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Quand est-ce que ? (texte en anglais en 2è partie d’article)

Quand est-ce que ça devient un génocide ?

Nadia Hijab et PNN - Vendredi, 8 janvier 2010 - 12h51

vendredi 8 janvier 2010

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Comment ne pas songer à tous ceux qui cultivent, avec quels soins pressants, le culte de la mémoire de ce qui s’est passé il y a bientôt 70 ans, ce qui évite bien sûr de jeter un regard sur ce qui se passe aujourd’hui ...

Le Comité de rédaction

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De plus en plus de personnes ont commencé à employer le terme de génocide pour décrire ce que Israël fait à Gaza. Israël ne va pas tuer directement des dizaines de milliers de Palestiniens, mais il va créer les conditions conduisant à la mort de dizaines de milliers d’entre eux. N’importe quelle épidémie finira le travail.

Lors d’une visite à Ramallah il y a un an, alors que le bombardement de Gaza était en cours, j’ai évoqué mes craintes avec un ami proche, Palestinien. « Je sais que cela peut paraître dément, mais je pense que l’objectif réel des Israéliens est de les faire tous mourir. »

Mon ami me dit de pas exagérer ; l’assaut était horrible, mais ce n’était pas un meurtre de masse.

Je lui ai dit que ce n’était pas là le problème : il s’agissait d’une population déjà très vulnérable à la maladie, dans un mauvais état sanitaire, souffrant de malnutrition après des années de siège, avec des infrastructures pourries, de l’eau et de la nourriture contaminées. La guerre menée par Israël allait à coup sûr faire passer les gens de l’autre côté de la limite, particulièrement si le siège se poursuivait – et tel a été le cas.

En d’autres termes, Israël ne va pas tuer directement des dizaines de milliers de Palestiniens, mais il va créer les conditions pour que des dizaines de milliers d’entre eux meurent. La première épidémie qui passera achèvera le travail. Mon ami resta silencieux, mais continua à hocher la tête en signe d’incrédulité.

Depuis l’an dernier, deux choses ont changé : de plus en plus de gens ont commencé à appliquer la terme « génocide » à ce que fait Israël à Gaza. Et il n’y a pas qu’Israël qui soit directement accusé, mais également, de plus en plus, l’Egypte.

Est-ce un génocide ? La « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », un document clair et concis adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 260 A (III) du 9 décembre 1948, déclare que le génocide est l’une quelconque de cinq actions commises « dans l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial, ou religieux. »

Il apparaît que trois de ces actions s’appliquent à la situation à Gaza : « (a) Tuer des membres du groupe ; (b) Causer des maux corporels ou mentaux graves aux membres du groupe ; (c) Infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculée pour provoquer sa destruction physique, en totalité ou en partie. »

Les juristes universitaires discutent de la façon d’interpréter les articles de la Convention, et il s’est avéré difficile, au cours des années, de définir certains crimes comme des génocides, et plus difficile encore de les empêcher et d’y mettre un terme. En s’inspirant du précédent de la Bosnie – le seul traitement légal indiscutable du génocide à ce jour – il serait nécessaire d’établir une intention délibérée pour qu’une accusation de génocide lancée contre Israël soit acceptée par un tribunal.

La direction israélienne n’a bien entendu jamais publiée une telle déclaration d’intention. On peut cependant, relever beaucoup de déclarations d’officiels israéliens allant dans ce sens. Par exemple :

• Mettre les Palestiniens de Gaza « au régime » - Dov Weissglass, adloint principal d’Ariel Sharon, en 2006.
• Les exposer à « une plus grande shoah (holocauste) » - Matan, ancien ministre adjoint de la défense, en 2008.
• Publier des directives religieuses exhortant les soldats à ne faire preuve d’aucune pitié - le rabbinat israélien au cours du conflit actuel.

De telles déclarations correspondent à au moins trois des « 8 stages du génocide » identifiées par Gregory Stanton, président de Genocide Watch, en 1990, à la suite du génocide au Rwanda : classification, déshumanisation, et polarisation.

Il y a ensuite la destruction délibérée et l’interdiction d’approvisionnements et de moyens de subsistance, pratiquée par Israël sur terre et sur mer.

Déjà, le rapport Goldstone a déclaré que priver les Palestiniens de leurs moyens de subsistance, de leurs emplois, de leurs logements, de leur eau potable, de leur liberté de mouvements et de tout accès à une juridiction quelconque, que cela pouvait être qualifié de persécution.

Depuis l’attaque de décembre-janvier, il y a eu beaucoup de rapports incontestables établis par des organisations de droits de l’homme, ainsi que de respect de l’environnement, relatifs à l’impact de la guerre et de la poursuite du siège sur les personnes, les sols, l’air, et l’eau, et qui montrent une augmentation du nombre de cancers, de malformations à la naissance, et de morts non inévitables. Le nombre de morts de la grippe porcine à Gaza a atteint 9 en décembre et 13 une semaine plus tard.

La huitième étape d’un génocide identifiée par Stanton est le refus des auteurs de reconnaître « qu’ils ont commis le moindre crime. » Ironiquement, on peut rappeler que Stanton a dirigé l’Association Internationale des Universitaires Spécialisés sur les Génocides, au cours du conflit, qui, malgré quelques protestations, a terminé l’étude des actes d’Israël par, entre autres, une déclaration selon laquelle les politiques suivies par Israël étaient « trop gravement proches » d’un génocide pour être ignorées, et qui appelait à briser le silence.

