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Son processus de démocratisation est lancé (Par Abdelkrim Ghezali)

L’Egypte se replacera-t-elle sur l’échiquier moyen-oriental ?

Mardi, 15 février 2011 - 6h49 AM

mardi 15 février 2011

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Au lendemain de la chute de Moubarak, Aluf Benn a écrit dans le quotidien israélien Haaretz : « La disparition du gouvernement du président égyptien Hosni Moubarak a laissé Israël dans un état de détresse stratégique.

Sans Moubarak, Israël se retrouve avec presque aucun ami dans le Moyen-Orient.

L’an dernier, Israël a vu son alliance avec la Turquie s’effondrer. »

En disant « presque », l’auteur fait un clin d’œil au régime de la Jordanie qui reste un allié stratégique d’Israël et à l’Arabie saoudite qui s’inscrit dans la logique d’une paix telle qu’Israël et Washington la conçoivent et qui soutient l’Autorité palestinienne contre le Hamas au risque de
provoquer une guerre civile inter-palestinienne.

Le même Benn confirme : « Israël ne se retrouve plus qu’avec deux alliés stratégiques dans la région : la Jordanie et l’Autorité palestinienne. »

Pour Ali Abunimah, rédacteur en chef de The Electronic Intifada, ce que Benn ne dit pas, c’est que ces deux « alliés » ne seront pas épargnés non plus. El Jazeera s’est déjà occupée, via des fuites organisées par Israël, à détruire ce qui restait de l’image de l’Autorité palestinienne qui apparaît aujourd’hui, aux yeux des Palestiniens, comme une autorité traître servant les intérêts d’Israël contre les intérêts de la cause palestinienne.

La décantation en Palestine

Ali Abunimah témoigne : « Au cours des dernières semaines, j’ai été à Doha examiner les mémos palestiniens dévoilés sur El Jazeera. Ces documents soulignent la mesure dans laquelle la division entre les pro-américains de l’Autorité palestinienne à Ramallah, dirigés par Mahmoud Abbas et sa faction du Fatah, d’un côté, et le Hamas dans la bande de Gaza de l’autre, a été une décision politique prise par les pouvoirs de la région ou extérieurs : les États-Unis, l’Egypte et Israël.

Cette politique comprenait l’application stricte par l’Egypte du blocus de Gaza. » Cette dernière information n’est un secret pour personne. L’Egypte de Moubarak a été plus loin que ce que stipulent les accords de Camp David. La construction du mur de fer à Rafah visait à isoler Ghaza et à étouffer ses populations, y compris en les privant de l’aide humanitaire qui transite par ce seul passage.

Ali Abunimah écrit : « Si le régime de Moubarak s’en va, les États-Unis vont perdre un énorme levier pour influer sur la situation en Palestine, et l’Autorité palestinienne [AP] d’Abbas va perdre un de ses principaux alliés contre le Hamas.

Déjà discréditée par l’étendue de sa collaboration et de capitulation exposée dans les mémos palestiniens, l’Autorité palestinienne sera encore plus affaiblie. En l’absence d’un ‘‘processus de paix’’ crédible pour justifier sa ‘‘coordination sécuritaire’’ poursuivie avec Israël, ou simplement son existence même, le compte à rebours peut aussi commencer pour une implosion de l’Autorité palestinienne. Même le soutien des États-Unis et de l’Union européenne pour un Etat policier et répressif à la sauce de l’Autorité palestinienne peut ne plus être politiquement tenable. Le Hamas peut en être le bénéficiaire immédiat, mais pas nécessairement sur le long terme.

Pour la première fois depuis des années, nous assistons à de larges mouvements de masses et, bien que des islamistes y participent, ces masses ne sont pas nécessairement dominées ou contrôlées par ceux-ci. »

Des implications régionales

Ce constat est édifiant quant aux implications de la chute du régime de Moubarak sur la reconfiguration du Moyen-Orient en général et sur la réalité palestinienne en particulier.

