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De notre correspondant en Egypte

La Lettre d’Egypte n°5 - Tahrir : l’armée réprime et tire

Vendredi, 15 avril 2011 - 4h42 AM

vendredi 15 avril 2011

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Que se passe-t-il en Égypte ? Transition démocratique ou contre-révolution ?

Le comité Égypte en lien étroit avec les acteurs de la « société civile révolutionnaire » en Égypte vous informe au jour le jour du processus en cours…

Répression : la grande bataille de Tahrir

L’armée égyptienne a perdu son sang froid et a commis une nouvelle bavure à l’aube du 9 avril en tirant sur des manifestants pacifistes qui occupaient la place Tahrir, tuant 7 personnes, dont une fillette de 7 ans, et en blessant 71 autres.

Neuf organisations égyptiennes des droits de l’Homme* viennent de publier un compte rendu des faits où ils dénoncent la violence sans précédent des forces armées contre les occupants de la place Tahrir et s’indignent du démenti par le porte parole de l’armée d’avoir tiré à balles réelles. Les faits rapportés par des témoins présents sur la place au moment de ces événements sanglants sont les suivants :

•A la fin de la grande manifestation « d’épuration et du jugement » du vendredi 8 Avril qui a réuni des centaines de milliers de personnes sur la place Tahrir, près de deux mille d’entre elles ont décidé d’occuper la place jusqu’à la satisfaction des revendications formulées au cours de cette journée (voir bulletin N°4).

•A minuit, une première tentative d’évacuation de la place a été menée par un général des forces spéciales de l’armée accompagné de trois officiers. Ils ont été chassés à coups de pieds.

•Le samedi 9 avril, vers 1h du matin, des camions de police, suivis par des voitures blindées des forces spéciales de l’armée, accompagnés de parachutistes, ont pénétré sur la place. Ils ont attaqué les manifestants qui occupaient le terre-plein central en les bastonnant et en tirant à balles réelles en l’air pour les disperser, les contraindre à leur livrer les officiers qui avaient trouvé refuge parmi eux et évacuer la place. Suite à des accrochages violents, la plupart des occupants se sont sauvés vers le pont Kasr El Nil et la place Talaat Harb, à cinq cents mètres de la place Tahrir. Ils ont été poursuivis par les assaillants qui ont tiré à balles réelles provoquant la mort de la plupart des victimes.

•Vers 5 heures du matin, heure de la levée du couvre feu, des manifestants sont revenus sur la place Tahrir pour s’enquérir de l’état de leurs camarades restés sur place. Ils ont observé, rapporte le communiqué, le retrait des camions de la police et des forces spéciales, et l’arrivée de camions de l’armée qui transportaient des barbelés et des barres de fer destinés à construire une clôture autour du terre-plein au milieu de la place pour empêcher les manifestants d’y accéder. Les manifestants ont arraché les barres de fer, attaqué les militaires les obligeant à se replier avant de mettre le feu à deux camions de l’armée abandonnés.

•A six heures du matin, les forces de police retournent sur la place et lancent des bombes lacrymogènes provoquant de nombreux cas d’asphyxie, avant de se retirer suite à l’explosion des moteurs des deux camions incendiés.

•Commentant les propos de l’armée qui nie avoir tiré à balles réelles, le rapport fournit des preuves indéniables de ce mensonge : les vidéos tournées lors du drame et publiées sur les sites électroniques des journaux locaux et arabes, où l’on entend le son de tirs intensifs ; les flaques de sang qui jonchent les trottoirs à proximité de la place Talaat Harb ; les dizaines de cartouches vides que les manifestants ont pu ramasser ; les balles extraites des corps des blessés soignés dans les hôpitaux.

•Le rapport a par ailleurs dénoncé le fait que les forces armées ont empêché les ambulances de transporter les blessés avant la levée du couvre feu à 5 h du matin.
41 manifestants ont été arrêtés. Ils sont accusés d’avoir violé le couvre feu et enfreint la décision du gouverneur militaire qui interdit les rassemblements. Des avocats du front de défense des manifestants se sont entretenus avec les détenus avant leur transfert en prison. Ils ont rapporté que beaucoup d’entre eux portaient de nombreuses traces de coups et blessures.

Les organisations des droits de l’Homme exigent une enquête rapide pour désigner les responsables de cette nouvelle tuerie et punir ses responsables. Ils dénoncent les mensonges des forces armées qui assimilent ces manifestants aux voyous et aux contre révolutionnaires en vue de les dénigrer aux yeux de la population.

Le parti de la coalition populaire socialiste (gauche) en instance de reconnaissance a publié un communiqué dénonçant l’usage excessif de la force et le massacre de manifestants pacifistes par les forces armées. Il a demandé à l’armée de retourner dans ses casernes et a réclamé la formation d’un conseil présidentiel civil comprenant un militaire.

Par ailleurs, les quatre candidats à la présidence, Amr Moussa, El Baradei, Hamdine Sabahi et Hisham el Bastawassi, auxquels s’est joint l’activiste Georges Ishak, ont publié un communiqué soulignant la nécessité de l’union du peuple et de l’armée et dénonçant le massacre injustifié de civils non armés, quelles qu’en soient les motifs.

L’évacuation par la force de la place Tahrir, présentée par le porte-parole de l’armée au cours de la conférence de presse donnée le soir des événements, avait comme but l’arrestation des jeunes militaires qui ont trouvé refuge parmi les occupants de la place. Or, rappellent les observateurs, l’armée aurait pu les arrêter à la fin de la manifestation, sans recourir à la répression qui rappelle les méthodes des services de sécurité de l’Etat avant la révolution. Ce comportement vis-à-vis de la contestation est en train de s’ériger en système. En moins d’un mois l’armée a évacué par la force les occupants de la faculté d’information, blessant et humiliant les étudiants et les professeurs qui exigeaient le départ du doyen (9 mars) ; elle a évacué par la force des ouvriers grévistes du port de Adabya à Suez (29 mars) ; elle a tenté d’évacué des ouvriers de l’usine de textile de Chebin El Kom, en grève depuis le 16 février.

En revêtant les habits de l’ancien régime, dont elle est issue, en commettant de plus en plus de bavures, l’armée commence à perdre le crédit acquis auprès de pans entiers de la population. Nul ne peut prévoir la suite des événements.

Mobilisation

•L’union des syndicats libres a organisé son premier congrès le 8 Avril au siège du syndicat des journalistes.

•Les comités populaires de défense de la révolution organiseront leur premier congrès le 22 avril. Ces comités qui se sont formés dans plusieurs quartiers du Grand Caire, ont pour but d’instaurer une sorte de surveillance permanente de la police et des élus locaux en relation avec les revendications et les besoins des habitants. Pour le moment, ils recensent, au niveau des arrondissements, les policiers qui ont participé à la torture et à la répression pour les inculper et les traduire en justice.

Ils font de même pour les élus locaux qui ont abusé de leur pouvoir et sont impliqués dans la corruption. Ils se disent indépendants, n’appartiennent à aucun parti ni courant politique, et leurs mots d’ordres sont : dignité, liberté et justice sociale.

*Organisations des droits de l’Homme signataires :

Initiative égyptienne pour les droits individuels –
Centre pour le Droit Hisham Mubarak –
Association pour la liberté de pensée et d’expression –
Association Nazra pour les études féministes –
Institut du Caire pour les droits de l’homme d’études –
Réseau arabe pour les droits de l’homme –
Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux –
Centre Nadim pour la réhabilitation des victimes de la violence – Association égyptienne pour la promotion de la participation sociétal

En savoir plus (en arabe) :

http://www.youm7.com/#
www.afteegypt.org