« Gravement proches » est bien le mot approprié. Voici ce que Raphael Lemkin, universitaire et juriste d’origine juive et polonaise, écrivait en 1943 : « le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation...Il correspond plutôt un plan coordonné comportant différentes actions visant la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but de parvenir à l’annihilation de ces groupes eux-mêmes. Les objectifs d’un tel plan seraient la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion, et de l’existence économique de groupes nationaux, ainsi que la destruction de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, et même de la vie des individus appartenant à de tels groupes. »

Il est difficile d’imaginer une meilleure description de ce qui se passe à Gaza.

Tous les pays membres des Nations Unies ont le devoir d’empêcher les actes de génocide, et au moins de s’y opposer. Ce qu’il faut est qu’il y ait un pays assez courageux pour prendre la tête d’une telle action avant qu’il soit trop tard.

Nadia Hijab est une analyste indépendante, et un membre permanent de l’Institut pour les Etudes Palestiniennes.

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et voici l’original en anglais :

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When Does It Become Genocide ? by Nadia Hijab

More people have started to apply the term ’genocide’ to what Israel is doing to Gaza. Israel would not directly kill tens of thousands of Palestinians, but it would create the conditions for tens of thousands to die. Any epidemic could finish the job.

During a visit to Ramallah a year ago while the Israeli bombardment of Gaza was underway, I shared my fears with a close Palestinian friend. “It may sound insane, but I think the Israelis’ real objective is to see them all dead.”

My friend told me not to be silly, the assault was horrific, but it was not mass killing. I said that wasn’t the issue : This was a population already very vulnerable to disease, ill-health, and malnutrition after years of siege, with its infrastructure rotted, its water and food contaminated. Israel’s war would surely push the people over the brink, especially if the siege was maintained — as it has been.

In other words, Israel would not directly kill tens of thousands of Palestinians, but it would create the conditions for tens of thousands to die. Any epidemic could finish the job. My friend fell silent at these words, but still shook his head in disbelief.

Two things have changed since last year : More people have started to apply the term “genocide” to what Israel is doing to Gaza. And not only is Israel being directly accused but also, increasingly, Egypt.

Is it genocide ? “The Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide” — a clear, concise document adopted by the United Nations in December 1948 — states that genocide is any of five acts committed “with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group.”

Three acts appear to apply to the situation in Gaza : “(a) Killing members of the group ; (b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group ; (c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part.”

Legal scholars disagree about how to interpret the Convention’s articles and it has proven difficult, over the years, to define crimes as genocide, let alone to prevent or end them. In line with the Bosnia precedent — the only authoritative legal treatment of genocide to date — it would be necessary to establish deliberate intent for an accusation of genocide against Israel to stand up in court.

Israel’s leadership has not, of course, issued a declaration of intent. However, many leading Israeli officials can be said to have done so. For example :
• Putting the Palestinians of Gaza “on a diet” — Dov Weisglass, chief aide to Ariel Sharon, in 2006.
• Exposing them to “a bigger shoah (holocaust)” — Matan Vilnai, former deputy defense minister, in 2008.
• Issuing religious edits exhorting soldiers to show no mercy — the Israeli army rabbinate during the actual conflict.

Such declarations echo at least three of the “8 stages of genocide” identified by Genocide Watch president Gregory Stanton in the 1990s after the Rwanda genocide : Classification, dehumanization, and polarization.

Then there is the deliberate destruction or barring of means of sustenance as Israel has done on land and at sea. Already, the Goldstone Report has said that depriving the Gaza Palestinians of their means of sustenance, employment, housing and water, freedom of movement, and access to a court of law, could amount to persecution.

Since the December-January assault, there have been many authoritative reports by human rights and environmental organizations on the impact of the war and the ongoing siege on the people, soil, air, and water, including the increase in cancers, deformed births, and preventable deaths. The death toll in Gaza from swine flu reached nine in mid-December and 13 a week later — an epidemic in waiting.

The eighth stage of genocide Stanton identifies is denial by perpetrators “that they committed any crimes." Ironically, Stanton headed the International Association of Genocide Scholars during the conflict, which shut down discussion of Israel’s actions despite protests by, among others, genocide scholar and author Adam Jones. Jones and 15 other scholars had posted a declaration stating that Israeli policies were “too alarmingly close” to genocide to ignore and calling for an end to the silence.

Alarmingly close is right. Here is how Raphael Lemkin, the Polish-Jewish legal scholar who pushed for the genocide convention, defined it in 1943 : “genocide does not necessarily mean the immediate destruction of a nation…. It is intended rather to signify a coordinated plan of different actions aiming at the destruction of essential foundations of the life of national groups, with the aim of annihilating the groups themselves. The objectives of such a plan would be the disintegration of the political and social institutions, of culture, language, national feelings, religion, and the economic existence of national groups, and the destruction of the personal security, liberty, health, dignity, and even the lives of the individuals belonging to such groups.”

It is hard to conceive of a better description of what is going on in Gaza.

All UN member states have the duty to prevent and stop acts of genocide. What is needed is a country brave enough to take the lead, before it is too late.

Nadia Hijab is an independent analyst and a senior fellow at the Institute for Palestine Studies.