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Source : ISM / Washington Post

Le décor de l’échec est dressé, au Moyen-Orient

par Stephen M. Walt - Mardi, 20 octobre 2009 - 17h36

mardi 20 octobre 2009

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Stephen M. Walt, professeur de relations internationales à l’Université Harvard, est coauteur de l’ouvrage « Le lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis ». Il collabore à Foreign Policy magazine

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Comme nombre de ses prédécesseurs, le Président Obama découvre rapidement qu’il est quasiment impossible de convaincre Israël de changer d’attitude. Obama a pris ses fonctions en étant déterminé à mener à bien une solution à deux Etats entre les Israéliens et les Palestiniens. Son initiative inaugurale a consisté à demander d’Israël qu’il mît un terme à ses constructions de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem Est – cette ligne dure étant destinée à remplumer le président palestinien Mahmoud Abbas et à persuader les pays arabes clés de faire des gestes de conciliation en direction d’Israël. Ces avancées allaient paver la voie à la création d’un Etat palestinien viable et à la normalisation des relations d’Israel avec ses voisins arabes ; elles allaient, par ailleurs, reconstruire l’image de marque de l’Amérique dans le monde arabo-musulman.

Hélas, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu n’est pas intéressé par une solution à deux Etats, et encore moins à mettre un terme à l’expansion des colonies. Son gouvernement et lui-même veulent un « grand Israël », ce qui signifie le maintien d’un contrôle israélien effectif sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Sa réponse à l’initiative d’Obama est allée du traînage des pieds à la défiance affichée, auxquels Washington n’a que très mollement réagi.

C’est là une tragédie en cours de réalisation entre des gens qui ont eu plus que leur part de malheurs. Si Obama n’est pas capable de mobiliser la volonté et l’habileté susceptibles de mettre fin à ce blocage, une solution à deux Etats deviendra impossible et ceux qui aspirent à la paix se retrouveront dans une posture encore bien pire qu’avant. Netanyahu, au début (au mois de juin) a clamé que l’administration Bush avait assuré à Israël que la « croissance naturelle » des blocs de colonisation existants était autorisée – une assertion que la secrétaire d’Etat Hillary Rodham Clinton et d’autres officiels s’empressèrent de démentir. Netanyahu déclara ensuite que 2.500 unités d’habitation en cours de construction seraient achevées. Il fit alors une concession mineure, à la suite du discours à l’adresse du monde musulman prononcé au Caire par Obama, au mois de juin, en glissant une simple allusion au passage à « un Etat palestinien démilitarisé », dans un discours par ailleurs totalement dépourvu de compromis, à l’université Bar-Ilan. Les conditions draconiennes exigées par Netanyahu d’un tel Etat faisaient clairement entendre qu’il ne faisait rien d’autre que lancer à Obama un os à ronger, afin d’éviter un clash avec un président américain jouissant alors d’une popularité exceptionnelle.

Plus les avis favorables à Obama déclinaient, et plus la position de Netanyahu se durcissait. Au mois de juillet, après que les responsables américains eurent tenté de bloquer un plan israélien visant à convertir un ancien hôtel arabe en vingt ‘appartements juifs’ à Sheikh Jarrah – un quartier arabe de Jérusalem Est -, Netanyahu indiqua à son gouvernement que « Jérusalem n’est pas une colonie, et il n’y a aucun sujet de discussion autour d’un quelconque « gel » de quoi que ce soit, dans cette ville ».

Afin de bien souligner ces propos, les autorités israéliennes expulsèrent deux familles arabes du quartier de Sheikh Jarrah : elles y logeaient depuis plus de cinquante ans.

Puis, en août, un « haut responsable américain » ayant requis l’anonymat indiqua à des journalistes que des pourparlers de paix pourraient reprendre sans accord de gel des constructions de colonies, et Netanyahu a redit qu’il était opposé à un gel total.

Quelques jours après, Israël autorisait la construction de centaines d’unités d’habitation supplémentaires en Cisjordanie. En réponse, la Maison Blanche se contenta d’indiquer qu’elle « regrettait » cette décision, ajoutant que « l’engagement des Etats-Unis à défendre la sécurité d’Israël est irréfragable, et il le restera ». Trois jours après, l’Administration israélienne des Terres lança un appel d’offres pour 468 nouveaux appartements à Jérusalem Est. Et il y a tout juste une semaine, Netanyahu a annoncé qu’un gel total des constructions dans les colonies « ne se produira pas » et que la construction à Jérusalem « se poursuivrait normalement ».

Pourquoi Netanyahu défie-t-il ainsi Obama aussi ouvertement ? Parce qu’il se dédie depuis fort longtemps au rêve d’un « grand Israël » et que le seul Etat palestinien qu’il pourrait éventuellement admettre serait un archipel d’enclaves disjointes, sous un contrôle israélien de facto. Son gouvernement est encore plus faucon que lui, ce qui signifie que son gouvernement chuterait s’il faisait des concessions réellement significatives. De plus, toute tentative d’évacuer ne serait-ce qu’une partie des plus de 300.000 colons qui vivent en Cisjordanie risquerait d’entraîner une réaction violente en Israël, qui pourrait exposer Netanyahu au risque de subir le même sort que l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin, qui fut assassiné par un extrémiste juif en 1995.

