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Par Régis Debray et Stéphane Hessel

Une censure indigne

Mardi, 25 janvier 2011 - 9h16 AM

mardi 25 janvier 2011

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« Qu’aurions-nous dit à l’assistance pour qu’elle en discute, pour ou contre, si l’Ecole de la rue d’Ulm était encore celle que nous avons aimée et qui nous a élevés... » ?

Que fallait-il donc interdire aux normaliens d’écouter ? Qu’aurions-nous dit à l’assistance pour qu’elle en discute, pour ou contre, si l’Ecole de la rue d’Ulm était encore celle que nous avons aimée et qui nous a élevés ; un cloître républicain libre de préjugés, indépendant des puissances d’opinion et des ukases, ouvert à tous les vents de l’esprit comme aux nouvelles du monde entier ?

Convaincus qu’il faut toujours parler de ce qui fâche sans se fâcher, nous aurions simplement témoigné. De Gaza, où venant d’Égypte, nous avons passé quelques jours à la fin d’octobre 2010. Sous l’égide de la Voix de l’enfant, ONG présidée par Carole Bouquet, et aux côtés de sa directrice, Martine Brousse, venue enquêter sur le sort fait aux centres aidés par l’association.

Nous aurions alors parlé d’une ville abîmée, mais nettoyée de ses décombres, sans mendiants, sans famine, survivant à petit feu au blocus, alimentée en produits surcoûteux à ses risques et périls, par des centaines de tunnels (cent soixante morts depuis trois ans dans les travaux d’excavation).

Nous aurions salué l’admirable travail de l’Organisation des Nations unies pour les réfugiés et de son directeur irlandais, John Ging. Cet organisme assure l’éducation de 213 000 élèves et les soins de santé de 850 000 personnes. Il inclut dans ses 237 écoles en activité l’enseignement des droits de l’homme et de la Shoah en tant que fait historique. Et il se bat vaillamment pour pouvoir importer les matériaux permettant de rebâtir les 200 écoles détruites par l’opération « Plomb durci », sans se résigner au chiffre de huit retenus par les autorités israéliennes, lesquelles, reconnaissons-le, laissent passer de quoi rebâtir 150 maisons (sur les 2 500 détruites et les 6 000 atteintes).

Nous aurions dit notre bonne surprise de découvrir au milieu des ravages des lieux raffinés et actifs, comme le Conservatoire de musique, la rutilante médiathèque Al-Qattan et un élégant Musée d’archéologie au nord du territoire.

Nous aurions évoqué le beau travail de l’Institut culturel français, le seul établissement occidental ayant pignon sur rue, qui continue de tenir portes et table ouvertes aux Gazaouis de toutes opinions, avec un remarquable dévouement.

Nous aurions relaté une longue et insolite conversation avec le premier ministre du Hamas, Ismaël Haniyé, dont la moitié consacrée au sort inacceptable de Gilad Shalit, que nous n’avons pu finalement rencontrer, malgré notre insistance. Nous aurions exposé, au vu des mouvements djihadistes sévèrement battues en brèche par le gouvernement local, mais omniprésentes dans les camps misérables de réfugiés, les dangers de la politique du pire. Celle que représente le blocus physique et politique d’un territoire étranglé et qui verra sa population doubler d’ici vingt ans.

Le couvercle sur cette chaudière humaine ne tiendra pas longtemps.

C’est cette évidence qui a conduit la Suisse, la Norvège, ainsi que l’ancien patron du Mossad, un Israélien bien informé, à la conclusion qu’il est opportun de nouer un dialogue avec le Hamas, comme cela fut fait, en son temps, avec l’OLP « terroriste » de jadis. Ne serait-ce que pour hâter la décantation des mouvances en son sein (entre islamo-nationalistes d’un côté et djihad global de l’autre). Et relayé l’avis de tous les connaisseurs de la région qui déplorent la politique de l’autruche d’une Union européenne pusillanime, dont l’inertie complice joue contre nos intérêts à long terme et contre la paix à moyen terme.

Nous aurions, in fine, manifesté notre sympathie active envers la résistance non violente désormais prônée par beaucoup de Palestiniens, jusqu’à ce que finissent par s’imposer les énoncés du droit international, à savoir les résolutions des Nations unies et les conventions de Genève.

Rien là, on le voit, de bien subversif. Rien qui n’admette le débat étayé et sans injure que nous appelons de nos voeux. Mais déjà trop, semble-t-il, pour la chambre d’enregistrement des sectarismes dominants qu’est devenue l’Ecole de Jaurès, de Péguy et de Brossolette.

Régis Debray, écrivain (ENS 1960), Stéphane Hessel, ex-diplomate (ENS 1937)

Publié par le Monde Article paru dans l’édition du 25.01.11

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