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Par Amira Hass, Correspondant de Haaretz (en anglais en 2è partie de l’article)

Les fermiers Palestiniens sont traités comme des animaux

Samedi, 23 janvier 2010 - 9h03 AM

samedi 23 janvier 2010

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Passant inaperçu en raison du vacarme incessant venant des routes dans le district de Hébron, un Arabe anonyme est en train de commettre un crime grave : avec un petit marteau, il creuse un réservoir afin de pouvoir recueillir de l’eau de pluie sur sa terre rocailleuse. D’autres criminels de cet acabit emploient d’autres méthodes pour mener à bien leurs projets malfaisants – c’est-à-dire à préparer leur terre pour la culture de légumes, de grains, de raisins ou d’amandiers.

« Lorsque quelqu’un construit une terrasse sur sa terre, il enlève une pierre du sol et l’ajoute à un mur de soutien, une fois par moi ou une fois par semaine tout au plus, afin que le changement soit imperceptible, » explique un habitant de Hébron qui commente une des méthodes employées.

L’expérience montre que si vous utilisez des équipements lourds pour travailler la terre, cela attire aussitôt des inspecteurs de l’Administration Civile et des colons locaux, et cela est rapidement suivi par des injonctions de cesser les travaux.

Dans l’esprit du dicton populaire « Donne à un homme une canne à pêche plutôt qu’un poisson, » l’Union Européenne a consacré beaucoup d’efforts et de fonds aux fermiers Palestiniens au cours des dernières années. Les projets soutenus ont pour objectif d’augmenter le revenu des familles agricoles pauvres en leur permettant de réhabiliter leurs terres et d’étendre les superficies mises en culture. La logique de « donner à un homme une canne à pêche » respecte également l’objectif de revenir à des méthodes agricoles traditionnelles, respectueuses de l’environnement, et à des semences issues du passé de ces terres, tout en faisant le meilleur usage de l’eau – et combattant ainsi la désertification.

« Et nous étions finalement convaincus que les Palestiniens et l’établissement sioniste avaient un intérêt commun pour la zone C, qui soutient l’économie Palestinienne, et pour des projets qui conviennent aux deux parties pour ce qui est de l’environnement, »a déclaré un diplomate européen, qui a découvert qu’il s’était trompé.

Au cours des deux dernières années, l’Administration Civile à Hébron a produit des dizaines d’ordres d’arrêter les travaux destinés aux fermiers Palestiniens qui essayaient de récupérer ou d’améliorer les terres de leurs propriétés. Et c’est ainsi que les officiels européens et les représentant des pays donateurs ont découvert que les Palestiniens « n’ont pas le droit de déplacer une pierre ou de planter un arbre ou de recueillir l’eau de pluie sans l’approbation de l’Administration Civile, » comme l’a dit l’un d’entre eux à Ha’aretz.

Les Palestiniens ont plusieurs associations agricoles expérimentées qui ont été en opération depuis le début des années 1980. Elles n’avaient pas besoin que les européens inventent la roue à leur place. Mais elles ont effectivement besoin de soutien financier.

Voici comment fonctionne le système. Les européens transfèrent l’argent à des agences non gouvernementales internationales, qui sont en rapport avec les organisations locales. L’une de celles-ci est l’Union des Comités de Travail Agricole, qui est l’une des plus anciennes organisations non gouvernementales Palestiniennes. Cette organisation a reçu 2,25 millions d’euros de l’Union Européenne pour un projet de trois ans visant à récupérer et réhabiliter
2 000 dunums (200 ha) de terre agricole dans le district de Hébron. Cela implique d’enlever les rochers et les pierres, d’aplanir le sol, de construire des terrasses et des barrières de pierres, de creuser des réservoirs, et d’améliorer les routes d’accès à ces zones. Le projet concerne plusieurs centaines de familles, qui ont toutes donné leur accord à l’une de ses conditions essentielles et paient 25% du coût du travail effectué sur leur terre.

Environ 70% de la terre agricole Palestinienne est située dans des zones que le régime sioniste a défini comme la zone C, sous plein contrôle sioniste. Par conséquent, pour les organisations sans but lucratif [ « non profit » - NdT ] la réhabilitation de la terre relève de la lutte politique populaire contre son annexion par des implantations et des avant postes sionistes. Mais pour les fermiers eux-mêmes, cette bataille comporte également beaucoup de risques, que beaucoup préfèrent ne pas prendre.

