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Bulletin national mensuel de la Ligue des droits de l’Homme

Editorial de Jean-Pierre DUBOIS, président de la LDH

Vendredi, 8 avril 2011 - 6h58 AM

vendredi 8 avril 2011

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Alors qu’un régime barbare opprime depuis des décennies le peuple libyen, il se peut aujourd’hui que Kadhafi le despote, à son tour, « dégage ».

Nous savons ce qu’il faut penser du principe « charbonnier est maître chez soi », invoqué par le docteur Goebbels devant une Société des nations impuissante. L’humanité n’a que trop chèrement payé l’aveuglement sur la souveraineté des tyrans pour qu’on laisse massacrer les insurgés de Benghazi et de Misrata.

Mais nous savons aussi, après l’Irak et l’Afghanistan, ce qu’il en coûte de prétendre diffuser la démocratie par la force. Les fantasmes des néoconservateurs américains n’ont débouché que sur le chaos, et sur le refus légitime de voir se répéter les occupations « occidentales » inacceptables.

C’est qu’on ne peut confondre les régimes et les peuples lorsque les premiers oppriment les seconds. Si aucun bourreau n’est légitime à invoquer la « non-ingérence dans ses affaires intérieures » pour continuer à massacrer en toute impunité, la conquête de la liberté n’en est pas moins l’affaire de chaque peuple, non celle d’une tutelle étrangère quels qu’en soient les motifs réels ou proclamés.

S’impose alors non pas un « droit d’ingérence », dont le contenu est aussi ambigu que ses effets sont contre-productifs, mais la « responsabilité de protéger » les populations civiles contre les exactions, et les défenseurs des droits contre l’arbitraire.

C’est sur ce chemin de crête que se joue en Libye une partie indécise. L’inaction face au massacre en préparation aurait été aussi insoutenable à Benghazi qu’à Kigali ou à Srebrenica. Mais le renversement du régime par l’occupation militaire étrangère serait aussi inacceptable à Tripoli qu’à Bagdad.

C’est pourquoi la LDH a salué l’adoption, par le Conseil de sécurité, de la résolution 1973 : non seulement elle fixe un cadre légitime par sa source - l’ONU - et par son objet - la protection des populations civiles, mais elle répond à la demande pressante des Libyens eux-mêmes combattant pour leur liberté.

Certes, nous voyons bien que ceux qui disent aujourd’hui aider à cette libération ont traité pendant des décennies avec Kadhafi, comme ils l’ont fait avec Ben Ali et Moubarak sur le dos des peuples tunisien et égyptien, et qu’ils ne mettent pas vraiment la même énergie à assurer le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même, ni à secourir les démocrates de Téhéran à Pékin, ou de Rangoon à Damas.

Mais, sauf à accompagner d’un « tout ou rien » impuissant le triomphe de la realpolitik, c’est par le haut qu’il faut sortir de la contradiction : non en condamnant la protection du peuple libyen au nom de l’abandon dans lequel on laisse les autres, mais en exigeant que la même logique conduise à soutenir désormais les démocrates partout où ils demandent ce soutien. Au Yémen, à Bahrein, en Syrie, en Algérie, ils sont des dizaines de millions qui espèrent que le « printemps des peuples arabes » va s’étendre, que les différences de situations nationales n’empêcheront pas la contagion de l’émancipation, par l’aspiration universelle à la dignité, à la liberté et à la justice sociale.

L’enjeu est donc l’inversion des logiques de contamination autoritaire des démocraties, de régression des libertés et de prétendu « choc des civilisations ». C’est le « rendez-vous des civilisations » qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte, dès lors que la quête de liberté qui est au cœur de l’histoire humaine est à nouveau en marche. Rien n’est gagné d’avance, mais tant a été acquis en quelques semaines, et beaucoup plus encore devient possible dans les mois et les années à venir.

La solidarité internationale des défenseurs des droits n’est plus seulement un devoir, elle est la clef d’un avenir humain « ici » comme « là-bas ». Indivisiblement.