Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > La Vengeance des oliviers, ou, lorsque Yishaï donne raison à (...)

Source : Medialibre

La Vengeance des oliviers, ou, lorsque Yishaï donne raison à MediaLibre

Lundi, 13 décembre 2010 - 16h18

lundi 13 décembre 2010

================================================

Les drames comme celui du Carmel sont toujours des catastrophes et des épreuves. Des catastrophes pour ceux qui conduisent un peuple et une nation. Et des épreuves pour ceux qui doivent faire face à la perte d’un être cher. À l’évidence, lors de cette tragédie, l’État hébreu a eu droit aux deux.

L’autre question qui vient, tôt ou tard, sur le tapis est, généralement, la suivante : le drame pouvait-il être évité ? En l’occurrence, oui et non. Non, dans le mesure à l’étendue d’un désastre naturel de ce type est, toujours, difficile à prévoir, donc à juguler.

Oui. Mais, encore eut-il fallu qu’Israël disposât des moyens matériels pour faire face au drame. Or, comme l’a écrit le site de la CAPJPO-EuroPalestine, « Surarmé, fier de ses innombrables engins de destruction massive, du F-16 aux Apache en passant par les drones sophistiqués et les sous-marins nucléaires, l’État d’Israël s’est retrouvé jeudi à la merci d’un feu de forêt meurtrier dans le nord du pays ».

Passons rapidement sur le fait qu’Apache et drones peuvent difficilement être répertoriés comme des « engins de destruction massive » et que les F-16I Soufa ne le sont qu’en fonction de leur affectation. Il n’en reste pas moins que la première puissance militaire conventionnelle de la région (et la seule nucléaire, à ce jour) a offert un spectacle saisissant à ses habitants : une sous-capacité quasiment quart-mondiste en matière de lutte anti-incendie. Mais pas seulement.

« L’incurie a un responsable », a, aussitôt écrit Alex Fishman du Yediot Aharonot, notant qu’« Hier, les services de sapeurs-pompiers ont été incapables de faire face à l’incendie qui, même s’il était étendu, n’a frappé qu’une seule région. Qu’aurions nous fait si des dizaines ou des centaines de missiles frappaient plusieurs régions du pays, y compris des centres urbains où se trouvent des immeubles élevés ? Qui en Israël est capable de faire face à une telle situation ? »

Et Axel Fishman de poursuivre : « Depuis des années, les autorités militaires nous racontent des histoires sur les préparatifs de la défense civile face à une attaque de missiles. Hier, nous avons eu la véritable réponse : Nous n’avons pas de véritable dispositif national de lutte contre les incendies ».

Réveil douloureux, que nous comprenons. En revanche, nous avons un peu de mal à suivre notre estime confrère lorsqu’il tente de nous persuader que « Cette incurie a un responsable qui hier s’est fait très discret. Il connaît bien la situation désastreuse des services de sapeurs-pompiers. Son nom est Eli Yishaï et il est le ministre de l’Intérieur responsable de ces services ».

Certes, « Il y a six mois, M. Yishaï, a reçu l’ébauche d’un rapport du Contrôleur de l’État sur les services de lutte contre les incendies. Ce rapport sera publié dans les prochains jours. Si Yishaï reste en poste après la publication de ce rapport, cela signifiera que la notion de responsabilité ministérielle a perdu toute signification ».

Mais, comment ne pas noter que l’état désastreux dont souffrent les services ad hoc :

1. Est bien antérieur à la nomination d’Eli Yishaï au poste qu’il occupe.
2. Qu’on voit mal ce qu’aura pu faire de si miraculeux, le sieur Yishaï, en si peu de temps.

Quelque peu acculé dans les cordes, Eli Yishaï a demandé l’ouverture d’une enquête. Il demande aussi à ce que l’enquête ne fasse pas l’impasse sur le ministère de l’Intérieur dont il a la responsabilité. Des voix se sont d’ailleurs déjà élevées pour demander sa démission.

Dans une interview accordée à Ran Binyamini sur Reshet-Bet, Eli Yishaï a déclaré « ne pas fuir devant ses responsabilités », insistant sur le fait que « plus d’une fois en conseil des ministres », il avait « mis en garde » contre le manque de préparation et d’équipement adéquat des forces de pompiers, ceci en raison « des budgets ridicules leur étant alloués » par le Trésor. Et de rappeler que « dans tout Israël », il n’y a « pas un seul avion de type Canadair ». Manquement dénoncé de manière récurrente dans les rapports annuels du Contrôleur de l’État qui font, pourtant, le régal des media.

Yishaï prétende « avoir souvent alerté » le gouvernement en indiquant que les Pompiers, en Israël, sont parmi les « moins performants » au monde et qu’ils n’étaient, de toute façon, « pas en mesure » de faire face « à des cas de figure de catastrophe » comme celle qui s’est abattue sur le Carmel. Eli Yishaï a ajouté que le supplément budgétaire dernièrement accordé aux soldats du feu, 100 millions de shekels, ne représentait que le cinquième de la somme minimale nécessaire.

La presse israélienne n’a pu que confirmer l’extrême faiblesse des effectifs de la Protection civile. Faute d’un budget digne de ce nom, dans un pays qui affiche, d’un autre côté, les plus fortes dépenses militaires par habitant du monde, le Corps des sapeurs pompiers israéliens ne compte que 1.200 membres, soit 1 professionnel pour 6.000 habitants, alors que l’OCDE, le club des pays industrialisés auquel Israël vient précisément d’accéder, recommande 1 pompier pour 1.000 habitants.