Les changements politiques intervenus en Egypte brouillent d’ores et déjà les cartes au Moyen-Orient et accélèrent une décantation en Palestine qui risque de vivre des moments difficiles dans la perspective d’élections locales et législatives contestées par le Hamas qui a pour l’instant le vent en poupe.

Pour l’analyste et journaliste palestinien, Ali Abunimah, « il y a aussi une valeur d’exemple pour les Palestiniens : l’endurance des régimes tunisien et égyptien était fondée sur la perception qu’ils étaient forts, sur leur capacité à terroriser une partie de leurs populations et à en coopter une autre. La facilité relative avec laquelle les Tunisiens ont mis à bas leur dictateur, et la rapidité avec laquelle l’Egypte, et peut-être le Yémen, semblent aller dans la même voie, pourraient bien envoyer un message aux Palestiniens que ni Israël ni les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ne sont aussi indomptables qu’elles ne le paraissent.

En effet, la force ‘‘dissuasive’’ d’Israël a déjà subi un énorme coup par son échec à vaincre le Hezbollah lors des attaques sur le Liban en 2006 et à vaincre le Hamas à Gaza durant l’hiver 2008-09. »

Abunimah poursuit : « Quant à l’Autorité palestinienne d’Abbas, jamais autant d’argent venu des donateurs internationaux n’a été consacré à une force de sécurité avec d’aussi mauvais résultats.

Le secret de Polichinelle, c’est que, si l’armée israélienne n’occupait pas la Cisjordanie et ne faisait pas le siège de Gaza (avec l’aide du régime de Moubarak), Abbas et sa garde prétorienne seraient tombés depuis longtemps.

Construisant sur les bases d’un processus de paix frauduleux, les États-Unis, l’UE et Israël - avec le soutien de régimes arabes décrépis et à présent sous la menace de leurs propres peuples - ont construit une maison palestinienne de cartes dont il est peu probable qu’elle ne reste debout plus longtemps.

Cette fois, le message peut être que la réponse n’est pas une plus forte résistance armée, mais un peu plus de pouvoir au peuple et que l’accent soit mis davantage sur les manifestations populaires. Les Palestiniens
forment au moins la moitié de la population dans la Palestine historique - Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza réunies. S’ils se soulèvent collectivement pour exiger l’égalité des droits, que pourrait faire Israël pour les arrêter ?

La violence brutale et meurtrière d’Israël n’a pas empêché des manifestations régulières dans les villages de Cisjordanie. Israël doit craindre que, s’il répond à une insurrection générale avec brutalité, son soutien international déjà précaire pourrait commencer à s’évaporer aussi rapidement que celui de Moubarak. Le régime de Moubarak, semble-t-il, est en rapide ‘‘délégitimation’’. Les dirigeants israéliens ont indiqué clairement qu’une telle implosion de l’appui international leur fait plus peur que n’importe quelle menace militaire extérieure.

Avec le basculement de pouvoir en faveur du peuple arabe […], les gouvernements arabes ne pourront pas rester silencieux et complices comme ils l’ont été pendant des années alors qu’Israël opprime les Palestiniens.

Quant à la Jordanie, le changement est déjà en cours. J’ai assisté à une manifestation de milliers de personnes dans le centre d’Amman hier. Ces protestations, bien organisées et pacifiques, appelées par une coalition de partis islamistes et l’opposition de gauche, ont lieu depuis des semaines dans les villes à travers le pays. Les manifestants exigent la démission du gouvernement du Premier ministre Samir Al Rifai, la dissolution du Parlement élu dans ce qui a été largement considéré comme des élections frauduleuses en novembre, de nouvelles élections libres fondées sur des lois démocratiques, la justice économique, la fin de la corruption et l’annulation du traité de paix avec Israël. Il y avait de fortes démonstrations de solidarité avec le peuple d’Egypte. Aucune des composantes de la manifestation n’escomptait que le genre de révolution qui s’est produit en Tunisie et en Egypte se produise en Jordanie, et il n’y a aucune raison de croire que de tels développements soient imminents. Mais les slogans entendus lors de ces manifestations étaient sans précédent dans leur audace et leur défi direct à l’autorité. Tout gouvernement devenant plus sensible aux souhaits de sa population devra revoir ses relations avec Israël et les États-Unis. »