A la suite du raz de marée d’injonctions d’arrêter les travaux qui arrivèrent en 2008, déclare l’officiel européen cité plus haut, il y avait beaucoup moins de fermiers qui étaient décidés à se joindre au projet de réhabilitation des terres dans la zone C. Certains avaient emprunté de l’argent pour payer pour leur part du travail. Puis sont arrivées les injonctions. Le travail s’est arrêté, mais les dettes étaient toujours là, et leurs économies sont parties en fumée. Dans plusieurs cas, l’équipement lourd acheté à tempérament pour faire les travaux a été confisqué par l’Administration Civile. Cet équipement nécessite un permis, par qu’il est considéré comme relevant d’une activité de « construction. » Leurs propriétaires se sont retrouvés sans sources de revenus pendant plusieurs mois. Certains de ceux qui avaient entrepris des travaux ont été arrêtés pendant plusieurs jours. L’Union des Comités de Travail Agricole a confirmé que plusieurs de ceux qui s’étaient engagés dans le projet ont finalement changé d’avis.

L’ordre d’arrêter arrive

Personne ne voudrait subir ce qui est arrivé il y a quatre mois à la famille de Rabi’a Jaber. E octobre 2009, les soldats des troupes d’occupation et l’Administration Civile ont donné l’assaut à la terre de la famille, de 10 dunums (1 ha), desséchée et rocailleuse. Ils ont retourné la terre et détruit le réservoir pour l’eau de pluie.

Le travail sur ce lopin de terre très rocheux, situé sur la pente de la montagne juste en face de la maison des Jaber avait commencé en mai 2008. Un grand engin de terrassement Palestinien avait enlevé et brisé les rochers, et creusé un réservoir pour recueillir l’eau de pluie, un engin plus petit avait brisé les rochers en pierres plus petites et commencé à assembler des terrasses sur la pente. La famille, qui regroupe les familles de 4 frères, et au total 35 personnes, projetait de planter des raisons, des oliviers et des amandiers, qui sont toutes des récoltes qui n’exigent pas d’irrigation. Mais en octobre 2008, alors que le travail était presque terminé, les injonction d’arrêter les travaux sont arrivées.

Selon ces injonctions, il apparaît que l’Administration Civile a décidé qu’ils envahissaient une terre qui ne leur appartenait pas, alors même que les Jaber avaient des documents indiquant qu’ils payaient les impôts dûs pour cette terre depuis l’époque de l’administration jordanienne, et que non seulement eux, mais également leurs voisins, propriétaires des lopins adjacents, avaient toujours su que c’était là leur terre.

La démolition a fait quelque bruit après que des rapports filmés et écrits soient apparus sur des sites web pro-colons. Ceux-ci ont par ailleurs identifié avec enthousiasme les partenaires des paysans touchés par cette invasion : l’Union Européenne et Oxfam (Belgique)

Khader Shibak, de Halhoul, a reçu ses injonctions de cesser les travaux en août 2008, quatre jours après avoir commencé les travaux. Depuis plus de 10 années, son frère et lui avaient planté des vignes et des amandiers. A la fin de 2000, un camp militaire a été installé en haut de la montagne. Pour ce motif, ainsi qu’en raison des restrictions au cours de l’intifada qui a commencé cette année-là, la famille a été empêchée d’avoir accès à la fois au vignoble et au verger. En 2008, le camp militaire a été enlevé, et la famille a alors décidé de récupérer et de réhabiliter ses terres, et de planter de nouveaux arbres.

Aussi bien les Jaber que les Shibaks, tous deux bénéficiaires du projet de l’Union des Comités de Travail Agricole, ont dû présenter aux autorités sionistes d’occupation les documents prouvant qu’ils étaient propriétaires des terres et qu’ils avaient le droit de les cultiver. Il s’agit là d’un processus pénible, coûteux, et qui prend beaucoup de temps, impliquant des honoraires, un avocat, des déplacements au quartier général de l’Administration Civile à Beït El, et des plongées dans les archives , avec des résultats qui ne satisfaisaient pas toujours les autorités d’occupation, avec leur définition très flexible de terres privées et de terres d’état. Les deux familles sont restées coincées au beau milieu de tout ce processus.

Hani Zema’ara de Halhoul, 56 ans, voulait réhabiliter 3 dunums (0,3 ha) de sa terre. Son travail a également été arrêté. Incidemment, notons que la terre de Zema’ara était cultivée avant 1993, mais que ses récoltes ont été détruites lors de la construction de la route de contournement de Hébron. Il avait en fait apporté tous les documents nécessaires pour prouver aux sionistes qu’il était bien propriétaire de la terre, y compris une carte détaillée de la zone et des plans établis par un géomètre tout particulièrement pour son dossier. Il a investi
3 500 sicles [ près de 700 euros – NdT ], somme qu’il ne possède pas, pour obtenir tous les papiers nécessaires ; Plus d’une année est passée, et il attend toujours son permis. Les terrasse, presque achevées, sur sa terre, se détachent dans leur aridité sur la pente de la montagne. « Pour les sionistes, lorsque nous travaillons notre terre, c’est comme si nous avions tué un sioniste, »résume un membre de l’Union des Comités de Travail Agricole.