À titre de comparaison, la France, certes dix fois plus peuplée, compte 50.000 pompiers professionnels, auxquels s’ajoutent plus de 200.000 bénévoles ayant reçu une formation à la lutte contre le feu.

Ivre de sa puissance quand il s’agit d’écraser ses voisins sous les bombes et la mitraille, Tel-Aviv se révèle, aussi, incapable de protéger efficacement sa propre population face à une catastrophe naturelle.

L’incendie, qui faisait toujours rage vendredi 24 heures après le départ de feu, a déjà, fait une quarantaine de morts – des membres, encore en formation, de l’administration pénitentiaire, dont le bus est tombé dans le brasier courant les pentes du Mont Carmel – tandis que des milliers d’habitants étaient évacués en hâte. Les gardiens étaient, justement, en route pour procéder à l’évacuation de deux prisons menacées par les flammes. Sites où sont, notamment, détenus des prisonniers palestiniens.

Que nous dit, par exemple, Yonathan Alexander,dans Un Echo d’israel, de l’état de la lutte anti-incendie ? Oh, simplement, ceci que « Sur 26 pays développés membres de l’OCDE, Israël arrive en dernière position sur le nombre de pompiers par habitant. On compte seulement 3, 6 soldats du feu pour 1.000 habitants alors qu’au Japon on en dénombre 57 (…) En Israël, 1250 pompiers de métier sont mobilisables à tout instant soit 160 pour un million d’habitants. Aux Etats-Unis, on dénombre 1.000 pompiers pour un million d’habitants et en Grèce pas moins de 800 ».

Et les pompiers volontaires ? Là, on frise l’indécence. Car si « En Israël comme dans les autres pays occidentalisés, des bénévoles viennent prêter main forte aux pompiers de métier. Le seul point noir est qu’ils ne sont que 800 chez nous alors qu’en France ils ne sont pas moins de 200.000 et en Allemagne un demi-million soit, par million d’habitants, 100 fois plus qu’en Israël ».

Question moyens, le tableau est aussi dramatique. En effet, si « L’Australie ne possède pas moins de 90 Canadair alors qu’Israël, n’en a aucun et ce malgré les risques importants d’incendies de forêts ».

Au sol, la situation n’est pas plus reluisante que dans les airs. Ainsi, « …le matériel mis à la disposition des pompiers est plus que vétuste et insuffisant. Pour 100.000 habitants, on ne compte que 3, 6 véhicules. Les stations des pompiers de la ville d’Arad dans le désert du Néguev n’a qu’un véhicule et celle de la ville balnéaire d’Eilat, n’en possède que… deux. En Croatie, on dénombre 40 véhicules à incendie pour 100.000 habitants et en Allemagne 49 ».

Dès la sortie du shabbat, le Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu, a fait un nouveau point de la situation depuis le QG opérationnel installé dans des locaux de l’Université de Haïfa,

« Cette catastrophe est unique dans ses proportions. Il est vrai que des événements équivalents se sont produits dans d’autres pays, en Russie, aux États-Unis, en Grèce et un peu partout ailleurs. Elles ne sont pas toujours dues à un allumage négligent ou intentionnel. Dans les grands incendies, beaucoup de forces doivent coordonner leurs actions. Il faut une intervention aérienne. Les forces terrestres ne sont pas en mesure de contenir de tels foyers ».

Nétanyahu a rappelé avoir lancé un appel à l’aide à la communauté internationale et que « cela n’avait rien d’humiliant », dans la mesure où Israël avait apporté son assistance « à maintes reprises » à « d’autres pays en difficulté ». C’est ainsi que des équipements divers sont arrivés en Israël dès le vendredi.

Le Premier ministre israélien a également fait part de son intention de fournir plus de moyens aux soldats du feu : « Nous devons modifier nos possibilités d’affronter de pareilles situations. Nous devons faire l’acquisition de nombreux avions spécialement conçus et équipés pour traiter les grands incendies. Nous nous sommes déjà penchés sur la question. Il faut investir au minimum cent millions de shekels pour renouveler les équipements dont disposent les pompiers. Il faut également restructurer le système ».

Mais, au fait, la catastrophe naturelle était-elle si naturelle que cela ?

Pas vraiment. Du moins à en croire l’intellectuel de gauche, Gilad Atzmon, qui y a également vu « la responsabilité historique du projet sioniste ». Ainsi, note-t-il, « l’agence foncière du sionisme, le KKL[1] n’a eu de cesse, depuis des décennies, de planter des arbres au fur et à mesure qu’il dépossédait les Palestiniens de leurs terres ».

Arrachant les oliviers, le KKL a planté principalement des pins, pour effacer à jamais toute trace des villages palestiniens, prorement rasés, et pour affirmer, en plein Proche-Orient, que le projet sioniste était d’essence occidentale. « Il fallait que nos paysages ressemblent à la Suisse », résume avec tristesse Gilad Atzmon. Sauf que dans une région où il peut faire 31°C à l’ombre un 2 décembre, comme c’était le cas à Haïfa, même la « Suisse » peut brûler.

Les oliviers auraient-ils sauvé le Carmel ? Probablement pas. En tout cas, il n’auraient pas brûlé de la même manière. Et leur présence eût ralenti la propagation des flammes. Un mépris des hommes – pensons, ici, aux dizaines et dizaines de paysans palestiniens tirés comme du gibier d’eau par des colons, made in USA, totalement étrangers aux réalités environnementales pluriséculaires de la Palestine – et de la terre. Terre qui a su faire payer aux hommes leur folie et leur ignorance.

Notes

[1] Keren Kayemet Ley’Israel, ou Fond National Juif