Les craintes d’Israël

Après la mort de Gamal Abdel Nasser, L’Egypte a entamé un long virage qui allait aboutir à des accords de paix avec Israël en 1979. Ces accords ont fait sortir l’Egypte de la ligne de front et du rang arabe qui, officiellement, ne reconnaissait pas l’Etat d’Israël.

Après les accords d’Oslo en 1993, l’Egypte est apparue comme le pays précurseur de la paix et, à ce titre, est devenu le leader arabe d’une dynamique devant rallier le maximum de pays arabes à sa vision et, par conséquent, à la normalisation des relations arabo-israéliennes. Seule la Jordanie a répondu au chant des sirènes en établissant des relations diplomatiques avec Tel-Aviv.

L’à plat ventrisme de l’Egypte de Moubarak et du roi Abdallah de Jordanie et de son héritier, face aux exigences de Washington quant aux concessions aussi bien palestiniennes qu’arabes, n’ont rien changé à l’arrogance d’Israël qui a fini par convaincre l’Egypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite à le soutenir dans sa guerre contre le Liban et son agression sauvage contre Ghaza, au nom de la lutte contre l’islamisme du Hezbollah et du Hamas.

Les peuples de la région moyen-orientale n’ont jamais pardonné à leurs gouvernants ces positions anti-Arabes et anti-Palestiniennes.

En partie, les soulèvements populaires en Tunisie, en Egypte et en Jordanie sont mus par un sentiment de rejet des options stratégiques des régimes dans ces pays, et qui ont grandement affaibli la cause palestinienne et approfondi les divisions arabes.

Quelles conséquences ?

Moubarak était conscient de la colère de la rue égyptienne lors de l’agression israélienne contre Ghaza. A ce titre, Les tentatives égyptiennes pour arranger un cessez-le-feu durable entre Israël et le Hamas n’arrangent pas les affaires intérieures, bien au contraire. La population égyptienne est descendue massivement dans la rue pour protester contre l’incapacité et/ou le manque de volonté du président Moubarak à aider les Palestiniens de Ghaza lors de l’offensive israélienne qui a fait plus de 1 300 morts palestiniens, majoritairement des civils, et plus de 5 000 blessés.

Si les négociations en cours échouent, c’est la crédibilité de l’Egypte comme pays arabe « modéré », qui s’est autoproclamé stabilisateur de la région et du monde arabe qui risque d’en pâtir.

Concernant le cessez-le-feu, selon le directeur du Al-Ahram Center for Political and Strategic Studies au Caire, Abdel Monem Saïd, la médiation de Moubarak, « c’est un cauchemar pour l’Egypte ». Selon lui, le désir de ce dernier de vouloir satisfaire tout le monde - un accord de paix et des échanges économiques avec Israël, allié des Américains qui financent son régime corrompu et le maintiennent au pouvoir, soutien aux
Palestiniens, défense du nationalisme arabe - est mal vu de sa population qui veut qu’il prenne clairement position en soutien aux Palestiniens et contre Israël.

« Quand vous prétendez être un dirigeant arabe et que vous n’obtenez rien, vous devenez la risée de tout le monde », a fait remarquer Diaa Rashwan, analyste politique et expert des mouvements politiques islamistes.

Aujourd’hui, Moubarak n’est plus là. La rue égyptienne qui a grondé lors de l’attaque israélienne contre le Liban et lors de l’agression contre Ghaza acceptera-t-elle que l’Egypte respecte les accords de Camp David, de continuer à soutenir un processus de paix mort-né et de voir la situation en Palestine se dégrader au risque de l’éclatement de l’entité palestinienne ?

Par Abdelkrim Ghezali