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis espéraient perpétuer.

Fini le bon toutou…
Ce qui devient visible est que l’Egypte est en train de reconquérir l’influence régionale qu’elle a abjectement abandonnée lorsqu’elle est devenue le caniche des Etats-Unis et la collaboratrice d’Israël, après le traité de paix de 1979. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères a déclaré au New York Times, « Nous ouvrons une nouvelle page. L’Egypte retrouve le rôle dont elle avait autrefois abdiqué ».

La profondeur du changement de la politique égyptienne est que l’armée conduit ce processus en comprenant parfaitement que c’est également le souhait collectif de la société égyptienne, tant de ses élites et de ses professionnels que de la classe ouvrière, et tant des laïcs que des masses musulmanes pratiquantes. Même la communauté stratégique, en tant que praticiens de la realpolitik, se sent captivée qu’une voie indépendante octroie de la flexibilité aux politiques égyptiennes et gagne le respect pour le pays, en tant que puissance régionale, lorsque le Caire s’exprime ou agit.

Le New York Times a fait remarquer que « Les changements en Egypte modifieront probablement l’équilibre du pouvoir dans la région, en permettant à l’Iran d’accéder à nouveau à un ancien ennemi implacable et en créant de la distance entre elle-même et Israël ». L’information relative à l’accord entre le Fatah et le Hamas était à peine connue que Téhéran a tout fait pour lui donner un écho favorable. Le ministre iranien des affaires étrangères, Ali Akhbar Salehi, a déclaré que cet accord est la « première grande réalisation de la grande nation égyptienne sur la scène internationale ».

Téhéran estime que la direction égyptienne cherche à obtenir un levier sur Israël. L’Egypte semble s’être coordonnée avec l’Iran dans les efforts visant à amener le Fatah et le Hamas à se réconcilier. Selon l’analyste spécialiste du Proche-Orient du think tank étasunien Stratfor, le soutien de Téhéran à cet accord et le fait que le Hamas ait son siège à Damas impliquent que « la Syrie a également décidé de permettre à la réconciliation d’aboutir ».

Le rapprochement entre l’Egypte et l’Iran est certainement monté en puissance. D’abord, en accordant l’autorisation sans précédent, en février, à deux navires de guerre iraniens (sans tenir compte des protestations étasuniennes et israéliennes) d’emprunter le Canal de Suez, le Caire a manœuvré intentionnellement et, dès le début du mois d’avril, le ministre égyptien des affaires étrangères cherchait déjà à établir des liens diplomatiques plus étroits avec l’Iran.

Les pires craintes d’Israël quant à la signification de la révolution égyptienne semblent se réaliser.

La dernière annonce de l’Egypte, dans le sillage de l’accord Fatah/Hamas, qu’elle réouvrira de façon permanente le passage frontalier de Rafah avec Gaza, a sonné l’alarme en Israël. (Une équipe de sécurité égyptienne se prépare à visiter Gaza.) Vendredi dernier, un haut-fonctionnaire israélien, dont le nom n’a pas été divulgué, a dit au Wall Street Journal que les récents développements en Egypte pourraient affecter la « sécurité d’Israël à un niveau stratégique ». Le chef d’état-major des forces armées égyptiennes, le Général Sami Anan, a mis en garde sur-le-champ Israël de ne pas interférer avec le plan du Caire d’ouvrir le passage frontalier de Rafah avec Gaza, disant que ce n’était pas un sujet d’inquiétude pour Israël.

Une fois encore, la décision des dirigeants militaires égyptiens concernant Rafah reflète le souhait collectif de l’opinion publique intérieure qui s’identifie aux souffrances et aux privations rencontrées par le peuple de Gaza. (Un sondage récent du Pew Research Center, basé aux USA, montre que 54% des Egyptiens veulent que le traité de paix entre l’Egypte et Israël soit annulé.) Dans ces circonstances, ce qui préoccupera le plus Israël (et les Etats-Unis) sera de savoir si l’accord surprise entre le Fath et le Hamas négocié par l’Egypte est lié d’une façon ou d’une autre au plan palestinien de pousser l’assemblée générale des Nations-Unies, à New York en septembre prochain, à reconnaître un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza.

Une telle appréhension n’est pas injustifiée. La semaine dernière, le Wall Street Journal faisait le commentaire suivant : « Au cours des deux mois et un peu plus que […] Moubarak a abdiqué […] l’Egypte a tendu le bras à l’Iran, a remis en cause le prix d’un contrat d’exportation de gaz naturel qui est crucial pour les besoins énergétiques d’Israël et a remporté une victoire diplomatique majeure avec le Hamas ».

