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En mémoire de quatre jeunes Palestiniens tués la semaine dernière : Muhamad Awarta, Salekh Kwrick, Muhamad et Usaid Kadus.
« Les abrutis engendrent des insectes »
Lundi, 29 mars 2010 - 19h05
lundi 29 mars 2010
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Par Nurit Peled Elhanan
Ici, en Israël, la façon dont nous traitons les enfants palestiniens a longtemps été guidée par l’adage : « Les abrutis engendrent des insectes ». Certains le disent ouvertement, d’autres partagent ce point de vue en silence. Il n’y a pas de mois sans que plusieurs enfants palestiniens soient tués sous des prétextes douteux, que personne ne comprend, jusqu’à ce qu’un journaliste suédois essaie de deviner et que toute la grosse artillerie soit déployée pour le faire taire. La plupart du temps les Autorités d’Occupation s’arrangent pour falsifier l’âge des petites victimes et pour leur prêter des intentions criminelles ou subversives et, quand rien de tout cela ne marche, ils s’excusent eux-mêmes comme des joueurs de ping-pong en disant « Oh, désolé ! ». Et cette fois encore, les experts en meurtres de l’Armée israélienne ont dit : « Peut-être que ça aurait pu être arrangé autrement ! »
Peut-être !! En Vérité ! Dans la presse israélienne les enfants palestiniens sont toujours décrits comme une terrifiante menace surgissant de toutes parts : d’en-haut, d’en bas, ou en face des soldats qui tirent, lesquels soldats, ne l’oublions pas, sont armés de pied en cap comme des « robotcops », mais sont décrits dans les rapports de presse comme des jeunes perdus, frappés de terreur lorsqu’ils sont confrontés à des enfants en T-shirts en route pour le travail des champs avec leur binette, ou font face à des enfants qui les attaquent avec des frondes, Goliath hurlants confrontés à des David fluets, agiles et inébranlables qui obstinément insistent pour continuer à vivre en dépit de ce que nous leur avons déjà expliqué des milliers de fois.
La fumée flottant au-dessus de Gaza massacrée et ensanglantée n’est pas encore dispersée et les voilà de nouveau sortant aux champs pour la récolte. De nouveau ils ont l’air d’attaquer ou de vouloir attaquer, rêvent d’attaquer ou semblent attaquer quand ils lèvent une fourche pour faire les foins ou simplement énervent nos soldats par leur présence même. Nos soldats, héroïques, adultes, responsables, qui déambulent avec des armes effrayantes dans les rues de la ville et tous les lieux publics sont décrits dans les communiqués de presse qui rapportent les meurtres comme manquant de jugement, glacés d’épouvante, ou comme des meurtriers sans cœur, sans conscience et sans intelligence qui ne savent pas comment expliquer et ne jugent pas que ce soit nécessaire, et qui ne savent pas quoi faire, en bref qui ne savent pas.
Comme dans le film « Valse avec Bachir », comme dans le film « Juste pour voir si je souris », comme dans les innombrables témoignages de soldats traumatisés, ils se demandent juste ce qu’ils sont venus faire là. Ils m’ont posté là, alors j’ai tiré, alors j’ai bombardé, alors je les ai fouillés, alors j’ai cassé les manifestations, alors j’ai obéi, alors j’ai tué. Parce que j’avais peur, j’avais terriblement peur, de loin on avait l’impression qu’ils tenaient des pierres, des frondes, des fourches ou quelque chose comme ça, comment pourriez-vous savoir, comment pourriez-vous voir avec ce casque qui vous tombe sur les yeux, avec la sueur qui vous coule dans les yeux, mais je ne suis pas coupable, parce que… pourquoi m’ont-ils posté là ?
Et les enfants morts dont le sang irrigue les champs ? Dont le sang crie depuis la profondeur de la glaise ? Dont les cris de mort ne seront pas étouffés par un millier de colonies, en l’honneur de qui on ne déplacera pas le moindre projet immobilier. Mais il est presque sûr que leurs corps seront recouverts de vastes immeubles destinés à des colons qui ne veulent rien connaître de leur histoire mais qui chanteront et danseront sur leur sang encore et encore pour tenter de le faire taire. Seuls ces enfants morts qui sont allés rejoindre ma propre petite fille dans ce Royaume souterrain des enfants morts sur lequel ce pays du béton se construit sans arrêt, eux seuls savent que Satan n’a pas encore créé la vengeance pour le sang d’un petit enfant *. Eux seuls savent que toutes les danses et les chants, que les marches et les drapeaux, les tanks et les bulldozers et les lois racistes et liberticides qui apparaissent chaque jour subrepticement, ne laveront pas le sang que nous avons sur les mains, le sang des enfants bruns en T-shirts, presque morts de faim, qui se lèvent chaque matin en quête de travail, en quête de leur pain quotidien, en quête d’un peu de dignité sans jamais renoncer. C’est leur vengeance. Que leur mémoire soit bénie.
*« Une telle vengeance, la vengeance pour le sang d’un petit enfant / Satan ne l’a pas encore créée » du poème « Sur le Massacre » composé par le poète Hébreu Haïm Nahman Bialik pour commémorer les victimes du pogrom de Kishinev en 1903.
Traduit de l’Anglais par Roseline Derrien
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