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Le seul témoin nommément cité dans l’enquête sur l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais n’était pas fiable.

Rapport Mehlis J - 15

Le clan Hariri aurait manipulé un témoin clé de l’enquête

mercredi 30 novembre 2005

Le clan Hariri aurait manipulé un témoin clé de l’enquête Le seul témoin nommément cité dans l’enquête sur l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais n’était pas fiable.
G. M. 
[30 novembre 2005]

Depuis l’Arabie saoudite, où il a trouvé refuge, Mohamed Zuher al-Sadiq se manifeste en juin auprès de la commission Mehlis. Dans un premier temps, le procureur allemand accorde peu de crédit à celui qui se présente comme un membre important des services de renseignements syriens au Liban ayant des révélations à faire sur l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février à Beyrouth. Circonspect, Detlev Mehlis n’ignore-t-il pas les conclusions des premiers debriefings effectués par les services de renseignements saoudiens puis américains ? « A une forte probabilité, l’homme est un affabulateur », écrit alors la CIA, qui lâche volontiers la piste al-Sadiq.

C’est Rifaat al-Assad, l’oncle du président syrien, en exil en Europe, qui avait convaincu les Saoudiens d’accueillir le transfuge. Rifaat, qui n’a jamais renoncé à exercer le pouvoir à Damas, veut donner des gages à ceux qui entendent profiter de la liquidation d’Hariri pour changer le régime syrien. Soucieux de garder de l’influence sur Bashar, Ryad ne tient pas cependant à abriter plus longtemps un témoin peu fiable. Sadiq est alors emmené dans une des résidences de Rifaat à Marbella, aux Baléares. Nous sommes en août. Pendant ce temps, à Beyrouth, Detlev Mehlis est à la peine dans son enquête. Les témoignages abondent. Mais les preuves d’une implication syrienne dans l’assassinat d’Hariri se font plus que rares. Seconde étape de la manipulation : le clan Hariri et la commission Mehlis demandent à la France d’héberger Sadiq pour pouvoir l’interroger.

Un témoin douteux, mais utile

Courant août, « la DGSE exfiltre Sadiq de Marbella pour le transférer à Paris », raconte un policier français proche de l’enquête. Des agents l’interrogent, avant de conclure eux aussi au manque de fiabilité du témoin. Sadiq est ensuite remis à la DST, qui à son tour le questionne, puis aboutit à la même conclusion. Protégé par une équipe de policiers, Sadiq réside alors à Meudon, près de Paris.

Pour l’équipe Hariri, même douteux, l’homme est utile. « On s’en est probablement servi pour lui faire endosser des informations recueillies par ailleurs », reconnaît un membre de l’entourage de Saad Hariri. En échange vraisemblablement d’une importante somme d’argent, Sadiq accepte de recycler des renseignements qui, espère-t-on, pourraient faire avancer l’enquête. Il ne se cache guère. Fin août, hilare, Sadiq appelle son frère Imad pour lui annoncer qu’il est devenu « millionnaire », rapporte l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Pour que son témoignage paraisse crédible, Sadiq s’accuse carrément d’avoir participé au meurtre d’Hariri.

Le 27 septembre, par écrit, il confesse aux enquêteurs onusiens avoir participé à la planification de l’assassinat. Que dit Sadiq dans son témoignage, repris dans le rapport Mehlis ? Il assure avoir mis son appartement beyrouthin de Khaldeh à la disposition des conspirateurs, parmi lesquels plusieurs hauts responsables des services de renseignements syriens. Sadiq prétend également que la décision d’éliminer Hariri a été prise en Syrie, avant une série de rencontres clandestines au Liban, de juillet à décembre 2004, entre sept officiers syriens et quatre Libanais.

« Quand Sadiq parle, Mehlis n’a pratiquement rien », constate un diplomate français, qui suit l’affaire. Le procureur va utiliser les aveux de Sadiq comme une arme psychologique pour tenter un coup de bluff. Le 30 août, Mehlis demande à la justice libanaise l’arrestation de quatre responsables prosyriens des services de sécurité (Jamil al-Sayyed, Raymond Azar, Ali Hajj et Moustapha Hamdane). « Mehlis pensait que les quatre hommes allaient commencer à se déballonner », explique le diplomate.

Aucun indice matériel

Après ses aveux, Sadiq est accusé de complicité dans le meurtre d’Hariri. Le 13 octobre, à la demande de Detlev Mehlis, un mandat d’arrêt est lancé par la justice libanaise. Le 16, il est arrêté par des policiers français. Depuis, Sadiq est écroué en région parisienne. Le Liban a demandé son extradition. Mais il peut faire valoir la loi française, qui n’autorise pas l’extradition vers un pays appliquant la peine de mort, pour s’y opposer.

Qui est finalement Mohamed Zuher al-Sadiq ? Un petit escroc, chauffeur d’un général syrien qui venait régulièrement à Beyrouth. Sur place, l’enquête montre que ses dires ne sont corroborés par aucun indice matériel (type empreinte digitale) retrouvé dans son appartement.

Dans ces conditions, pourquoi la DGSE a-t-elle « traité » Sadiq, alors qu’elle avait reçu des notes de la CIA le disqualifiant ? « L’ordre est certainement venu d’en haut », affirme le diplomate. Sous-entendu : de Jacques Chirac lui-même, qui veut aider la famille Hariri à découvrir la vérité sur l’assassinat de son ami.

Les fausses allégations de Sadiq pourraient être à l’origine du retrait in extremis des noms de Maher al-Assad et Assef Chaoukat, le frère et le beau-frère de Bashar, du rapport d’enquête remis à l’ONU par le procureur allemand fin octobre. Une reculade qui avait alors surpris les observateurs.