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Par Michel Warschawski

Où en est le mouvement israélien contre l’occupation ?

Mercredi, 4 août 2010 - 16h46

mercredi 4 août 2010

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Bien que les manifestations du 4 juin aient été plus nombreuses que celles de ces dernières années, le mouvement pacifiste en Israël traverse une crise depuis le début de la décennie. Si les militants restent présents, ils trouvent beaucoup plus difficilement écho dans l’opinion publique modérée.

Quatre à cinq mille personnes ont participé à la manifestation du 5 juin à Tel Aviv qui, traditionnellement, commémore le jour anniversaire de l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan. Un bon score si on le compare aux années précédentes où nous étions en général entre 1 000 et 2 000. D’autant plus que, la veille, plusieurs centaines d’Israéliens s’étaient joints à plus d’un millier de Palestiniens pour manifester à Beit Nuba-la Neuve, du nom d’un des villages palestiniens de la Poche de Latroun rasés au lendemain de la guerre de Juin 1967.

Certes, l’impact de la crise internationale provoquée par la flottille Free Gaza est pour beaucoup dans la participation relativement élevée à la manifestation de Tel Aviv. Nombreux sont les modérés israéliens qui réalisent que la politique de l’extrême droite au pouvoir risque de mener l’État d’Israël à la catastrophe, et que son isolement international risque d’avoir de graves répercussions à moyen terme et certainement à long terme. Ce qui (re)motive les pacifistes modérés c’est, en premier lieu, la crise avec l’administration nord-américaine  : on peut se fâcher avec le monde entier tant que les relations avec la Maison Blanche restent au beau fixe, mais si des nuages s’accumulent au-dessus de l’alliance stratégique qui lie les deux pays, il y a lieu de se faire du souci.

Cela dit, le mouvement dit pacifiste n’est pas encore sorti de la crise structurelle dans laquelle il se trouve depuis 2 000. Dès son apparition, au cours de la première guerre du Liban en 1982, le mouvement de la paix était fait de deux composantes, ce que le journaliste Uri Avneri appelle «  le mécanisme de la grande roue et la petite roue  ». La petite roue est constituée par les organisations militantes, motivées par la défense du droit et des droits, actives en permanence contre la politique de guerre et de colonisation des divers gouvernements israéliens. Dès qu’une nouvelle agression est perpétrée, ses composantes diverses se mobilisent pour réagir et protester. Le plus souvent ensemble, dans le cadre de la coalition contre l’occupation ou contre la guerre ou contre le siège de Gaza, selon l’enjeu immédiat. Cette aile, que l’on appelle parfois «  radicale  », du mouvement de la paix est composée des organisations de femmes pour la paix, du mouvement Gush Shalom, des partis de gauche, d’ONG comme les Rabbins pour les droits de l’homme ou le Centre d’information alternative, ainsi que de groupes militants plus jeunes comme les Anarchistes contre le Mur. Elle peut mobiliser plusieurs milliers de manifestants.

La grande roue est – ou, plutôt, était – composée d’une partie de l’opinion publique modérée qui craint les implications politiques, diplomatiques et morales de la politique de guerre et d’occupation, même si une de ses caractéristiques est précisément de commencer par soutenir l’effort de guerre / répression et le discours sécuritaire qui le sous-tend. Elle était fortement représentée dans les partis de centre-gauche (Parti travailliste, Meretz) et pouvait donc avoir un poids réel sur les décisions politiques.

La petite roue qui met, petit à petit, en branle la grande roue, c’est bien là le mécanisme du mouvement de la paix israélien. Et ce mécanisme a été d’une grande efficacité entre 1982 et 2000  : c’est lui qui a créé les conditions du retrait du Liban après le fiasco de 1982-1984  ; c’est lui qui a forcé la main du gouvernement israélien pour reconnaître l’OLP et ouvrir les négociations d’Oslo et de Washington.

Où en sommes-nous, aujourd’hui  ?

Si la petite roue a perdu un peu de ses forces et ne mobilise plus que quelques milliers de manifestants, elle reste une réalité visible et tangible dans la politique israélienne et, comme l’a montré la manifestation du 5 juin, maintient ses positions. Le problème, c’est la disparition de la grande roue, que représentait en particulier la Paix Maintenant. Si la présence, acquise depuis deux ans, d’un représentant de la Paix Maintenant aux réunions du collectif national des organisations qui luttent contre l’occupation et la guerre, et la participation de ce mouvement aux manifestations unitaires sont des avancées symboliques dans l’unité d’action contre la politique gouvernementale, elles marquent cependant la groupuscularisation d’un mouvement qui avait une base de masse et pouvait mobiliser des dizaines de milliers de personnes. La Paix Maintenant n’est plus qu’un groupe parmi d’autres, comme le Gush Shalom ou Ta’ayush, bien moins significatif que le comité d’action contre la colonisation, Cheikh Jarah ou que les Anarchistes contre le Mur.