Les officiels responsables européens impliqués dans le financement sont convaincus que l’Administration Civile est devenu plus exigeante au cours des dernières années envers les fermiers Palestiniens sous la pression des colons en général et de l’association Regavim en particulier. Regavim, qui se déclare « le mouvement pour la préservation des terres de notre nation, » développe avec frénésie son activité de recherche de « violations » Palestiniennes dans la zone C.

Un porte parole de Regavim a déclaré à Ha’aretz que l’organisation « adopte une approche très sérieuse envers le vole illégal par les Arabes de terres dans la zone C en Judée et Samarie, y
compris au moyen de cultures agricoles dont le seul but est de s’emparer des terres. »

« Regavim suit avec préoccupation l’implication croissante de pays et d’entités étrangères pour créer unilatéralement des faits sur le terrain, tout en violant les lois de l’Etat d’I*****, et portant un défi éhonté à sa souveraineté...Regavim appelle le ministère des affaires étrangères à porter un message sans équivoque aux parties internationales, et déclare qu’I***** est très bouleversé par leur comportement et exige qu’ils se retirent immédiatement. »

« Le mouvement Regavim a appris avec satisfaction que l’Administration Civile a répondu à ses demandes et a fait respecter la loi d’une manière égalitaire, ainsi que parmi les Arabes. »

A l’heure où nous publions, l’Administration Civile n’a pas répondu aux questions de Ha’aretz.

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et voici le texte en anglais :

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Fri., January 22, 2010 Shvat 7, 5770

Amira Hass / Palestinian farmers are being treated like criminals

By Amira Hass, Haaretz Correspondent

Under the cover of the incessant noise from the roads in the Hebron district, an anonymous Arab is perpetrating a serious crime : With a small hammer, he is digging a cistern so he can collect rainwater on his rocky land. Other such criminals have other methods of carrying out their evil schemes - which is to say, to prepare their land for cultivation of vegetables, grain, grapevines or almond trees.

"When someone builds a terrace on his land, he does it by taking a stone from the ground and adding it to the supporting wall once a month or once a week at most, so that it will be hard to discern the change," a Hebron resident said, explaining one of the methods.

Experience shows that if you use heavy equipment to rehabilitate the land, it immediately attracts Civil Administration inspectors and local settlers, and is followed shortly afterward by stop-work injunctions.

In the spirit of the popular saying along the lines of "Give a man a fishing rod rather than a fish," the European Union has been devoting attention and money to Palestinian farmers in recent years. These projects are designed to increase the income of poor agricultural families by allowing them to reclaim their land and expand the area under cultivation. The logic of "Give a man a fishing rod" also meets the need to return to traditional, environment-friendly agricultural methods and to heritage crop species, while making the best use of the water - thus also fighting desertification.

"And we were actually convinced that the Palestinians and Israel have a common interest : developing Area C, which supports the Palestinian economy, and projects that suit both sides in terms of the environment," said a European diplomat - who discovered he was mistaken.

Over the past two years, the Civil Administration in the Hebron area has issued dozens of stop-work orders to Palestinian farmers trying to reclaim, rehabilitate and prepare the land on their property. That is how European officials, representatives of the donor nations, discovered that Palestinians "are not allowed to move a stone or plant a tree or collect rainwater on their land without the approval of the Civil Administration," as one of them told Haaretz.

The Palestinians have several veteran agricultural associations that have been in operation since the early 1980s ; they did not need the Europeans to invent the wheel for them. But they do need financial support.

The system works like this : The Europeans transfer the money to international non-governmental agencies, which have connections with the local organizations. One of these is the Union of Agricultural Work Committees, one of the oldest non-governmental Palestinian organizations. This organization received 2.25 million euros from the EU for a three-year project to reclaim and rehabilitate 2,000 dunams of agricultural land in the Hebron district. This means removing rocks and stones, leveling the ground, building terraces and stone fences, digging cisterns, and improving the access roads to the plots. The project involves several hundred families, all of which agreed to one of its main conditions : They pay for 25 percent of the cost of the work on their land.