Selon certains observateurs, la décision prise par Netanyahu d’autoriser la construction de nouvelles unités d’habitation n’est qu’un gage donné à ses collègues de droite, et qu’il finira par donner son accord à un gel temporaire des colonies et à des négociations sérieuses avec les Palestiniens. Mais même s’il le fait, l’histoire suggère que tout engagement à arrêter la colonisation ne serait suivi d’aucun effet. De précédents gouvernements israéliens avaient promis, eux aussi, de stopper la construction de colonies, notamment, pour la dernière fois, avec la signature de l’accord de la « Feuille de route », en 2003, qui prévoyait un calendrier formel pour l’établissement de la paix au Moyen-Orient. Mais en dépit des promesses, le nombre des colons a plus que doublé depuis le début des années 1990, et il s’est accru d’environ 5 % par an depuis l’adoption officielle de ladite « Feuille de route » par Israël, en mai 2003.

Il ne faut pas s’y tromper : l’expansion des colonies n’est pas l’œuvre d’une poignée d’extrémistes religieux incontrôlables. Les gouvernements tant travaillistes que Likoud ont soutenu cette entreprise au moyen de subventions, d’infrastructures vitales et d’une protection militaire, ainsi que d’un réseau de routes, de checkpoints et de barrières de sécurité. En exigeant le gel de la colonisation, Obama tente d’obtenir d’Israël qu’il mette un terme à un projet que ses principaux partis politiques poursuivent depuis plus de quarante ans. Et même si Israël reçoit plus de 3 milliards de dollars des Etats-Unis chaque année, les efforts de ce pays visant à stopper l’expansion des colonies et à réaliser une solution à deux Etats vont très vraisemblablement échouer.

Pourquoi Obama laisse-t-il Netanyahu obérer ses efforts ? Tout d’abord, le président a trop de pain sur la planche – la crise économique, la bataille de la sécu, l’Afghanistan, la question nucléaire iranienne – si bien que l’attention qu’il est en mesure de consacrer à la paix israélo-palestinienne est limitée. Et puis il y a le lobby pro-israélien. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une nouvelle organisation pro-israélienne, J Street, qui est partisane de la solution à deux Etats et qui soutient fermement Obama.

Mais il y en a aussi une mauvaise. La mauvaise nouvelle, c’est que l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac) et d’autres défenseurs du statu quo restent puissants, et qu’ils vont à n’en pas douter s’opposer à toute tentative visant à exercer des pressions sur Netanyahu. Ainsi, en mai, l’Aipac a publié une lettre ouverte avertissant Obama de la nécessité, pour lui, de « travailler de manière étroite, et personnellement » avec Israël. Cette pétition a recueilli quelques 329 signatures à la Chambre des Représentants et 76 au Sénat. Durant les congés parlementaires du mois d’août, 56 membres du Congrès se sont rendus en Israël, et le chef de la majorité (démocrate) à la Chambre des Représentants, Steny H. Hoyer (du Maryland) a dit à des journalistes qu’il était erroné de faire de la construction de colonies une question clé et qu’il existait une « importante différence » entre les colonies en Cisjordanie et celles de Jérusalem Est.

Si Obama tentait de conditionner l’aide à Israël à un gel des colonies, le Congrès le débouterait, tout simplement. Le fait d’exercer une réelle pression sur Israël risque de lui aliéner des hommes politiques indispensables et des grands fournisseurs de financements démocrates, ainsi que le soutien des partisans d’Israël dans les médias, mettant en péril le reste de l’agenda politique d’Obama et, vraisemblablement, ses chances d’être réélu. De plus, plusieurs des hauts conseillers d’Obama, tel que Dennis Ross, sont des partisans enthousiastes de la « relation spéciale » que l’Amérique entretient avec Israël, et ils s’opposeraient vraisemblablement à ce que le levier américain soit utilisé pour contraindre Israël à faire certaines concessions. Obama et son envoyé spécial George Mitchell négocient alors qu’ils ont une main liée dans le dos. Cela, Netanyahu le sait.

Toutefois, au cas où un progrès tangible vers un Etat palestinien viable ne se produirait pas, et rapidement, Abbas et d’autres Palestiniens modérés ne pourront qu’être affaiblis et des formations radicales telles que le Hamas ne pourront qu’être, au contraire, renforcées. L’engagement d’Obama à rechercher une solution à deux Etats, et ses déclarations, au Caire, selon lesquelles « il est temps que la colonisation israélienne s’arrête », sonneront creux. Israël sera contraint à réprimer des millions de Palestiniens en colère, et il ressemblera de plus en plus à un pays d’apartheid. Comme l’a dit l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert en 2007, l’échec à parvenir à une solution à deux Etats contraindra Israël à mener un « combat dans le style sud-africain ». Et si cela devait se produire, a-t-il mis en garde, « ce sera la fin d’Israël ».

Au Caire, Obama a dit qu’une solution à deux Etats est « de l’intérêt d’Israël, de l’intérêt des Palestiniens, de l’intérêt de l’Amérique et de l’intérêt du monde entier ». Il a raison, mais ce n’est pas le reste du monde qui a besoin d’adopter cette vision des choses. Non : ce sont les Israéliens qui restent à convaincre, et cela nécessitera une pression durable des Etats-Unis. Pour réussir, Obama doit utiliser sa tribune pour expliquer au peuple américain que la solution à deux Etats est, et de loin, la meilleure solution pour Israël et que le temps est désormais compté. S’il ne réussit pas à faire passer ce message, il ne sera que le dernier d’une longue série de président des Etats-Unis ayant tenté, en vain, de mettre un terme à ce conflit.

Source : Washington Post Traduction : Marcel Charbonnier