Il reste, évidemment, à expliquer cette disparition d’un mouvement qui avait pourtant joué un rôle essentiel sur la scène politique israélienne. Celle-ci est due à la conjonction de deux facteurs  : le grand mensonge d’Ehoud Barak, en août 2000 et le 11 septembre. En août 2000, Barak est revenu du sommet de Camp David en affirmant que tous ceux qui avaient cru – et, en particulier, Yitzhak Rabin – qu’Israël avait un partenaire pour négocier une paix israélo-palestinienne en la personne de Yasser Arafat se trompaient gravement. Lui, Ehoud le Grand, avait les preuves que derrière la soi-disant modération du leader de l’OLP se cachait un plan diabolique d’éradication d’Israël. Venant d’Ehoud Barak, qui avait été élu sur un programme de paix, c’étaient, pour les pacifistes israéliens, des paroles d’Évangile. Deux ans plus tard, ce misérable personnage reconnaîtra qu’il avait menti  ; mais c’était trop tard car, entre-temps, il y avait eu le 11 septembre qui confirmait, après coup, qu’Israël se trouvait en première ligne d’un clash des civilisations entre l’Islam et l’Occident judéo-chrétien, et que la guerre préventive menée à partir d’août 2000 par le trio néoconservateur Netanyahou-Barak-Sharon était indispensable.

Les deux victimes du grand mensonge de Barak furent son propre parti, devenu groupusculaire au détriment d’une droite extrême, hégémonique dans l’opinion publique et à la Knesset, et la Paix Maintenant qui, en quelques jours, a disparu du paysage politique israélien, après que tous ses dirigeants et porte-parole eurent publiquement fait amende honorable et demandé pardon à la droite qui avait vu juste sur la véritable nature du mouvement national palestinien et ses plans éradicateurs.

Cette disparition de la Paix Maintenant que le journaliste israélien Guideon Levy considère comme irréversible change évidemment le rôle de l’aile dite radicale du mouvement qui, de catalyseur d’une mobilisation de masse pouvant peser sur les décisions politiques nationales, redevient un mouvement cantonné dans la protestation et la dénonciation.

Il faut souligner, en outre, un second changement majeur et négatif dans le mouvement anti-occupation  : la cassure entre Juifs et Arabes. Depuis 1982, la force du mouvement antiguerre et anti-occupation, à la fois d’un point de vue quantitatif et d’un point de vue symbolique, était le résultat d’une mobilisation judéo-arabe commune. Dans toutes les grandes manifestations, des milliers – parfois des dizaines de milliers – d’Arabes se mobilisaient aux côtés des militants anticolonialistes juifs. C’était d’ailleurs une des différences avec les rassemblements de la Paix Maintenant qui étaient composés presque uniquement de juifs… et de sionistes, comme ses porte-parole aimaient le souligner.

Depuis 2000, les Palestiniens d’Israël ne viennent plus manifester à Tel Aviv  ; c’est dans leurs villes et leurs villages qu’ils se mobilisent (50 000 personnes à Nazareth lors de l’agression contre Gaza, il y a un an et demi), ce qui explique, en partie, les dimensions modestes des manifestations dites «  nationales  », qui deviennent de plus en plus des initiatives de militantEs juifs uniquement.

Cette cassure doit nous interpeller, car elle montre que la politique de séparation ethnique a également contaminé le mouvement anticolonialiste, contribuant ainsi à son affaiblissement.

Contrebalancent, dans une certaine mesure, ce recul, les liens étroits qu’a réussi à créer la nouvelle génération militante. Que ce soit à Bil’in, à Cheikh Jarah ou à Silwan, jeunes militants palestiniens et israéliens ont su, à travers leur propre chemin, créer une coopération forte qui, contrairement aux générations précédentes, s’est forgée dans l’action plutôt que sur un travail idéologique et programmatique. En ce sens, elle est dans l’esprit de notre temps et participe de cette nouvelle dissidence qui a émergé, il y a une décennie, à Seattle et a été le socle sur lequel se sont développés les forums sociaux. En ce sens, malgré ses spécificités, l’état du mouvement anticolonialiste israélien n’est pas très différent de celui du mouvement social global.