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Paix et Justice au Moyen-Orient (volet N° 3)

La Tunisie, l’Egypte : réforme ou révolution ?

Lundi, 7 février 2011 - 7h06 AM

lundi 7 février 2011

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Les leçons de l’Iran

Le séisme qui secoue la Tunisie et l’Egypte conduit certains à comparer ce qui se passe dans les dits pays à la situation qui prévalait dans l’Iran du Chah, avant la victoire de la révolution islamique de 1979.

Il y a bien des traits communs entre les pays du Maghreb et l’Iran du Chah : la domination occidentale par l’économique et le politique, l’absence de souveraineté, un régime dictatorial, la répression de l’opposition. L’Histoire nous apprendra si la ressemblance s’arrête là ?

Sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1981), l’Amérique, après sa défait humiliante au Vietnam, est entrée dans une période de « convalescence », caractérisée par une « nouvelle pratique de sa diplomatie ». En effet, pour combattre l’offensive des Soviétiques grignotant la zone d’influence américaine, Carter lança sa fameuse « lutte pour les droits de l’homme ».

Le Chah d’Iran était, quant à lui, à l’apogée de sa puissance. Les mouvements de résistance armés se faisaient écraser et les prisons étaient remplies d’opposants, en majorité laïcs. L’opposition religieuse était inaudible. L’armée impériale avait écrasé la rébellion au Dhofar et les navires de guerre iraniens patrouillaient dans l’Océan indien. C’était l’époque où l’Amérique appliquait encore la doctrine de Nixon : « l’Asie aux Asiatiques ».

Pourtant, ce qui restait de l’opposition, les représentants de la bourgeoisie modérée qui se contentaient de demander l’application de la Constitution issue de la révolution constitutionnelle de 1906, saisit la balle au bond en réclamant l’application des droits de l’homme. En même temps les écrivains et des poètes se réveillaient en organisant des soirées de poésie à…l’institut Goethe de Téhéran, en toute sécurité. On connait la suite.

Le mouvement démocratique en Iran est une suite logique de la révolution démocratique et anticolonialiste de 1906. Ce mouvement avait pour vocation de se poursuivre tant que les objectifs de la révolution n’auraient pas été atteints : l’indépendance du pays et l’avènement d’une société de droit et pluraliste. C’est la grande différence entre le mouvement démocratique de l’Iran et les mouvements populaires du Maghreb, qui lui, n’a pas connu d’époque révolutionnaire (sauf en Algérie).

La répression féroce du Chah n’a qu’égratigné la puissance du clergé millénaire- représentant d’une fraction importante de la bourgeoisie nationale- qui a réussi à unir la société civile derrière la personnalité charismatique de l’Ayatollah Khomeiny et des mots d’ordre acceptables pour tous : indépendance, liberté, république islamique. Si les Iraniens appréciaient les deux premiers mots d’ordre, ils ne savait rien sur le troisième : république islamique. Ils se disait « ça ne peut pas être pire que le régime du Chah » ! On connait la suite.

Le mouvement populaire déclenché sous le Chah visait, ni plus ni moins, que les bases du régime proaméricain. Toute personne saisissant la « main tendue » du Chah était immédiatement discréditée. Tel a été le cas de Chapour Bakhtiar, ultime premier ministre du Chah, membre du « Front national » de feu Mossadegh.

En Tunisie et en Egypte, aucune force ou personnalité n’est en mesure d’unifier toutes les couches de la population. Les régimes en place ne sont pas menacés. Ben Ali est parti, mais son clan et l’armée sont toujours en place. C’est également le cas en Egypte où l’armée, soutien du régime et des multinationales, a gardé sa popularité.

Le message est reçu cinq sur cinq par les chancelleries occidentales qui souhaitent des « transitions réussies vers des modèles aussi pluralistes et démocratiques que possible »(1), permettant aux pays du Maghreb de maintenir « une ligne pro-occidentale en politique étrangère. »(1)

Peter Harling, directeur des activités de l’International Crisis Group en Irak, en Syrie et au Liban, suggère que le remplacement des dictateurs tunisien et égyptien par un « régime démocratique » ne changera rien au fond du problème : retard de développement, humiliation associée à la suprématie militaire israélienne, dépendance du Maghreb vis-à-vis de l’Occident, colonisation de la Palestine, encerclement de la bande de Gaza, « processus de paix » factice, etc.

« La pente est glissante vers une restauration, sous une forme ou sous une autre, du statut quo. »(1) Qui dit « statut quo » dit maintien en place des régimes pro-occidentaux au Maghreb, suprématie des Etats-Unis et d’Israël au Proche et au Moyen-Orient.

Peter Harling est conscient de la duplicité occidentale. Selon lui « Et si les courageux peuples tunisiens et égyptiens optaient pour des postures nationales contraires aux visées occidentales, que diront alors Washington et Paris ? » Ils enverront leurs porte- avions et autres navires de guerre patrouiller au large de la Tunisie et de l’Egypte.

Pour éviter que les peuples tunisien et égyptien en arrivent, comme en Iran, à « opter pour des postures contraires aux visées occidentales », Washington et Paris se sont prononcés pour le départ des autocrates de Tunisie et d’Egypte.

Lorsque le Chah a quitté l’Iran, son régime s’est effondré. Le départ de Ben Ali n’a pas été suivi de l’effondrement du régime tunisien. Le départ éventuel de Moubarak ne sera pas suivi, non plus, de l’effondrement du régime égyptien. L’Occident a probablement encore de beaux jours en perspective au Maghreb.

Une chose est sûre : les peuples tunisien et égyptien ont fait sauter un verrou et n’ont pas dit leur dernier mot. Le mouvement continue en Tunisie et il ne s’arrête pas en Egypte. Il est permis de croire à la poursuite des insurrections populaires et à leur transformation en mouvements révolutionnaires. Même si le chemin à parcourir est encore très long.

Le Comité de rédaction
cpjmo@yahoo.fr

1- (1) Peter Harling, directeur des activités de l’International Crisis Group en Irak, en Syrie et au Liban- Le Monde du 05 février 2011.