About 70 percent of Palestinian agricultural land is located in areas that Israel has defined as Area C, under full Israeli control. Therefore, for the non-profit organizations, reclaiming the land is part of the political, popular struggle against its annexation to Israeli settlements and outposts. But for the farmers themselves, this battle also involves many risks, which many prefer not to take.

In the wake of the flood of stop-work injunctions that arrived in 2008 , said the European official, fewer farmers were willing to join the land reclamation project in Area C. Some borrowed money in order to pay for their share of the work. Then came the injunctions. The work was stopped, but their debts remained or their savings went down the drain. In several instances, the heavy equipment leased for the work was confiscated by the Civil Administration. This equipment requires a permit, because using it is considered "construction." Their owners were left without a source of income for several months. Some digger operators were arrested for several days. The Union of Agricultural Work Committees confirmed : Some of those who were signed up for the project changed their minds.

Ordered to stop

Nobody wants to experience what happened four months ago to the family of Rabi’a Jaber . In October, Israel Defense Forces soldiers and the Civil Administration raided the family’s dry, rocky 10-dunam plot, southeast of Hebron. An IDF bulldozer scattered the stones of the terraces, turned over the ground and destroyed the cistern.

The work on the very rocky plot on the mountain slope opposite the Jaber home began in May 2008. A large Palestinian digger removed and split rocks, and dug a cistern for collecting rainwater ; a smaller digger broke the split rocks into smaller stones and began to form terraces on the slope. The family - four brothers, 35 people - planned to plant grapes, olives and almonds, all crops that do not require irrigation. But in October 2008, when the work was almost complete, stop-work injunctions arrived.

According to the injunctions, it turns out that the Civil Administration had decided that they were invading land that was not theirs, even though the Jabers had documents indicating that taxes were paid on the land from the time of Jordanian rule, and even though not only they, but their neighbors too, owners of the adjacent plots, have always known that this is their land.

The demolition made waves after written and filmed reports appeared on pro-settler Web sites. The latter also enthusiastically made a point of identifying the partners in this invasion of the homeland’s lands : the EU and Oxfam (Belgium).

Khader Shibak of Halhoul received his stop-work injunctions in August 2008, four days after he had begun work. Up until 10 years ago, he and his brother had land planted with grapevines and almond trees. In late 2000, a military camp was set up on the mountain peak. That, and the travel restrictions during the intifada that began late that year, prevented the family’s access to both the vineyard and the orchard. In 2008 the army camp was removed, and the family decided to reclaim and rehabilitate its land - and to plant new trees.

Both the Jabers and the Shibaks - both beneficiaries of the Union of Agricultural Work Committees project - were asked to show the Israeli authorities the documents proving their ownership of the land and their right to cultivate it. That is an expensive and time-consuming process that involves fees, a lawyer, trips to the Beit El headquarters of the Civil Administration, and digging through archives, with results that often do not satisfy the Israeli authorities, with their very flexible definition of state land and private land. Both families got stuck in the middle.

Hani Zema’ara of Halhoul, 56, wanted to reclaim three dunams of his land. His work was also stopped. Zema’ara’s land, incidentally, was cultivated before 1993, but his crops were destroyed when the Hebron bypass road was paved. He actually brought all the necessary documents to show the Israelis that he is the owner of the land - including a detailed area map and plan sketched by a surveyor especially for him. He invested NIS 3,500, which he doesn’t have, in obtaining all the necessary papers. More than a year has passed, and he is still waiting for a permit. The almost completed terraces on his plot stand out in their aridity, on the slope of the mountain. "For Israel, when we work on our land, it’s as if we killed an Israeli," is how a member of the Union of Agricultural Work Committees puts it.

European officials who are involved in the funding process are convinced that the Civil Administration has become more stringent in recent years in acting against Palestinian farmers, under pressure from the settlers in general and from the Regavim association in particular. Regavim, which calls itself "the movement for preservation of the nation’s lands," is steadily expanding its work of detecting Palestinian "violations" in Area C.

A Regavim spokesman told Haaretz that the organization "is taking a very serious approach toward the illegal takeover by Arabs of lands in Area C in Judea and Samaria, including by means of agricultural cultivation designed only for this purpose.

"Regavim is following with concern the increasing involvement of foreign countries and entities in establishing facts on the ground unilaterally, while violating the laws of the State of Israel and brazenly undermining its sovereignty ... Regavim calls on the Foreign Ministry to convey an unequivocal message to the international parties, and state that Israel is very upset by their behavior and demands that they immediately desist.

"The Regavim movement is pleased to hear that the Civil Administration has responded to its demands and has been enforcing the law in an egalitarian manner, among Arabs as well."

At the time of publication, the Civil Administration had not responded to Haaretz’s questions.