Pour s’en assurer, la réaction israélienne à l’accord Fatah/Hamas a été particulièrement vive. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a déclaré : « L’Autorité Palestinienne doit choisir entre la paix avec Israël ou la paix avec le Hamas. Elle ne peut pas avoir les deux, parce que le Hamas a pour objectif la destruction de l’Etat d’Israël et ils le disent ouvertement ». Un groupe de parlementaires américains a également mis en garde contre le plan de réconciliation. La présidente de la commission aux affaires étrangères de la Chambre des Représentants étasunienne, Ileana Ros-Lehtinen, a déclaré que l’argent des contribuables américains ne peut servir à financer des terroristes qui menacent les Etats-Unis et son allié Israël. On dit que Netanyahou aurait approuvé ce point de vue.

…finis les accords en coulisses
Toutefois, Obama garde ses pensées pour lui-même. Il est visible que tandis que le printemps arabe ne montre aucune trace « d’anti-américanisme » en tant que tel, les nouveaux régimes qui succèderont seront très certainement à l’écoute des souhaits et des aspirations populaires, et cela affaiblira les stratégies des Etats-Unis dans cette région.

Au strict minimum, ainsi que Helena Cobban, auteure et experte de longue date sur cette région, l’a publié sur son blog, « La règle générale qui se confirme dans cette région est que ce type d’accords sordides passés autrefois en coulisses avec Israël par des régimes, comme celui de Moubarak, ceux des monarchies jordaniennes successives ou autres – c’est-à-dire, des arrangements pour réprimer les mouvements palestiniens qui vont bien au-delà des conditions officielles des traités de paix – sont devenus considérablement plus difficiles à tenir pour ces partis arabes, étant donné l’émergence de mouvements forts qui auraient dû se manifester depuis longtemps et qui ont été très bien accueillis, appelant à la transparence et à la responsabilité des gouvernements arabes ».

Cela revient à dire que toute digression dans la nature d’alimenter le feu des passions sectaires Sunnites/Chiites ne peut fonctionner que momentanément dans ce milieu régional en évolution. C’est devenu parfaitement clair lorsque le Premier ministre égyptien Essam Abdulaziz Sharaf a choisi l’occasion d’une réunion la semaine dernière avec l’Emir koweïtien, le Cheikh Sabah el-Ahmed el-Jabir el-Sabah, pour ignorer la paranoïa vis-à-vis de l’Iran et stimulée par l’Arabie Saoudite. Il a fermement réaffirmé la détermination du Caire à étendre ses liens avec l’Iran. Il a déclaré : « L’Egypte essaye d’entamer un nouveau chapitre dans ses liens avec l’Iran, qui est l’un des pays les plus importants au monde ».

Simultanément, le porte-parole du gouvernement égyptien, Ahmed el-Saman, a dit que le Caire était déterminé à reprendre ses relations avec l’Iran et qu’aucune tierce partie ne peut exercer de pression sur le Caire pour lui faire changer de décision. Une visite du ministre égyptien des affaires étrangères à Téhéran est bien possible.

Les Saoudiens ont ressuscité le spectre d’un croissant chiite sous leadership iranien. Mais tous les torts ne peuvent pas être du même côté. L’Iran préfère fixer les yeux sur des objectifs bien plus élevés que le leadership du monde chiite. Damas, le Caire et Bagdad – le cœur, l’esprit et l’âme de la politique arabe – ne se laissent pas non plus prendre à l’appel à l’action des Saoudiens, selon lequel le Salafisme est en danger de mort à cause du chiisme militant.

En attendant, non seulement pour les Saoudiens, mais aussi pour tous les gouvernements arabes, le moment de vérité approche et on verra si et quand ils seront appelés à reconnaître un Etat palestinien unifié sous un gouvernement « d’unité » [nationale], ce qui voudrait dire un certain nombre de choses – reconnaître le Hamas, s’ajuster à un changement majeur dans les relations israélo-égyptiennes et à la nouvelle proximité entre l’Egypte, l’Iran et la Syrie, et oser défier stratégiquement les Etats-Unis. La réalité géopolitique étonnante du « nouveau Proche-Orient » est que les services de renseignements égyptiens ont négocié la réconciliation palestinienne sans avoir consulté ni les Etats-Unis nit Israël – ni l’Arabie Saoudite.

* M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Ses affectations incluent l’Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l’Allemagne, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.