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Interview de Francis Wurtz , Président de la GUE/NGL au Parlement européen

Le rapport qu’a tenté de dissimuler l’Union européenne

Une atteinte au droit à l’information

samedi 31 décembre 2005

Jérusalem : l’UE cache l’annexion - Pierre Barbancey - l’Humanité

publié le jeudi 29 décembre 2005

Des diplomates européens dénoncent dans un rapport la politique israélienne d’annexion de Jérusalem. L’UE a renoncé à le publier. L’Humanité en révèle le contenu.

Depuis plusieurs mois, les diplomates de l’Union européenne en poste à Jérusalem et à Ramallah travaillaient à la rédaction d’un rapport rendant compte de la politique d’Israël dans le secteur du grand Jérusalem.

Un long rapport sans ambiguïté (accompagné d’un résumé et de recommandations rédigés par les diplomates eux-mêmes, et que nous publions en page 4) mais qui n’a pas été rendu public.

La stratégie israélienne du fait accompli est ainsi décortiquée et montrée au grand jour. Pour la première fois un texte émanant de diplomates met bout à bout l’expansion des colonies en Cisjordanie, la construction du mur dit de séparation ou de sécurité, les destructions des maisons palestiniennes à Jérusalem-Est, pour aboutir à la conclusion qu’ « il s’agit là d’une politique israélienne délibérée - l’achèvement de l’annexion de Jérusalem Est » , que cela « réduit les perspectives d’aboutir à un accord sur le statut final de Jérusalem qui soit acceptable par les Palestiniens » et que « les initiatives d’Israël radicalisent une population palestinienne de Jérusalem qui était jusqu’à présent relativement paisible ».

Il y a donc bel et bien une cohérence dans les actes gouvernementaux israéliens qui n’ont rien à voir avec la situation sécuritaire mais ne sont rien d’autre que la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens.

les palestiniens méprisés
Le désengagement de la bande de Gaza, au mois d’août, est également à replacer dans ce contexte. Ariel Sharon a bien compris que le rêve d’Eretz Israël n’était plus à l’ordre du jour, du moins dans sa forme biblique. Rendre aux Palestiniens la bande de Gaza, qui n’est d’aucun intérêt économique pour Israël, a permis au premier ministre d’apparaître aux yeux de l’opinion publique internationale comme un homme de paix, faisant ainsi oublier que ce désengagement a été opéré de manière unilatérale, c’est-à-dire sans aucune concertation avec les Palestiniens. En conséquence, caché derrière ces lauriers factices, Sharon a poursuivi sa politique d’annexion, au mépris du droit international, des recommandations de la Cour internationale de justice, des résolutions de l’ONU et même de ses propres engagements dans le cadre de la « feuille de route » élaborée sous l’égide du « quartet » (États-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies).

Les diplomates notent ainsi à propos du mur que son « tracé isole Jérusalem-Est et ses 230 000 résidents palestiniens de la Cisjordanie (il sépare davantage les Palestiniens entre eux que les Palestiniens d’avec les Israéliens) », et que le mur « n’est pas seulement motivé par des considérations de sécurité ». Son tracé coupe « les 230 000 résidents de Jérusalem-Est de la Cisjordanie ».

Or, soulignent les auteurs, « la viabilité d’un État palestinien dépend en grande partie de la préservation des liens entre Jérusalem-Est, Ramallah et Bethléem - en Cisjordanie ».

De même, « la colonisation à l’intérieur de Jérusalem-Est continue à un rythme rapide. Il y a actuellement environ 190 000 colons israéliens à Jérusalem-Est ». Bref, Sharon peut bien parler de la création d’un État palestinien, lorsqu’on regarde la carte des colonies et de la construction du mur (voir ci-après) on comprend que cela signifie pour lui la réunification administrative mais pas géographique de territoires morcelés sans aucune viabilité économique.

une véritable bombe politique
Ce rapport des diplomates en poste à Jérusalem et à Ramallah est une véritable bombe politique et met l’Union européenne devant ses responsabilités. Mais, en fait de responsabilité, c’est, une fois de plus, la lâcheté qui l’a emportée. Le 12 décembre, l’UE renonçait à publier ce rapport critique sur la présence israélienne à Jérusalem-Est.

Pour le secrétaire au Foreign Office, Jack Straw, dont le pays préside l’UE jusqu’à la fin de la semaine, « le paysage politique a changé en Israël, il y a une élection législative prévue dans les prochains mois. Donc nous avons pensé qu’il était approprié de ne pas entériner ou publier ce document, mais plutôt de continuer à faire nos recommandations par la voie normale ».

Il y a un mois, les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Cinq estimaient pourtant qu’il n’y avait rien à cacher et avaient annoncé la publication du document. Javier Solana, le haut représentant pour la politique extérieure de l’Europe, ancien secrétaire général de l’OTAN, n’est pas pour rien dans cette décision.

