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Jeff Halper est directeur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD)

Aucun partenaire pour la paix : c’est notre problème avec l’Amérique

Jeff Halper - Samedi, 14 novembre 2009 - 8h44 AM

samedi 14 novembre 2009

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Ce fut comme si quelque officiels, peut-être des « tsars » du Président Obama tel qu’un Tsar chargé du Minage de la Crédibilité américaine, avaient orchestré une campagne méthodique pour isoler les Etats-Unis du reste du monde, pour qu’ils deviennent la risée politique et, en fin de compte, pour en faire une puissance de second ordre capable de lancer au hasard son poids militaire énorme, mais absolument incapable de nous conduire vers un avenir meilleur. Le conflit Israël/Palestine, s’il n’est pas le plus sanglant, constitue pour beaucoup de peuples du monde un repère exceptionnel pour mesurer les intérêts et les intentions des Etats-Unis.

Examinons donc les messages envoyés au monde par la série d’actions suivantes :

Le 10 août, une lettre a été envoyée au Président à l’initiative du sénateur démocrate Evan Bayh et du sénateur républicain Jim Rish, les deux étant membres de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et soutenus par l’AIPAC, le lobby proisraélien. Signée par soixante et un sénateurs, elle appelle les Etats arabes à normaliser leurs relations avec Israël même si Israël ne gèle pas la colonisation, ne cesse pas d’exproprier dans les terres palestiniennes ou de démolir les maisons palestiniennes, et s’il ne lève pas les restrictions graves à la vie palestinienne qui appauvrissent la plus grande partie de la population. La lettre réaffirme à Israël qu’il bénéficie d’un large soutien bipartite au Congrès et qu’il ne doit pas trop s’inquiéter des demandes de l’Administration, tout en signalant aux mondes arabe et musulman qu’ils ne sont pas pris au sérieux.

Quand le Conseil des Droits de l’homme des Nations unies a accepté le 17 septembre le rapport Goldstone, la mission d’enquête des Nations unies sur le conflit de Gaza. Malgré les accusations de crimes de guerre israéliens par la mission, le juriste sud-africain Richard Goldstone s’est en réalité mis en quatre pour protéger Israël autant qu’il lui a été possible. Ainsi, le rapport ne mentionne aucunement l’occupation de 42 années de la bande de Gaza ni ses trois années d’un siège qui a laissé un million et demi de Gazaouis sans la nourriture suffisante, sans soins médicaux et sans les nécessités basiques pour vivre. Il ne mentionne pas non plus le fait que, plutôt que de se défendre, Israël a été en réalité celui qui a violé le cessez-le-feu conclu avec le Hamas et qui a rejeté les appels du Hamas pour le renouveler. Par contre, le rapport parle aussi de violations du droit international par le Hamas et exige que, lui aussi, procède à une enquête. Néanmoins, la représentante états-unienne à l’ONU, Susan Rice, a condamné aussitôt le rapport (qu’elle ait lu vraiment ou non ses presque 600 pages) et promis à Israël que les USA se tiendraient toujours derrière lui dans son combat contre le rapport. Le juge Goldstone a demandé au gouvernement américain « d’indiquer à quel endroit le rapport était vicié ou partial, » mais il n’a jamais obtenu de réponse.

Le 31 octobre, on voit la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, en Israël et, lors d’une conférence de presse avec le Premier ministre Netanyahu, elle salue comme un fait « sans précédent » l’empressement du gouvernement israélien à « limiter » ses constructions dans les colonies. Après des mois de supplications pour que Netanyahu gèle la colonisation - notamment après une dizaine de visites de l’envoyé George Mitchell - les Etats-Unis cèdent, simplement. Israël va pouvoir continuer d’étendre ses colonies à Jérusalem-Est, construire 3 000 logements dans les Territoires palestiniens occupés, continuer de construire « des édifices publics » dans les colonies et de répondre aux nécessités de la « croissance naturelle », et continuer d’approuver des constructions nouvelles - c’est-à-dire, une politique douteuse de « modération » qui durera seulement neuf mois, environ. Mais en abandonnant ainsi les Palestiniens, Clinton a montré la voie à Israël pour les accuser de présenter des « préalables déraisonnables » avant d’engager les pourparlers - ce que Netanyahu s’est empressé de déclarer lors de la même conférence de presse.

