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Rubrique quotidienne « les prisonniers »

Je vois, je me souviens.....................

Provenance : Al Faraby

lundi 12 décembre 2005

PRISONNIER

Je vous écris d’un endroit d’où je ne peux pas voir le ciel. Au plafond, il y a une ampoule qui m’éclaire faiblement. La clef dans la serrure fait un bruit qui m’est familier. J’ai toujours froid, de moins en moins d’appétit et de sommeil.

La douleur envahit mon squelette et dans ma tête, les souvenirs me ramènent à la vie. Je vois surtout des visages et des paysages. Mon exercice préféré est de m’attarder sur l’un d’eux, pendant une minute, une heure ou des journées ou des nuits entières.

Le temps ne compte pas.

Je plonge dans les moindres détails du front, des yeux, des oreilles, du nez, des lèvres, des joues ... Je recompose tout le visage et le replace à tous les endroits qui me sont connus. Dans la cuisine ou dans la salle à manger ou dans la chambre à coucher ou dans une rue ou sur la place du marché.

Je le vois sourire ou s’interroger ou s’étonner ou s’émerveiller ou parler ou quelque fois pleurer.
Je vois alors chaque larme couler. La chaleur de chacune me brûle la tête jusqu’à l’ivresse. Chacune charrie avec elle une infinité de souvenirs de profondes tristesses comme de grandes joies.

Je vois les larmes du deuil, de la séparation finale. Celles qui jaillissent abondamment et qui étranglent la voix. Celles qui vont arroser les lèvres tremblantes au-dessus de l’autre visage figé dans l’éternité. Celui de l’unique enfant que j’aurai à peine connu.

Je vois les larmes du bonheur, de l’amour secret et de l’extase. Celles qui surprennent et qui font rire. Celles qu’on partage dans une étreinte sans retenue.

Je me souviens du jour où, pour la première fois, j’ai pris sa main. A cet instant précis, elle a fermé les yeux !

C’est, il y a bien longtemps, je me souviens comme si c’est hier, ou même il y a un instant.
Je fixe alors ma main. Je l’ouvre sur le vide. Mes doigts me font mal. J’ai froid. Je la referme très lentement pour amortir la douleur, celle de ne pas rencontrer l’autre main.

J’entends un bruit qui m’est familier.

Je dois vous quitter.

J’entends, dans la serrure, la clef tourner....