Il a expliqué aux ministres, sans rire, que l’influence de l’Europe sur Israël serait largement compromise si le rapport était publié (sic !) D’ailleurs, le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Mark Regev, a qualifié cette décision de « juste », ajoutant : « Il ne fait aucun doute qu’il y a une nouvelle atmosphère dans les relations entre l’Europe et Israël. Je suis sûr que le désengagement fait partie de cette relation, et je pense que les Européens ont pris la décision de plus s’impliquer dans la région. » C’est ce que Solana appelle sans doute l’influence européenne.


« Forcer l’UE à prendre position »
Pour le communiste français Francis Wurtz, président du groupe GUE-GVN au Parlement européen, l’inertie de Bruxelles est inacceptable. Entretien.

P.B. Comment réagissez-vous à la décision officielle de ne pas publier le document remis aux ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ?

Francis Wurtz. C’est scandaleux. Jack Straw, chef de la diplomatie britannique, a annoncé cette décision en expliquant que plusieurs États estimaient que la proximité d’élections dans la région leur interdisait de publier ce texte. C’est l’illustration que, pour eux, au centre de toutes les intentions de la politique proche-orientale de l’Union européenne se trouve Israël mais pas la Palestine ; il y a le pays occupant mais pas le pays occupé.

Or il y a des élections dans les deux pays, c’est donc un argument totalement fallacieux. Mais, concernant ce rapport, ce n’est pas la première fois que des diplomates sur place font preuve d’une très grande lucidité ; certains d’entre eux sont même indignés de l’inertie de Bruxelles. Au Proche-Orient, pas de politique, c’est la politique du pire. Il y a quelques semaines, les élections municipales palestiniennes ont vu la victoire du Hamas. Le seul commentaire de Javier Solana, haut représentant de la politique extérieure de l’UE, a été de dire que si les élections législatives de fin janvier confirmaient cette tendance, l’UE devrait réfléchir à sa politique d’aide à la Palestine. Ce qui est un comble. Cette attitude est malheureusement une tendance de plus en plus accentuée de l’UE vers une démission à l’égard de ses responsabilités, et en particulier à l’égard de celles qu’elle a prises sur la « feuille de route » avec l’ONU, les États-Unis et la Russie dans le cadre du « quartet ».

P.B Qu’est-ce que le rapport lui-même vous suggère ?

Francis Wurtz. Il est extrêmement sain de voir des représentants européens sur place pousser un cri d’alarme sur le caractère totalement illégal - depuis 1967 et de plus en plus accentué - de l’annexion de Jérusalem, et s’insurger contre l’acceptation de ce fait accompli qui est une violation flagrante, historique, répétée et durable du droit international. Il faut prendre le relais de leur acte légitime et courageux, et briser le mur du silence du Conseil européen.

P.B Que peuvent faire les parlementaires européens ?

Francis Wurtz. Le Parlement européen, en matière de politique étrangère, n’a pas à proprement parler de pouvoirs ni de prérogatives. En ce domaine, c’est le Conseil qui intervient. Nous n’avons qu’un pouvoir d’influence.

On se souvient, il y a trois ou quatre ans, du vote majoritaire du Parlement en faveur de la suspension de l’accord d’association UE-Israël, qui n’avait pas été suivi par le Conseil. Nous étions en échec, mais en même temps cela a eu une répercussion politique considérable.

Encore aujourd’hui, elle reste une résolution de référence. Mais il faut que nous utilisions le poids que peuvent représenter les opinions publiques vis-à-vis des gouvernements qui bloquent en se saisissant de l’affaire. Pour ce qui est du groupe GUE-GVN, lorsque nous avons su quy avait rétention du document par le Conseil, nous avons vu les parlementaires les plus engagés sur la question, issus de groupes politiques de tous horizons.

Le groupe GUE-GVN va prendre l’initiative, dès la rentrée, d’un appel large de parlementaires, public bien sûr, exigeant du Conseil qu’il publie ce document et qu’il prenne position. C’est essentiel, surtout dans la situation actuelle, où le désespoir gagne chez les Palestiniens et où le filet d’espoir qui résidait dans l’acteur extérieur que doit être l’UE face à Israël et aux États-Unis se dissipe de plus en plus.

Il faut adopter la position inverse de celle pratiquée par l’Union européenne puisqu’en ce domaine - contrairement à beaucoup d’autres -, l’unanimité est de rigueur pour n’importe quelle initiative, c’est-à-dire qu’il n’y en a aucune. Et on retombe dans cette vieille impunité, insupportable, dont bénéficie le gouvernement israélien, qui est le seul à pouvoir échapper au droit international sans que personne ne réagisse. Mais, en revanche, dès qu’il fait le moindre pas dans un sens positif, on magnifie le geste. De fait, on banalise ces violations fondamentales et permanentes du droit international.

Entretien réalisé par P. B.

Avec l’aimable autorisation du journal et du journaliste.

Pierre Barbancey

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