Le 3 novembre, la Chambre des Représentants a adopté, par 344 voix contre 36, une résolution appelant le Président et la secrétaire d’Etat à « s’opposer sans équivoque à toute approbation ou tout examen approfondi du ‘Rapport de la mission d’enquête des Nations unies sur le conflit de Gaza’, dans tout forum multilatéral » (c.-à-d. aux Nations unies). Parrainée par quatre membres proisraéliens du Congrès, emportés mais bien placés, (Howard Berman (D-CA) président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, Ileana Ros-Lehtinen (R-FL) chef de file républicain à la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, Gary Ackerman (D-NY) président de la sous-commission pour le Moyen-Orient à la commission des Affaires étrangères et Dan Burton (R-IN) chef de file républicain à la sous-commission), la résolution qualifie le rapport Goldstone « d’irrémédiablement biaisé et indigne d’un examen approfondi et de légitimité », et « elle soutient les efforts de l’Administration dans son combat contre tout parti pris anti-Israël aux Nations-Unies ».

Et, qu’ont répondu les officiels états-uniens et les membres du Congrès à cela ? Et que dire du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui, le même jour que la résolution anti-Goldstone était votée, lance un appel à Israël « pour qu’il mette fin à ses actions provocatrices » à Jérusalem-Est ? « Le secrétaire général, » indique l’ONU, « est consterné devant les actions israéliennes qui se poursuivent à Jérusalem-Est, notamment la démolition des maisons palestiniennes, l’expulsion de familles palestiniennes et l’incrustation de colons dans les quartiers palestiniens. »

Sous-jacent à l’isolement croissant des Etats-Unis du reste de la communauté mondiale, dont l’Europe, est l’échec de l’Amérique, même sous Obama, à faire des droits humains un guide pour sa politique étrangère. A une époque où tant de peuples au monde souffrent de paupérisation, de conflits et du sentiment que leurs gouvernements ont échoué, les ont laissés sans protection, la promesse des droits humains universels représente beaucoup. Le langage des droits humains n’est pas encore arrivé aux Etats-Unis. Quand, récemment, j’ai fait le tour du Congrès et du Département d’Etat pour promouvoir une résolution juste au conflit israélo-palestinien, on m’a dit que la « justice » n’était pas un élément actif dans la politique étrangère américaine. Des lobbyistes chevronnés m’ont recommandé de ne jamais prononcer les mots « droits humains » lors de mes rencontres avec les sénateurs et les gens du Congrès, parce qu’ils entendent anti-américain, comme si quelque chose heurtait la loi et la politique américaines (ce que font les droits humains en effet). Mais supprimez la justice et les droits humains en politique étrangère et vous restez avec une résolution du conflit et un contrôle des dommages à court terme qui, à la fin, n’apportent de paix et de sécurité à personne. Vous vous mettez à coup sûr en dehors des préoccupations de la plupart des peuples du monde.

Le degré auquel la politique de l’Amérique à l’égard des droits des Palestiniens diverge si fortement, de même que de ses alliés européens, sans parler du monde musulman avec lequel il serait tentant d’arriver à un minimum de stabilité et d’adaptation qui lui permettrait de retirer ses troupes, ce degré a des implications qui vont bien au-delà de ce conflit en particulier. Quand les Etats-Unis se tiennent, comme ils le font souvent, aux côtés d’Israël mais contre la communauté internationale tout entière sur les questions des droits humains (comme ce fut le cas à propos de l’Afrique du Sud de l’apartheid et du soutien aux contras au Nicaragua, entre autres), c’est son isolement qui se trouve mis en lumière, non son leadership. Tous les autres slogans, tels que « propager la liberté et la démocratie », ne donnent que des sons creux. Ni l’Amérique ni Israël, son allié de toujours, peuvent éviter de rendre des comptes de leurs actes et de leurs politiques. La realpolitik ne peut remplacer une politique basée sur les droits humains. Si les Etats-Unis souhaitent rejoindre la communauté internationale et rechercher vraiment leurs intérêts, il n’y a pas de meilleure endroit pour eux que de commencer en politique étrangère, de se donner une politique étrangère fondée sur la justice.

Jusque-là, l’Amérique fera partie du problème, pas de la solution.

Jeff Halper est directeur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD) et auteur de An Israeli in Palestine : Resisting Dispossession, Redeeming Israel (Pluto Press, 2008). Son adresse mel : jeff@icahd.org.